Histoire

[CEH] La mission Sixte. Partie 2 : La tentative de médiation des frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme

Sixte et Xavier de Bourbon-Parme

La mission Sixte :
La tentative de paix de l’Empereur Charles Ier

Par Tamara Griesser-Pecar

► Consulter la première partie du dossier – Introduction / Partie 1 : Une volonté de paix

Partie 2 : La tentative de médiation des frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme

L’Autriche-Hongrie, à la différence de l’Allemagne, n’avait qu’un seul but de guerre : la préservation de la monarchie austro-hongroise. Mais même celui-ci semblait menacé au plus haut point en cette année 1916 où Charles assuma la plus haute fonction. Il convenait donc d’atteindre une paix de compromis avant que la situation des puissances centrales ne devienne sans issue. À cette occasion, l’Empereur Charles se servit de ses beaux-frères Sixte et Xavier, princes de Bourbon-Parme, pour nouer les contacts correspondants avec les responsables politiques français et britanniques.

On prétendit plus tard que Charles avait été sous l’emprise de sa femme Zita, née princesse de Bourbon-Parme (1892-1989) et qu’il aurait écouté de manière bien trop amène les suggestions de la famille de Parme. Zita l’aurait contrainte à cette initiative en faveur de la paix. Mais cela est faux. Le couple impérial était uni quant aux buts et à la manière de les poursuivre. Avant tout dans la question de la recherche de la paix et de l’attitude envers leur allié, il y eut dès le début une harmonie exempte du moindre trouble entre les époux. Charles essaya de gagner son allié allemand à faire un tel pas en faveur de la paix. Sûrement, l’influence de Zita et le fait qu’elle appartenait à la famille de Bourbon-Parme jouèrent de manière décisive sur l’Empereur, mais pas dans le sens où le monarque n’aurait été incité à essayer cette initiative en faveur de la paix sous la pression de son épouse. Beaucoup plus, l’arrière-plan familial et programmatique qui venait du côté de Zita donnèrent-ils une forme concrète aux intentions pacifiques de l’Empereur.

Déjà peu après que la guerre eut éclaté en 1914, Charles qui n’était alors que l’héritier du trône intervint auprès de François-Joseph, afin que les frères de Zita, Sixte et Xavier, pussent quitter l’Autriche-Hongrie. Ils projetaient en effet de s’engager dans l’armée française. Les deux princes n’étaient pas seulement Français et de grands patriotes, mais aussi des membres de la famille des Bourbon qui s’engageaient pour le retour de leur dynastie sur le trône de France. C’est surtout Sixte qui s’exposa particulièrement en la matière. Le prince Sixte avait essayé de fonder la légitimité de la royauté des Bourbon et la prétention à la nationalité française de tous les Bourbons vivants à l’étranger dans sa thèse de doctorat intitulée « Le Traité d’Utrecht et les lois fondamentale du Royaume » qu’il défendit le 26 mai 1914 à la faculté de droit de la Sorbonne. Après la loi de 1889, les Bourbons — la même chose valait aussi pour les Bonaparte — n’avaient pas le droit de servir dans l’armée française. C’est pourquoi les princes furent éconduits de la caserne de Paris (Bois). Pas même la Croix-Rouge ne les accepta puisqu’elle avait été placée sous commandement militaire.

