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Ex-libris. « L’incomparable Isabelle la Catholique », par Jean Dumont 

Jean Dumont, L’« incomparable » Isabelle la Catholique, Critérion, Paris, 1993.

Ce livre est un livre à lire absolument pour qui veut se faire une idée claire et juste d’un pan tout entier de l’histoire chrétienne et mondiale.

On fait un sort injuste et terrible à l’Espagne du siècle d’or, qui est victime du même traitement malhonnête que la Révolution française, celle-ci ayant droit à sa légende dorée ; celle-là à sa légende noire !

Jean Dumont (1923-2001) est un spécialiste de l’Espagne des XVe et XVIe siècles. C’est une référence dans les mondes universitaires américain et espagnol, mais, en France, il est surtout connu pour ses ouvrages jugés plus polémiques par l’intelligentsia (L’Église au risque de l’Histoire ; Pourquoi nous ne célèbrerons pas 1789, etc.). C’est peut-être d’ailleurs ce qui lui a permis de commettre quelques ouvrages de référence sans se préoccuper des risques : il avait sa place en Espagne et n’avait rien à perdre en France : son parcours nous rappelle ainsi à quel point il est important de fonder nos libertés dans des états de fait concrets, nous rendant de facto hors de la coupe de la terreur ambiante. Nous remarquons par ailleurs combien la parole était plus libre il y a une trentaine d’années. Les tendances idéologiques d’aujourd’hui, la pression sociale et la censure étaient pourtant déjà bien là.

L’« incomparable » Isabelle la Catholique, remarquable livre, traite synthétiquement et précisément de toutes les questions entourant la fondation de l’Espagne catholique du siècle d’or par Isabelle et Ferdinand, en abordant avec force et clarté les sujets « épineux » qui sont généralement utilisés pour salir cette Espagne forcément obscurantiste puisque très catholique : l’Inquisition et l’expulsion des juifs entre autres, mais aussi la Conquête américaine.

Isabelle la Catholique (1451-1504) est une sorte de Saint Louis espagnole. Elle a d’ailleurs failli être béatifiée par le pape Jean-Paul II au début des années 1990. Tout prouve sa grande sainteté et personne ne met celle-ci en doute, néanmoins le pape a cédé aux pressions médiatiques et politiques des lobbys juifs et anti-catholiques. Il a alors enterré le procès en canonisation d’une sainte honnie par les adversaires de l’Église.

Pourtant, pensez-y : Isabelle, en toute charité, a fait respecter la justice et mis le doigt où cela fait mal, car les juifs et certains conversos crypto-judaïsants représentaient un véritable problème dans l’Espagne de l’époque. Elle a, pour les adversaire du Christ, le grand tort d’avoir accompli une véritable Réforme catholique, un demi-siècle avant le concile de Trente, ce qui a évité tant les guerres de religion que la déliquescence de l’épiscopat, ce qui a encore permis la floraison d’un nombre incalculable de saints laïcs et religieux, qui ont pu partir évangéliser les Amériques et le reste de la Terre, apportant au bon Dieu une moisson d’âmes sans précédents ! Sans compter que le règne isabélin marque la fin de la Reconquista et du dernier royaume musulman de Grenade ! On imagine bien qu’Isabelle est une cible essentielle ! Il est triste de constater, néanmoins — mais cela était attendu dans le monde post-conciliaire — que le pape lui-même a donné du grain à moudre aux injustes détracteurs de la belle Isabelle la Catholique — dont le surnom est un titre officiel octroyé par l’Église Elle-même au XVe siècle !

Nous nous contenterons ici de relever quelques points qui nous ont particulièrement frappés dans cette étude, qui est certainement l’introduction la plus complète et la plus intelligente qui existe en langue française sur le sujet. Elle est d’autant plus bénéfique qu’elle ne prend pas de gants, ni n’use de circonvolutions langagières pour perdre ses lecteurs. Voici ces quelques points :

1) Il est frappant de constater que, comme pour l’avant réforme grégorienne des XIe-XIIe siècles ou la crise arienne des premiers siècles, le malaise dans l’Église de la fin du XVe siècle vient essentiellement du corps épiscopal et du relâchement de la discipline religieuse dans les monastères et les couvents : luxe, simonie et nicolaïsme étaient monnaie courante à l’époque.

2) Malgré tout, la foi demeurait vivace chez de nombreux catholiques. Ainsi, Isabelle la Catholique fut très catholique, sans pour autant se rebeller contre les autorités légitimes, et ce malgré leurs écarts et l’omniprésence des mauvais exemples. L’enfance d’Isabelle, en effet, avait été marquée par les guerres civiles entre féodaux et par la victoire de la jalousie, de l’hybris et de l’orgueil mondain sur la piété.

3) Durant son règne, Isabelle la Catholique réforma donc l’épiscopat et de nombreux ordres en Espagne, en collaboration avec le roi Ferdinand d’Aragon (la Castille et l’Aragon constituant la majeure partie de la péninsule). Notons que le fameux Alexandre VI, bien connu pour ses mauvaises mœurs et ses combines, fut aussi le pape qui confia aux rois espagnols toute la responsabilité de l’apostolat sur le Nouveau monde, de l’Inquisition et de la nomination des évêques en Espagne — pour le meilleur de l’Église ! Comme quoi, mauvaises mœurs et fermeté dans la foi ne sont pas forcément contradictoires : à l’époque, au moins, on savait faire la différence entre le devoir qui incombe à la fonction et les écarts personnels. Grâce à ces prérogatives, Isabelle et Ferdinand purent en quelques décennies assainir le corps épiscopal et la situation politique, tant face aux féodaux remuants qu’à certains conversos luttant contre la royauté et la foi.

