Histoire

Il y a cinq cents ans, le 16 mars 1517 : Pour la première fois François Ier entendait parler du Canada

Encore que, bien évidemment, on ne parlât pas encore de Canada, mais seulement de terres plus ou moins mystérieuses situées au nord des Amériques, nom lui-même en usage depuis moins de dix ans…

Pour nombre de nos compatriotes, si l’initiative de la découverte et de l’embryon de colonisation du Canada par la France incombent bien à l’autorité du monarque François Ier, c’est aux expéditions de Jacques Cartier, dont la première partit de Saint-Malo en 1534, que l’on en doit le début de réalisation. Tout cela est exact mais passe sous silence l’origine première de l’idée canadienne de la France, qui remonte à dix-sept années auparavant, précisément en ce 16 mars 1517.

    Monté sur le trône deux ans plus tôt, le jeune et fringant roi de France – il avait à peine vingt ans – tout auréolé de ses succès en Italie, sanctionnés par le traité de Noyon, qui lui reconnaît la possession du Milanais, et par le concordat de Bologne, qui vont régir les relations entre le Saint-Siège et le royaume des lys jusqu’en 1790, se préoccupe avant tout de consolider son pouvoir en Europe et d’assurer les frontières de ses domaines : l’expansion au-delà des mers ne l’intéresse guère et, comme l’Angleterre encore à cette époque, la France abandonne dans une relative indifférence l’exploration des terres lointaines à l’Espagne et au Portugal. Les deux « Souverains catholiques » bénéficient d’ailleurs, depuis 1493, d’une bulle pontificale, inter caetera, qui les autorise à revendiquer la propriété de tout territoire découvert au-delà de cent lieues (soit environ 175 kms) d’une ligne imaginaire tracée à l’ouest de l’archipel des Açores.

    Or l’exploitation des terres nouvelles préemptées par les Espagnols et les Portugais commence à donner quelques soucis aux autres puissances. Voilà ce que Duprat est venu exposer à François Ier. En sa qualité de chancelier de France, fonction comparable à celle d’un Premier ministre, il confère très régulièrement avec le roi, au moins deux fois par semaine. Il n’a rien d’un aventurier ou d’un rêveur. Tout propos tenu à son monarque n’intervient qu’après mûre réflexion.

Les questions économiques demeurent alors dominées par une conception principalement monétaire de la richesse : on considère généralement que la puissance d’une nation dépend de ses réserves d’or et d’argent, qu’il faut donc préserver et, si possible, accroître. C’est de cela que le chancelier veut aujourd’hui entretenir le monarque.

Cet homme, que l’historien Gabriel Hanotaux présentait comme « un des hommes les plus considérables de l’ancienne France », naquit à Issoire en 1463. Enfant de chœur remarqué pour ses extraordinaires capacités intellectuelles, sa famille l’envoya « faire son droit » à Paris, après quoi il gravit rapidement les échelons de ce que, dans la Rome antique, on appelait le cursus honorum : avocat du roi au Parlement de Toulouse en 1495, maître des requêtes de l’hôtel du roi (Louis XII) en 1504, premier président au Parlement de Paris en 1508. Louise de Savoie lui confia alors l’éducation de son fils, le duc de Valois. Ayant ceint la couronne, celui-ci fit aussitôt de Duprat son principal collaborateur et, chose rare dans l’histoire de nos rois, ne s’en séparerait jamais ni même n’en ferait mine à certains moments. L’homme de confiance par excellence, seul ministre de toute l’histoire de France à avoir accompagné un monarque durant tout son règne.

Ce jour-là, Duprat vient de recevoir une délégation des principales « bonnes villes » de France, surtout composée de bourgeois commerçants, qui lui ont fait part de leurs inquiétudes. Selon eux, le manque de métaux précieux, or et argent, que l’Espagne et le Portugal tirent en abondance de leurs colonies « des Indes », combiné à la cherté des épices – poivre, gingembre, muscade, cannelle, girofle … – presque entièrement importées, handicape lourdement l’économie française. Faciliter le commerce maritime par de nouveaux ports, comme celui de Grâce (qui deviendra Le Havre), dont la construction vient d’être décidée par le roi en février, élever des droits de douanes et interdire certaines importations ou les obliger à transiter par des ports français, ne suffit plus.

François Ier écoute avec attention son chancelier. Comme ses devanciers Charles VII et Louis XI, et bien plus que ses prédécesseurs Charles VIII et Louis XII, il estime que la politique royale doit aussi viser à assurer la prospérité matérielle du royaume. Antoine Duprat en profite pour lui montrer que cet objectif se combine mal avec l’indifférence pour les terres lointaines. Or il se dit qu’au nord des Indes espagnoles et portugaises, d’immenses territoires demeurent inexplorés et pourraient recéler d’importantes richesses ou bien ouvrir un passage maritime vers l’océan Pacifique et la Chine. Certes la bulle pontificale verrouille en théorie toute porte maritime vers l’Ouest mais a-t-elle vraiment voulu également viser les terres encore non reconnues ? Et le moment ne serait-il pas venu, dans ce contexte politiquement très favorable à la France, de demander sa révision à Léon X ? En attendant, rien n’empêche d’envoyer une expédition à travers l’Atlantique afin de dresser un relevé des côtes septentrionales, d’examiner la nature des terres qu’elles bordent et de rechercher si un tour du monde est réalisable en contournant l’Amérique par le nord quand Espagnols et Portugais l’envisagent par le sud. Plusieurs navigateurs déjà, se sont rendus vers ces contrées lointaines, dont plusieurs Français, partis d’Honfleur ou de Rouen. Le dernier d’entre eux, Thomas Aubert, en 1509, a ramené avec lui plusieurs indigènes, preuve que des terres existent et font vivre des hommes. Il faudrait s’en assurer.

   François Ier approuve la suggestion de Duprat sur le principe mais, en politique générale, soucieux de réussite à court terme, il situe les bénéfices éventuels d’un tel projet à long terme, peut-être même au-delà de la durée de son règne. Bientôt englué de nouveau dans les affaires d’Italie, les conflictuelles relations avec l’Empire et la recherche d’une alliance avec l’Angleterre, les expéditions maritimes au long cours sortent de son champ de vision comme de celui de son chancelier. Il faudra donc attendre encore six ans pour passer à l’acte et pour que la Couronne décide enfin de missionner un explorateur en la personne de Giovanni da Verrazano, un Florentin de Lyon qui partirait de Dieppe. Son expédition marquerait les véritables débuts de la conquête du Canada.

 

Daniel de Montplaisir

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