Mais parce que la reine des Belges était une cousine des princes, les deux hommes furent finalement admis dans l’armée belge. Mais Sixte eut alors un accident avec un véhicule militaire dans les environs de Calais, alors qu’il se trouvait en route pour rejoindre le roi Albert des Belges. Cela dura des mois avant qu’il pût être incorporé dans l’armée belge. Il put se reposer à Pianore près de Viareggio où il avait passé les mois d’été de son enfance. C’est là que ses pensées tournaient autour de l’avenir si inquiétant de l’Autriche où — exactement à Schwarzau en Basse-Autriche — il avait toujours passé l’hiver avec ses parents et frères et sœurs. Il était persuadé que l’Autriche-Hongrie devait desserrer l’étreinte allemande. Depuis Pianore, Sixte envoya une note au Pape qui lui parvint le 30 janvier et dans laquelle il exprimait sa conviction que la destruction de l’Autriche ne pourrait être évitée que par une paix séparée. Il pria le Pape de servir d’intermédiaire. Le Pape Benoît XV reçut le Prince le 25 mars 1915. Comme Sixte savait que le temps pressait, il noua rapidement contact, avec l’aide d’amis français influents, avec les cercles gouvernementaux français, auxquels il dépeignit la situation dans la Monarchie danubienne. Il y soulignait aussi sa proximité avec son beau-frère et sa sœur Zita. Mais en tant que Français, il représenterait toujours en première ligne les intérêts de la France[1]. Effectivement, les membres de la famille de Bourbon-Parme conservèrent durant toute la durée de la guerre un contact épistolaire par-dessus les lignes du front, via le Luxembourg et la Suisse.

Déjà lorsque l’Empereur Charles monta sur le trône en 1916, des cercles français qui connaissaient les relations amicales entre l’Empereur Charles et les frères de l’Impératrice Zita, prirent attache avec le Prince sans toutefois l’encourager à une action immédiate. À peu près à la même époque, Vienne s’activa aussi. Zita écrivit à son frère Sixte une lettre dans laquelle elle le pria d’établir des contacts avec les Français. Plus tard, l’Impératrice souligna avec la plus grande clarté que c’était le monarque lui-même qui l’avait prié explicitement de rédiger cette lettre[2]. La mère de Zita, Maria-Antonia, duchesse de Parme, assuma le rôle de médiatrice puisqu’elle pouvait voyager sans encombre en Suisse et dans d’autres pays. Elle rencontra des le plus grand secret ses fils Sixte et Xavier le 29 janvier 1917 à Neufchâtel en Suisse, après qu’elle écrit le 4 et le 15 décembre à Sixte et au couple royal belge, d’instantes lettres desquelles on pouvait déduire qu’il ne s’agissait pas seulement de l’aspiration compréhensible d’une mère à revoir ses fils mais que quelques buts politiques se cachaient derrière. Elle remit à ses fils la lettre de Zita et leur communiqua que l’Empereur souhaitait leur parler dans les plus brefs délais pour discuter avec eux toutes les différentes possibilités de paix. Mais cela n’était possible que si Sixte et Xavier allaient à Vienne[3]. Les deux frères s’y résolurent après que Charles leur eut envoyé en Suisse un délégué qui leur esquissa les conceptions du couple impérial. Mais ils contactèrent avant le gouvernement français.

L’envoyé de l’Empereur, le comte Tamas Erdödy, un ami de l’Empereur depuis ses jeunes années, rencontra deux fois en février 1917 les princes de Bourbon-Parme en Suisse. Il était muni de lettres secrètes de l’Empereur, du ministre des Affaires étrangères Czernin et de l’Impératrice. Après discussions à Paris avec les principales instances dirigeantes, avant tout avec le président Raymond Poincaré, les deux princes se décidèrent à ce voyage aventureux vers Vienne-Laxenbourg. Là, ils parlèrent au couple impérial et au comte Czernin. La lettre politiquement si essentielle avec laquelle ils revinrent finalement en France et dans laquelle l’Empereur autrichien mettait en perspective la restauration de la souveraineté belge, fut remise au président français le 31 mars. Celui-ci se mit aussitôt en relation avec le roi Georges V d’Angleterre. Dans sa lettre rédigée le 24 mars 1917 à Laxenbourg, Charles déclarait entre autres :

« J’appuierai, par tous les moyens et en usant de toute mon influence personnelle, auprès de mes alliés, les justes revendications françaises relatives à l’Alsace-Lorraine »[4].

