Histoire

[Exclusif] Louis XIV par P. Pichot Bravard, R. Secher, J.-P. Clément et J. Charles-Gaffiot 3/3

Nous voici le 1er septembre 2015, séparés précisément par trois siècles de la mort d’un homme célèbre dans le monde entier depuis autant d’années. C’était bien sûr un roi de France, plus d’un demi-siècle de règne fut assez pour vivre le pire… Et le meilleur. Professeurs, historiens, auteurs, mais aussi un chirurgien et un chef cuisinier : douze témoins ont accepté de résumer Louis XIV en quelques lignes inédites qui répondent à la question : « Que représente Louis XIV à vos yeux ? ». Dans cette troisième partie : Philippe Pichot-Bravard, Reynald Secher, Jean-Paul Clément et Jacques Charles-Gaffiot.

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Le premier trait qui se présente à l’esprit lorsque l’on songe à Louis XIV est la très haute idée qu’il nourrissait de son métier de Roi. Tout au long de son règne, chaque jour, à chaque heure du jour, il a toujours été pleinement Roi, tout entier sacrifié au public, sacrifié à sa fonction, qu’il a exercé en s’imposant une discipline exceptionnelle, surhumaine. Lorsque l’on dit « le Roi », on pense d’abord à Louis XIV, de même que lorsque l’on dit « la Reine », on pense immédiatement à Marie-Antoinette.

Un si long règne présente nécessairement des fruits contrastés.

Au passif : l’acharnement injuste contre Nicolas Fouquet, la compression des libertés  des corps intermédiaires, provinces et Parlements, les dragonnades, l’incendie du Palatinat et la brutalité de la destruction de Port-Royal des Champs.

À l’actif : Versailles d’abord, sanctuaire de la royauté et vitrine de l’excellence française ; la Marine ensuite, portée à un degré de puissance et de magnificence rarement atteint dans l’histoire de France, illustrée par Duquesne, Jean Bart et Duguay-Trouin que le Roi anoblit pour les remercier des éminents services rendus au pays, illustrée aussi par Tourville, le vainqueur de Béveziers, le vaincu héroïque de La Hougue ; la cuirasse de pierre de Vauban qui protégea la France de toute invasion  jusqu’à la Révolution ; les grandes ordonnances juridiques, civiles et criminelles ; la création de la lieutenance générale de police de Paris qui assainit la grande ville de la criminalité endémique qui y régnait ; la succession d’Espagne, aboutissement de plusieurs décennies d’efforts diplomatiques et militaires.

La guerre de succession d’Espagne fut l’époque la plus difficile du règne ; elle révéla les grandes qualités du Roi. Face à l’adversité, Louis XIV fut alors très grand.  Souvenons-nous : les défaites qui s’accumulent, Fréjus et Lille aux mains de l’ennemi, le royaume menacé, le grand hiver qui gela les rivières, les fleuves et les semences, détruisit les arbres fruitiers et les vignes, les ennemis acharnés à se revancher qui exigent de Louis XIV prêt à beaucoup de concessions  pour  soulager  ses  peuples  des  sacrifices toujours plus lourds, réclamant du vieux  Roi toutes ses conquêtes, et même celles de ses prédécesseurs. Et comme si de telles épreuves ne suffisaient pas, la mort inopinée du Dauphin, du duc et de la duchesse de Bourgogne, du petit duc de Bretagne, du duc de Berry vinrent frapper le Roi de sa chair, dans ses affections paternelles, dans son souci constant de l’avenir  du royaume. De sa lignée légitime, Louis XIV ne conserva que Philippe d’Anjou, parti régner sur l’Espagne, et son arrière-petit-fils, le petit Louis qui devait lui succéder. Face à tous ces malheurs, le vieux Roi, toujours debout, digne et courageux, tenant ferme le gouvernail de l’État, trouva la force de stimuler le sursaut de ses peuples, de galvaniser sa noblesse et ses troupes, qui se sacrifièrent à Malplaquet avant de l’emporter à Denain, d’imposer ainsi à ses ennemis une paix de compromis.

Revenant sur ces années héroïques, le duc de Saint-Simon devait rendre à Louis XIV ce magnifique hommage : « Au  milieu de ces fers domestiques, cette  constance, cette fermeté d’âme, cette égalité extérieure, ce soin toujours le même de tenir tant qu’il pouvait le timon, cette espérance contre toute espérance par courage, par sagesse, non par aveuglement, ces dehors du même roi en toutes choses, c’est ce dont peu d’hommes auraient été capables, c’est ce qui aurait pu lui mériter le nom de Grand qui lui avait été si prématuré. Ce fut aussi ce qui lui acquit la véritable admiration de toute l’Europe, celle de ceux de ses sujets qui en furent témoins, et ce qui lui ramena tant de cœurs qu’un règne si long et si dur lui avait aliénés. Il sut s’humilier en secret sous la Main de Dieu, en reconnaître la justice, en implorer la miséricorde sans avilir aux yeux des hommes sa personne ni sa couronne ».

