Histoire

Il y a cent cinquante ans… Février 1867, la France se retirait du Mexique

   

Après une guerre de onze ans, menée par les créoles contre la patrie d’origine, la Nouvelle-Espagne était devenue indépendante en 1821 et avait pris le titre de république du Mexique, du nom de sa capitale, lui-même d’origine incertaine mais déjà présent dans la langue des Aztèques.

   Le nouveau pays couvrait un immense territoire, d’environ sept millions de kilomètres carrés, ce qui en ferait aujourd’hui un des tout premiers États du monde par la superficie, et probablement aussi par la richesse économique. Mais, à la différence des États-Unis d’Amérique, dont les conditions d’acquisition de l’indépendance lui ressemblaient beaucoup et l’avaient aussi inspiré, le Mexique des colons espagnols devenus maîtres chez eux ne parvint pas à se doter d’institutions stables et respectées qu’un autre Tocqueville aurait présentées comme modèle en Europe.

   De même que, tout au long du XIXe siècle, l’Espagne se ballotta de pronunciamientos (coups d’État militaires fondés sur l’esbroufe) en conflits internes plus ou moins armés, son ancienne colonie, comme par mimétisme, se livra à une guerre continuelle des chefs et des partis, sur fond d’exactions et de rançonnage des populations, dont de nombreux immigrés européens venus chercher fortune dans ce qu’on croyait encore être un El Dorado. Parmi eux, de nombreux Anglais, Espagnols et Français – en tout 40 000 – dont les plus riches devinrent des créanciers plus ou moins forcés de « l’État » mexicain. Pour, au total, 260 millions de francs-or, soit 8 milliards de nos euros. À comparer, en monnaie constante, aux 530 milliards de la dette actuelle du Mexique (55 % du PIB) et aux 2 200 milliards de la dette française (97 % du PIB).

   En dépit de la relative modicité de l’encours, harcelées par leurs ressortissants à travers leurs consulats, l’Angleterre, l’Espagne et la France, par la convention du 31 octobre 1861, décidèrent de procéder à une démonstration de force commune selon l’usage de l’époque : envoi de quelques canonnières accompagnées de quelques troupes de débarquement et, avant que le conflit ne s’envenime, acceptation par l’État débiteur qu’on saisisse une partie de ses douanes. C’est ainsi que l’Angleterre et l’Espagne voyaient les choses, mais pas Napoléon III.

   Déjà sur le seul plan de la dette, la France occupait une position très particulière, réclamant 135 millions de francs (soit plus de la moitié du total) alors qu’on comptait seulement… vingt-trois créanciers français ! La disproportion venait d’un montage voyou combiné entre un banquier suisse, Jean-Baptiste Jecker, et le duc Charles de Morny, demi-frère de Napoléon III (en tant que fils naturel de sa mère, Hortense de Beauharnais), président du Corps législatif, aigrefin et noceur sans scrupules mais bénéficiant de l’oreille de l’empereur.

 En second lieu, Napoléon III méditait déjà ce que son ministre d’État, Eugène Rouher, appellera, en 1864, « la grande pensée du règne. » Se targuant de visions géopolitiques à long terme, il entend fonder un nouvel ordre international sur un équilibre entre les grandes puissances garanti par un développement économique profitable à tous.

    C’est ainsi qu’il rêve depuis plus de quinze ans d’impliquer la France dans le percement d’un canal transocéanique à travers l’Amérique centrale.

    C’est ainsi qu’il projette de mettre un terme ou, du moins, d’instaurer un contrepoids, à ce qu’on n’appelle pas encore l’impérialisme américain mais qui en présente toutes les caractéristiques, depuis l’édiction de la doctrine Monroe en 1823 récusant aux puissances européennes tout droit d’intervention dans les affaires des pays indépendants du continent américain, avec l’achat du Texas en 1845 et la guerre contre le Mexique qui, en 1848, se conclut par l’annexion de la Californie, de l’Arizona et du Nouveau-Mexique, soit plus de la moitié du territoire de l’ancienne Nouvelle-Espagne.