Il y eut de toutes parts des spéculations sur l’auteur de cette lettre, puisque le style se distinguait de celui de l’Empereur et que des doutes dominaient pour savoir si ses connaissances en français écrit lui permettaient de s’exprimer de manière suffisamment adroite. Et l’Impératrice n’avait pas de pratique suffisante dans la manière de s’exprimer propre aux politiques. Sixte affirma plus tard que la missive était déjà prête lorsqu’il arriva le soir à Laxenbourg. L’Impératrice rapporta de nouveau plus tard, alors qu’elle était déjà âgée — entre autres devant moi, l’auteur de cette contribution — que l’Empereur avait passé tout le 24 mars, à formuler et rédiger que la lettre avait été écrite « d’accord avec son ministre responsable »[5]. Plus tard, Czernin contestera avoir jamais eu connaissance de cette lettre. Qu’en outre le Prince y eût sa part semble avéré, puisque la lettre ressemble à un brouillon du Prince en date du 18 mars 1917.

Dans les papiers trouvés à la mort d’Alois Musil, le prêtre et proche confident du couple impérial, on trouve une explicitation manuscrite tout à fait succincte suivant laquelle Musil avait écrit la lettre à Sixte[6]. Mais il n’y a jusqu’à ce jour aucune autre preuve que Musil aurait effectivement était présent. Mais on ne peut pas exclure qu’il eût aidé l’Empereur, même seulement pour rédiger, car Charles ne pouvait pas s’adresser à un serviteur de la cour dans une mission aussi secrète et délicate. Il importe finalement peu qui a pu aider l’Empereur pour rédiger ou traduire en français. Ne fut écrit et signé que ce qui pouvait représenter l’Empereur lui-même et sa propre conscience.

Pendant que les Princes essayaient encore de préparer des pourparlers entre les Alliés et l’Autriche-Hongrois, la France avait connu un tournant fatidique. Le gouvernement d’Aristide Briand devait céder la place au cabinet d’Alexandre Ribot. Ce changement au sommet politique de la France eut des conséquences néfastes sur les efforts de paix du couple impérial. Encore en son grand âge Zita accusait cette circonstance d’être effectivement responsable de l’échec de toute la mission. Car Ribot n’accordait que peu de crédit aux activités secrètes autrichiennes. Cependant, Sixte partit le 11 avril 1917 pour l’Angleterre pour rencontrer le premier ministre Lloyd Georges. Celui-ci étonné s’écria :

« Mais cela signifie alors la paix ! »[7].

Cependant il en alla tout autrement. Même un second voyage du Prince à Vienne et une nouvelle lettre personnelle de l’Empereur du 9 mai 1917 n’apportèrent pas la paix. Le nouveau gouvernement français se mettait en travers tout comme l’Italie à laquelle les Alliés, par le traité secret de Londres du 26 avril 1915 (que Charles et Zita ignoraient) avaient promis le Tyrol jusqu’au Brenner, et en outre le port adriatique de Trieste, une bonne partie de l’Istrie et la moitié de la Dalmatie.

Le premier acte du drame de Sixte fut ainsi rempli d’essais désespérés pour mettre un terme lorsqu’il était encore possible à une guerre mondiale criminelle. Les efforts échouèrent. Dix millions de morts demeurèrent sur les champs de bataille, des trônes s’écroulèrent, de nouveaux systèmes et des mouvements se diffusèrent, de nouveaux débuts, de nouvelles agressions, de nouveaux ordres en Europe — et une paix dictée par les Alliés qui camouflait en germe de nouvelles crises profondes, finalement une seconde guerre mondiale encore plus terrible.

Le caractère particulièrement tragique de la mission Sixte est que précisément la volonté de paix a accéléré et scellé la chute de l’Empire multinational — et cela constitue le second acte de la tragédie. Dans les deux actes du drame, le couple impérial autrichien joua le rôle principal. Dans le premier acte le Prince Sixte joua le premier second rôle tandis que dans le second acte, ce fut le comte Czernin qui avait été impliqué de manière déterminante dans les tentatives de paix de 1917[8].