 Philippe Pichot Bravard, historien du droit

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Il est très délicat d’analyser en quelques mots Louis XIV et son règne.

Si nous ne pouvons que saluer l’homme de culture qui embrasse l’étendue des connaissances pour se les approprier et donner naissance à un style nouveau, dont on connaît la richesse, il en est tout autrement de l’homme politique et de guerre.

Sa volonté obsessionnelle de concentrer tout le pouvoir à Versailles sans tenir compte des héritages historiques a été très lourde de conséquences et indiscutablement, comme l’ont écrit bon nombre d’historiens, il est un des responsables, sinon le responsable du cataclysme révolutionnaire. En décapitant l’aristocratie et la noblesse, en la ruinant ou en l’achetant, il a tué le mode naturel de reproduction du pouvoir et de la pensée politique et a suscité bon nombre de haines qui vont faire le lit de la Révolution. Et que dire de ses guerres absurdes qui vont ruiner le royaume et des répressions terribles notamment en Bretagne avec l’affaire du papier timbré de 1675 : les descriptions laissées par les témoins oculaires préfigurent les horreurs de la Révolution.

 Reynald Secher, historien, écrivain et éditeur

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Louis XIV fut un grand roi, plus encore, le roi d’un grand Siècle, qui avait lentement muri avant de porter comme une corne d’abondance dans les mains d’un souverain mécène les œuvres extraordinaires, celles d’orateurs sacrés, peintres, sculpteurs, architectes, écrivains, poètes, fabulistes ; tous ces talents furent réunis pour faire rayonner la gloire du grand roi.

Cependant, deux grandes ombres offusquent un peu le soleil. La bulle Unigenitus (8 septembre 1713) arrachée au Pape Clément XI, qui fut à l’origine d’un déferlement de pamphlets, d’épigrammes et de traités signalant aux historiens la force des passions qui se sont déchainées alors. Toute cette bulle qui  condamnait le jansénisme, indisposa les prélats gallicans, faisant apparaître les ambigüités qui agitaient l’Église de France entre les ultramontanistes et les gallicanistes.

Pour le souverain, les jansénistes défiaient la conception des relations entre l’Église et l’État : les « refusants », groupés derrière le Cardinal de Noailles, se référaient à la déclaration des Quatre Articles, de 1682, et prétendaient être le fer de lance du gallicanisme en s’élevant contre les volontés du roi.

Au milieu des fêtes et des opéras…, « cet écho retentit comme des coups de marteau du prêtre sous les clous de la croix. Signal pour la terre de trembler, et pour le voile antique de se déchirer ». (E. Quinet)

La  toute  puissance pontificale affirmée ouvrait la voie d’une contestation générale de la société de l’Ancien Régime affirmant la supériorité de l’individu,de la prise de conscience sur les errements de l’Église officielle soutenue par un pouvoir  impuissant à réduire l’opposition. Les jansénistes — soutenus  par  les Parlements — composaient le bas clergé, à la portion congrue, qui rallia le Tiers État en 1789 et contribua largement à l’« assomption » des États Généraux d’ancien régime, en assemblée Constituante.

La seconde tache fut de construire cette merveille, d’où l’on vient du monde entier — Versailles. Hélas la volonté du roi d’installer le pouvoir hors de Paris, sa méconnaissance des peuples qu’il gouvernait, que le pouvoir intellectuel se concentrait à  Paris. Le roi mâta la haute noblesse frondeuse, mais ses successeurs, Louis XV et Louis XVI furent prisonniers de leurs intrigues, d’où une politique incohérente.

Ainsi, la grandeur incontestable de ce Louis XIV a considérablement ébranlé les assises mêmes de l’antique monarchie.

 Jean-Paul Clément, historien du droit

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Sorti de la gangue caricaturale qui entoure toujours la figure du Roi Soleil, Louis XIV apparaît de nos jours encore comme le fondateur de la France moderne : 

Il dessine ainsi les frontières presque définitives du pays, façonne une administration conçue pour être un efficace instrument au service du pouvoir politique, se pose en arbitre impartial dans les affaires intérieures du royaume, sacrifie sa personne à la fonction qu’il occupe, conserve un sens aigu des devoirs qui lui incombent, maîtrisant la musique et la danse, ses goûts esthétiques dans les Arts, les Lettres et les Sciences le portent dans des choix sûrs et  novateurs. Il sait  mettre un terme aux féodalités, aux intérêts corporatistes, pratique une parfaite galanterie tant vis-à-vis des plus humbles femmes de chambre que des duchesses les plus distinguées, bâtit les monuments les plus représentatifs de son siècle… La liste exhaustive de ses royales vertus serait encore bien longue !

Cependant Louis XIV n’a pas tout réussi ; il s’est trompé parfois. Mais à la grande différence de ceux qui, à notre époque, sont venus après lui, il n’a jamais menti pour gouverner et a su reconnaître publiquement ses erreurs en les regrettant sincèrement.

 Jacques Charles-Gaffiot, historien de l’art

Propos recueillis par Alphée Prisme


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