    C’est ainsi enfin qu’il entend promouvoir, au centre de l’Amérique, le développement d’un grand pays politiquement stable, ami de la France, catholique aux côtés du grand voisin protestant, favorisant les échanges internationaux de matières premières et de produits manufacturés dans le cadre d’accords de libre échange.

   À ces perspectives grandioses, s’ajoutait la conversion de l’impératrice Eugénie aux idées de restauration monarchique et catholique dans un pays dont la langue, la culture et les flagorneurs la séduisaient. 

    Comprenant que les ambitions napoléoniennes dépassaient largement le but qu’elles s’étaient fixées, l’Angleterre et l’Espagne quittèrent la coalition en avril 1862. En outre, la guerre de Sécession qui, depuis un an, faisait rage aux États-Unis, empêchait ceux-ci de mettre en œuvre la doctrine Monroe. Dès lors la France avait les mains libres pour envahir le Mexique, non bien sûr, pour en faire une colonie mais pour stabiliser ses institutions sous l’égide d’un prince ami qui devrait tout à son protecteur français. Rechercher un prince étranger pour régner sur un pays en mal de légitimité figurait en bonne place dans la vulgate diplomatique du siècle, et là encore, on entendait procéder au Mexique comme on l’avait fait en Grèce en 1830 et le referait-on en Espagne en 1870.

    Le choix de Napoléon III et d’Eugénie se porta sur Maximilien d’Autriche, frère de l’empereur François-Joseph. Il était jeune (30 ans), il était catholique et il présentait l’avantage, le moment venu, de pouvoir échanger cette fleur faite aux Habsbourg contre une nouvelle concession de l’Autriche en Italie, par exemple l’abandon de la Vénétie. L’empereur des Français adorait ces combinaisons diplomatiques sophistiquées,  confondant, comme tous les esprits trop courts, complexité et habileté. Bismarck le lui ferait bien voir.

   L’armée française, forte désormais de 50 000 hommes, entreprit donc la conquête du Mexique. Non sans mal. À des troupes mal préparées et mal encadrées, il fallut plus d’un an pour entrer dans Mexico, le 7 juin 1863. Puis encore un an, après de nouvelles circonvolutions de palais, pour que Maximilien vînt prendre possession de son trône après un simulacre de plébiscite. Dénué de sens politique, mauvais administrateur mais grand dépensier, il fit rapidement l’unanimité contre lui.

   La guerre de Sécession prit fin en avril 1865, modifiant sensiblement le rapport de forces dans la région. Comme on dirait de nos jours, America was back  et son nouveau président,Andrew Johnson, ne tarda pas à exiger le retrait du corps expéditionnaire français. Inconséquent mais prudent, Napoléon III s’y résolut, après avoir, lucide, conseillé à Maximilien d’abdiquer. Ce que celui-ci refusa. Les derniers soldats français furent rembarqués en février 1867 et, n’ayant plus les moyens de faire face à ses ennemis, Maximilien fut renversé, arrêté et fusillé. Comme l’a fort bien résumé l’historien Pierre Milza, « La plus grande pensée du règne avait coûté à la France 6 000 de ses meilleurs soldats et 336 millions de francs pour en récupérer 60. » Elle avait, de surcroît, brouillé Napoléon III avec la jeune puissance américaine, horrifié François-Joseph et toutes les cours d’Europe, exposé au grand jour les tripatouillages financiers des Bonaparte et de leurs proches, jeté une tâche de sang sur l’honneur de la France, ce que la presse de « l’allié » britannique se plut à marteler. Ce fut aussi – on le dit rarement – l’une des (multiples) raisons pour lesquelles le comte de Chambord ne pouvait plus supporter la vue d’un drapeau tricolore.  

 

Daniel de Montplaisir

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