4) Les grands saints, dont sainte Thérèse d’Avila, ainsi que de grands théologiens religieux ou laïcs étaient d’origine conversos. Le soutien actif de l’Inquisition a aussi été opéré par de nombreux conversos sincèrement convertis au catholicisme : connaissaient-ils mieux que les chrétiens de naissance, un peu naïfs, la dangerosité de certains de leurs ex-coreligionnaires ? Ferdinand d’Aragon lui-même avait du sang de conversos. Cela nous rappelle la position saine à avoir sur la question juive : il faut savoir que le judaïsme est foncièrement anti-catholique et dangereux — pour les juifs eux-mêmes, comme pour les catholiques —, mais la naissance ne condamne évidemment en rien. Au contraire, les véritables et authentiques juifs convertis étaient souvent bien plus fervents et purs que les chrétiens mondains… cela aussi nous évoque des choses connues de notre temps…

5) La situation juive en Espagne est intéressante : à la différence des autres royaumes catholiques d’Europe, où les juifs ne se sont jamais mélangés à la population de ces pays, qui les expulsaient régulièrement et les marginalisaient pour éviter les contaminations hérétiques, l’Espagne a intégré de nombreux convertis à sa société nobiliaire. Isabelle elle-même faillit être mariée à un très puissant conversos. Les familles de conversos sont souvent multiséculaires et se multiplièrent pendant la Reconquista, durant laquelle il n’y eut évidemment pas de conversions forcées. Toutefois, parmi eux, beaucoup de crypto-juifs furent suffisamment volontaires pour maintenir le judaïsme sur des générations et des générations !

La situation empira avec l’arrivée de nombreux réfugiés juifs non convertis, expulsés des différents pays catholiques d’Europe — par Philippe le Bel en France, par exemple. Jean Dumont les estime à 200 000 en 1494. Les contacts entre conversos et juifs augmentant, les cas d’hérésie judéo-chrétienne augmentèrent mécaniquement.

Il est intéressant de noter que l’expulsion s’est faite de façon mesurée, avec délai, et que les spoliations furent interdites. 100 000 juifs environ décidèrent de se convertir et 100 000 de partir (aucun mort à noter, on remarquera), mais sur ces 100 000 juifs exilés, la moitié revint et se convertit (à croire qu’il faisait moins bon de vivre en terre d’Islam qu’en terre catholique !).

6) Les libertés et les prérogatives des royaumes d’Espagne et des différentes villes et communautés n’ont jamais été entamées : vouloir lire cette époque comme celle d’une « modernisation » de l’État est d’un anachronisme sans nom !

7) Cette époque nous rappelle combien le rôle du pouvoir temporel est important, notamment dans son soutien à la foi (lutte contre les hérésies, contre la corruption de l’épiscopat…) et dans sa lutte contre les menaces extérieures (Islam ou judaïsme dans ce cas précis).

8) L’assainissement de la situation est aussi passé par le retour de la paix sur l’ensemble des territoires, grâce à la fondation de milices chrétiennes — Santa Hemadad — qui sécurisèrent les routes et les villes contre les brigandages.

9) Qu’Isabelle soit une femme est un non-sujet : elle fut une femme, mais une femme virile. Dans la titulature officielle, elle était d’ailleurs Roi et non Reine de Castille.

10) Isabelle la Catholique fut à l’origine des fondements de la conquête et de l’évangélisation américaine, qui fut une œuvre grandiose de justice et de charité (interdiction de l’esclavage et du trafics d’êtres humains, mise en place de l’encomiendas dans les seigneuries, etc.).

11) Nous remarquons aussi cet alliage intrinsèquement catholique de fermeté dans les principes, de réalisme dans la pratique et de charité : l’important, c’était de convertir aux principes évangéliques, pas de rester sur des effets de langages qui ne se réalisent jamais ! Et c’est ce qui fut fait.

Ces onze points ne remplaceront pas la lecture de ce livre magnifique, loin de là. Celui-ci vous permettra d’acquérir de bonnes bases historiques sur la réalité de l’Espagne de l’époque, mais aussi de nombreux enseignements pour notre époque propre !

Pour finir, nous aimerions dire que ce livre peut être un bon médicament contre les tendances « nationalistes » ou « chauviniste » dont nous sommes forcément peu ou prou victimes (et cela est naturel), mais qui poussent à prendre « parti » pour un pays contre un autre, ici le « méchant » empire de Charles V contre la « pauvre » France : ce schéma est tout à fait faux. À l’époque, cela est encore (mais plus pour longtemps, malheureusement) un non-sujet. L’obsession des Rois Catholiques de la Péninsule étaient la justice et la charité, comme chez Saint Louis avant eux, en un temps où la France s’écartait quelque peu du modèle christique. Alors, ne passons pas à côté des si riches enseignements que nous offre l’Espagne du siècle d’or pour des disputes de chapelles.

Nous autres, légitimistes, nous savons combien les relations entre les royaumes français et espagnols sont importantes pour nos deux pays et pour l’Église universelle, aujourd’hui encore ! Notre roi, Louis XX, n’est pas né en Espagne pour rien !

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !

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