CivilisationHistoire

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (2)

Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.

Centre d’Etudes Historiques

1661, la prise de pouvoir par Louis XVI.

Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)

Collectif, Actes dela XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p.119-162.

Par l’abbé Christian-Philippe Chanut

Qu’il pensât sérieusement revenir ou non à Rome, le cardinal Mazarin y engloutit des fortunes pour reconstruire somptueusement le palais Bentivoglio, sur le Monte-Cavallo, acheté au duc d’Altemps. En quelque situation qu’il se trouvât, le cardinal Mazarin fut toujours friand des nouvelles romaines que ne manquait pas de lui faire acheminer son père et toutes sortes de connaissances, singulièrement l’abbé Elfridio Benedetti, son ami d’enfance, qui était à Rome son agent et son homme d’affaires, avant que d’être son biographe[1].

Bien qu’il soit né dans les Abruzzes (14 juillet 1602), à Pescina, où sa mère avait prudemment fui chez son frère (l’abbé Bufalini) les grosses chaleurs romaines, Guilio Mazarini est un « Romano di Roma » dont le cœur bat à l’unisson de la Ville Éternelle, surtout lorsqu’il en est éloigné, ce dont témoignent les vastes restes de sa foisonnante correspondance. Il aime passionnément tout de cette Rome baroque qui ne se peut comprendre autrement que par l’Église omniprésente et toute-puissante. Cependant, il ne s’agit pas d’une vieille institution routinière et dépassée qui s’échinerait à rassembler les derniers pans épars de ses splendeurs passées ; tout au contraire, il s’agit d’une Église renouvelée et affermie par le concile de Trente qui, les bras grands ouverts au monde entier, communique son exubérance à tous les travaux de sa société. Rome est un interminable chantier où s’entremêlent tous les arts et toutes les sciences, tous les savoir-faire et tous les savoir-vivre, pour l’illustration et le rayonnement de la foi catholique. Régnant au-dessus de cette inextricable complexité de mouvements, d’ambitions et d’intérêts, le Pape, seul et absolu, fait et tient l’équilibre temporel de ses États qu’il accorde avec les grâces éternelles, par un pragmatique mélange d’arbitraire et de légalisme, sans brutalité ni faiblesse ; personne ne s’offusque que, pressé par la nécessité et les circonstances, le Pape décide « spra jus, contra jus, extra jus ». Si l’Église y trouve son compte, pour s’attacher des talents ou parvenir à ses fins, le pouvoir pontifical est disposé à bien des accommodements, des permissions et des concessions, mais il ne fait pas bon à passer outre : le capitole reste toujours proche de la roche tarpéienne. À titre de témoin, la Secrétairerie des Brefs ne conserve pas moins de cinq indults « extra tempora » (26 novembre 1642, 19 novembre 1643, 5 mars 1645, 24 novembre 1646, 5 mars 1648) que Mazarin, simple tonsuré, a sollicité pour obtenir qu’on lui allonge les délais pour recevoir le diaconat, puisqu’une constitution de Sixte-Quint, datée du 3 décembre 1586, stipule qu’au conclave, un cardinal-diacre ne peut avoir voix active (élire) et passive (être élu) qu’il est ordonné diacre dans l’année de sa promotion[2].

Or, sur cet ensemble compliqué à souhait où s’épuisent en détails les ambitions concurrentes, est puissamment étendue la main souveraine de l’Espagne qui prétend être, dans le monde entier, le champion providentiel et l’épée invincible du catholicisme. Directement ou indirectement, l’Espagne enserre les États pontificaux dont elle protège l’intégrité mais dont elle peut aussi bien empêcher les entreprises. Quelles forces militaires et quels alliés durables, hormis le lointain royaume de France, le Saint-Siège pourrait-il bien opposer à L’Espagne qui, en Italie, possède en propre la Lombardie et le royaume des Deux-Siciles ? Quant aux États italiens, généralement vassaux de l’Empereur, pour qu’ils se puissent entendre, ne pèseraient pas lourd contre les Habsbourg réunis. La Sérénissime République de Venise ne songe qu’à ses intérêts commerciaux et ne hasarde qu’à coup sûr, tandis que le duc de Savoie, comme Louis XIV le soulignera plus tard, ne finit jamais une guerre dans le camp où il l’a commencée. Quoi qu’on en puisse dire, aucun des papes successifs, lui devrait-il son élection, ne se satisfait pas de cette domination espagnole, d’autant moins qu’elle est indiscrète, souvent sans nuance et volontiers menaçante. Gardant « belle figure », ils font avec (comme dit le populaire), usant de toutes les manœuvres et de tous les artifices possibles pour affaiblir, sans la rompre, cette lourde alliance inégale. Cette entreprise de bascule politique est d’autant plus délicate que beaucoup de loyaux sujets du Saint-Siège n’imaginent pas un instant que ses objectifs ne coïncident pas exactement avec ceux de l’Espagne. Vous seriez bien mal venus de reprocher aux sujets du Pape ce qui est l’avis de la grande majorité des dévots catholiques européens, même dans la France en guerre contre l’Espagne, nous verrons bientôt qu’il y suffit d’envisager une paix blanche avec l’Espagne pour obtenir un brevet de dévotion.


[1] Elfridio Benedetti : « Raccolta di diverse Memorie per scrivere la vita del cardinale Mazarini,romano, primo ministro di Stato nel regno di Francia.  »

[2] Madeleine Laurain-Portemer : « Le statut de Mazarin dans l’Église ; aperçu sur le haut-clergé de la Contre-Réforme », bibliothèque de l’École des Chartes, 1970.

Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

 La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3) 

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (2/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (3/3)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (1/2)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (2/2)

Louis XIV au Château de Vincennes (1/3)

Louis XIV au Château de Vincennes (2/3) 

Louis XIV au Château de Vincennes (3/3) 

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (1/2)

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (2/2)

La collection de tableaux de Louis XIV

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (1)

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