Histoire

Il y a dix ans, France-Soir inaugurait l’autocensure islamiste

Le 1er février 2006, France-Soir inaugurait l’autocensure islamiste

   Le journal France-Soir incarne, à tous points de vue, le déclin économique de la presse quotidienne, presque général dans la plupart des pays développés mais particulièrement vif en France, nation qui se vide lentement de sa culture car les citoyens ne lisent plus.

    Durant l’occupation allemande, un groupe d’étudiants avaient créé un journal clandestin, intitulé Défense de La France et dirigé, dès sa sortie de Sciences-Po., par Aristide Blanck. Après la Libération et le retour de Pierre Lazarref des États-Unis, où il animait le département français de l’information de « l’Amérique en guerre », le journal étoffa considérablement son équipe de rédaction et, le 8 novembre 1944, prit le titre de France-Soir car, comme l’ancien Paris-Soir, il paraissait en début d’après-midi.

   Comme la plupart des autres quotidiens français, il se référait à la Résistance, dont il entendait porter les valeurs d’humanisme, de démocratie économique et sociale, de libertés publiques mais se voulait politiquement moins marqué que la plupart de ses confrères. En janvier 1945, son tirage, en forte progression, atteignait déjà 265 000 exemplaires, ce qui le plaçait au troisième rang des journaux parisiens, L’Humanité occupant la première place. Deux ans plus tard, il approchait les 600 000, prenait la première place et continuait son ascension régulière durant toute la IVe république puis au début de la Ve. En 1949, le groupe Hachette en devenait propriétaire. La même année, son directeur général, Pierre Lazareff, palliait l’absence de quotidien le dimanche en créant Le Journal du Dimanche.

    La guerre d’Algérie remit parfois en cause le droit des journalistes à protéger leurs sources, surtout lorsque celles-ci provenaient du FLN puis de l’OAS. France-Soir défendit alors fermement la liberté de la presse, dont nous savons, depuis Chateaubriand, que lorsque celle-ci est menacée, les autres libertés le seront rapidement aussi.

    Durant « les évènements » de mai 1968 et alors que de nombreux quotidiens nationaux, Le Monde en tête et, de façon plus nuancée Le Figaro, misèrent sur un prochain changement de régime, France-Soir orienta plutôt ses articles dans le sens d’un soutien au gouvernement. Le départ du général de Gaulle en avril 1969 puis sa mort en novembre 1970 fournirent l’occasion au quotidien de la rue de Réaumur de battre tous les records de tirage de la presse française, dépassant les deux millions d’exemplaires vendus, ainsi que de taille des caractères d’un titre à la une. Ce fut aussi le début du déclin, qui toucha d’ailleurs toute la presse quotidienne, nationale comme régionale avec, d’une part, une diminution constante du nombre de titres, d’autre part une érosion apparemment imparable de la diffusion payante.

    Durant les années suivantes, alors que ses confrères, à l’instar des hebdomadaires d’information souvent tentés par le politiquement sensationnel, évoquaient régulièrement la perspective d’une « crise de régime », France-Soir continuait de croire en la stabilité des institutions.

    La mort de Pierre Lazareff, le 24 avril 1972, à soixante-cinq ans, porta un coup dur au journal qui, malgré la nomination d’Henri Amouroux, ne parvint pas à conserver cette aura de l’information à la fois populaire, indépendante et de qualité, soutenue en outre par des journalistes en vue dans le « Tout-Paris ». En 1976, Hachette revendit le titre à un groupe de presse éphémère, qui le rétrocéda au groupe de Robert Hersant, provoquant le départ, au titre de la clause de conscience, de 80 journalistes sur 200. L’homme souffrait en effet d’une réputation sulfureuse à deux égards : sa condamnation, en 1947, à dix ans d’indignité nationale pour collaboration avec l’ennemi – ce qui faisait plutôt mauvais genre dans un journal issue de la Résistance – et, accessoirement, un aspect « marchand de soupe » peu compatible avec l’éthique revendiquée par la presse parisienne. Dès lors, les craintes s’insinuent quant au maintien de l’indépendance de la rédaction vis-à-vis des pressions économiques ou autres…

   Aux difficultés relationnelles avec le puissant syndicat du livre, entraînant des grèves à répétition, s’ajouta le flou d’une ligne éditoriale qui balançait entre, d’une part, informations pratiques et fait divers, créneaux déjà occupés par le Parisien-Libéré, d’autre part informationsun peu plus culturelles et politiquesdans le style du Figaro. Alors la diffusion ne cessa de chuter,et l’entreprise de perdre de l’argent. En 1999, l’ombre de l’ancien journal de Pierre Lazareff, dont la diffusion était descendue à 150 000 exemplaires, fut vendu à Georges Ghosne, un homme d’affaires franco-libanais, qui le revendit dès l’année suivante à un groupe de presse italien, qui le recéda à son tour. De ventes en reventes, de restructurations en restructurations, de nouveau directeur en nouveau directeur et de plan de redressement en plan de redressement, la descente aux enfers semblait ne jamais devoir s’arrêter. Beaucoup des opérations financières correspondantes, mettant en branle des capitaux étrangers aux origines obscures, servirent probablement de blanchiment.

   Mais jusque là, au moins l’honneur restait sauf, ou presque. Il fut également perdu le 1er février 2006. Ce jour-là, le propriétaire du titre, Raymond Lakah, alors en discussion pour une revente à Arcadi Gaydamak, un homme d’affaires ne possédant pas moins de cinq nationalités différentes et bien plus encore de démêlés avec l’administration fiscale, licencia le directeur de la rédaction, Jacques Lefranc. Sa faute : avoir republié les caricatures de Mahomet publiées une première fois en septembre 2005 par le quotidien danois Jyllans-Posten et qui avait valu à celui-ciune vaguede récriminations parfois violentes, quelquefois mêmes assorties de menaces de mort,  de la part de plusieurs milieux se revendiquant de l’Islam.

    Après une forte agitation dans la plupart des rédactions des journaux croyant encore à leur indépendance, Charlie-Hebdo publiait de nouveau, une semaine plus tard, lesdites caricatures, sauvant ainsi un peu de l’honneur de la presse française. On sait ce qui lui en coûta. Et, aussi, comment, un an plus tard, il tenta de se dédouaner en confondant volontairement toutes les religions monothéistes dans la même opprobre.

     « Pauvres gens, aimait à dire le comte de Chambord, cela ne les sauvera pas ».

Daniel de Montplaisir

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