À suivre…

Pr. Tamara Griesser-Pecar
Docteur en histoire
Docent de l’Université de Nova Goriça (Slovénie)

Traduction depuis l’allemand par M. l’abbé Cyrille Debris


[1] Tamara Griesser-Pecar, Die Mission Sixtus. Österreichs Friedensversuch im Ersten Weltkrieg, Amalthea, Vienne-Munich, 1988, p. 46-64.

[2] Zita répondit aux questions de l’auteur le 21 mai 1984. cf. Tamara Griesser-Pecar, Zita. Die Wahrheit über Euzropas letzte Kaiserin, Bergisch Gladbach, 1992, p. 125.

[3] Philipp Amiguet, La vie de Prince Sixte de Bourbon, Paris 1934, p. 82 ; Griesser-Pecar, Die Mission Sixtus, p. 71.

[4] Griesser-Pecar, Die Mission Sixtus, p. 138-141 et p. 145-146.

[5] Sixte de Bourbon-Parme, L’Offre de paix séparée de l’Autriche, Paris 1920, p. 94. ; Arthur Graf Plzer-Hoditz, Kaiser Karl Aus der Geheimmappe seines Kabinettchef, Vienne, 1980, p. 147.

[6] K. J. Bauer, Alois Musil. Wahheitssucher in der Wüste, Wien 1989, p. 287.

[7] T. Griesser-Pecar, Die Mission Sixtus, p. 181.

[8] Ibidem, p. 253.


Publication originale : Tamara Griesser-Pecar, « La mission Sixte : la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », dans Collectif, Actes de la XXe session du Centre d’Études Historiques (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle, CEH, Neuves-Maisons, 2014, p. 137-157.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5-6).

Avant-propos, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

« Naples et Rome, obstacles à l’unité politique de l’Italie », par Yves-Marie Bercé (p. 13-26).

« Le roi Juan Carlos et les Bourbons d’Espagne », par Jordi Cana (p. 27-35).

« Deux décennies de commémorations capétiennes : 1987, 1989, 1993, 2004, etc. », par Jacques Charles-Gaffiot (p. 37-49).

« L’abrogation de la loi d’exil dans les débats parlementaires en 1950 », par Laurent Chéron (p. 51-67)

► « De Gaulle et les Capétiens », par Paul-Marie Coûteaux (p. 69-97) :

« De Chateaubriand à Cattaui : Bourbons oubliés, Bourbons retrouvés », par Daniel de Montplaisir (p. 99-108).

►  « Les relations Église-État en Espagne de 1814 à nos jours », par Guillaume de Thieulloy (p. 109-124) :

► « Autour du livre Zita, portrait intime d’une impératrice », par l’abbé Cyrille Debris (p. 125-136) :

► « La mission Sixte: la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », par le Pr. Tamara Griesser-Pecar (p. 137-156) :

Consulter les articles de la session précédente :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

Une réflexion sur “[CEH] La mission Sixte. Partie 2 : La tentative de médiation des frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme

  • Pierre de Meuse

    Il me semble qu’un erreur de Sixte fut de s’adresser à des hommes qui n’avaient pas les mains libres, comme Poincaré, alors que l’internationale pacifiste tenait ses assises à La Haye. Toutes les démarches des deux frères étaient communiquées le jour même à Sonnino et Clemenceau, partisans acharnés de la destruction de l’Autriche. De plus, les mouvements français qui auraient pu être favorables à cette paix séparée étaient intoxiqués par le même Clemenceau, qui leur faisait croire que la démarche était animée en sous-main par l’Allemagne. Il aurait fallu leur ouvrir les yeux mais Sixte ne le voulut pas.

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