Histoire

[CEH] Le Prince Xavier de Bourbon-Parme, du premier conflit mondial à Dachau

Le Prince Xavier de Bourbon-Parme, du premier conflit mondial à Dachau, de la France à l’Espagne

Par le Docteur Jean-Yves Pons

Le prince François-Xavier de Bourbon-Parme ou Francisco Javier de Borbon-Parma y Braganza est né le 25 mai 1889, cinquième fils de Robert de Bourbon, duc de Parle et de Plaisance, et de Maria Antonia de Bragance, princesse du Portugal et sœur de Marie-des-Neiges de Bragance, épouse du dernier roi carliste d’Espagne Alfonso-Carlos Ier.

Il passe la plus grande partie de sa jeunesse en Italie, en Autriche et en France (où il fut diplômé en sciences politiques et en agronomie).

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, le prince à 25 ans. Son frère Sixte dont il sera le plus proche en a 28. Ces deux principes sont alors les seuls de leur fratrie à vouloir s’engager dans l’armée française. Les autres choisissent l’armée austro-hongroise, alliée de l’Allemagne. Rappelons qu’en 1911 leur sœur Zita avait épousée l’archiduc d’Autriche Charles, petit neveu de l’empereur François-Joseph et futur empereur Charles Ier à la mort de celui-ci en 1916.

Mais, le gouvernement français rejette leur demande en vertu de la loi d’exil de 1886, qui interdit à tous les hommes appartenant aux familles royales ou impériales ayant régné sur la France de servir dans l’armée française.

Leur requête est alors acceptée par le roi des belges Albert Ier (dont l’épouse Élisabeth est une de leur cousine) et les deux princes serviront en Belgique tout au long de la guerre. Le prince Xavier finira la guerre avec le grade de capitaine d’artillerie et ses actes de bravoure au combat lui valurent les croix de guerre belge et française ainsi que la croix de Chevalier de l’ordre Léopold II.

Dès son avènement à la fin de l’année 1916, l’empereur Charles Ier d’Autriche souhaite mettre un terme à l’alliance de son pays avec l’Allemagne pensant ainsi hâter la fin d’une guerre, non seulement fratricide entre les nations européennes mais horriblement coûteuses en vies humaines et destructions en tout genre. Il tente alors de négocier secrètement une paix séparée avec la France et charge début 1919 ses deux beaux-frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme de cette mission soutenue par le roi Albert Ier de Belgique et le gouvernement belge de Charles de Brocqueville.

C’est le début de ce que l’on appellera « l’Affaire Sixte ».

Les princes consultent dès février 1917 le gouvernement français puis remettent à l’empereur les préalables de celui-ci : la restitution de l’Alsace et de la Lorraine à la France sans compensation, le rétablissement de la Belgique (gardant le Congo) par l’Allemagne et de la Serbie par l’Autriche. Ces conditions sont globalement acceptées par Bienne et l’idée d’une paix séparée est alors sérieusement envisagée par les deux parties. D’autant que l’empereur charge les princes d’une lettre autographe destinée au président Poincaré et dans laquelle il déclare accepter les demandes françaises, sans toutefois aborder la question d’éventuelles exigences italiennes.

Hélas, l’essentiel des difficultés en vue de cet accord viendront de l’Italie, même si l’on doit y ajouter l’antipathie du président du Conseil français Ribot puis de son successeur Clemenceau vis-à-vis de l’empire austro-hongrois.

L’Italie, qui ne fut pas informée par l’Autriche de ces négociations, le fut par Ribot lui-même en contradiction avec les accords initiaux qui n’impliquaient que l’Autriche, la France, l’Angleterre et la Belgique.

Par l’intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, Sonino, le gouvernement italien, protégé par la France, fait monter les enchères en exigeant en échange de la paix la cession par l’Autriche du Trentin de langue italienne, de Trieste, de la Dalmatie et des îles dalmates. Demandes pourtant non soutenues par le roi Victor Emmanuel qui fait lui-même des ouvertures séparées à Vienne !

Charles Ier accepte cependant quelques compensations pour l’Italie en échange de la garantie du statu quo de la monarchie austro-hongroise en cas d’agression allemande. Il confie aux princes une seconde lettre autographe en ce sens destinée à Paris.

Au cours de l’entretien qu’ils ont avec Poincaré et Ribot, ce dernier se montre de plus en plus réticent et produit de nouvelles exigences Les princes communiquent alors le courrier de l’empereur au roi George V de Grande-Bretagne et à son premier ministre Lloyd George qui propose une rencontre à Compiègne des deux rois (de Grande-Bretagne et d’Italie) et de leur ministre pour clarifier la position italienne.

L’Italie ne répond pas à la proposition et, de ce fait, ni Paris ni Londres ne donnent suite à la lettre de Charles Ier en-dehors de l’affirmation suivante de Ribot à la chambre des députés le 22 mai 1917 :

« Les empires centraux viendront demander la paix, non pas hypocritement comme aujourd’hui, par des moyens louches et détournés, mais ouvertement… »

Quels « moyens louches et détournés », en effet, qu’un empereur d’Autriche marié à une princesse française et des princes de Bourbon !

D’ailleurs, Anatole-France exécuta Ribot de ce trait sans appel :

« Ribot est une vieille canaille d’avoir négligé pareille occasion. Un roi de France, oui un roi de France, aurait eu pitié de notre pauvre peuple exsangue, exténué et n’en pouvant plus ».

Ajoutant :

« L’empereur Charles a offert la paix ; c’est le seul honnête homme qui est paru au cours de la guerre ; on ne l’a pas écouté ».

Charles Ier tente alors une ultime proposition pour amener l’Allemagne à la paix en écrivant à son ami le prince impérial d’Allemagne :

« Malgré les efforts surhumains de nos troupes, la situation de l’arrière exige absolument une fin de la guerre dès avant l’hiver… J’ai des indices sûrs que nous pourrions gagner la France à notre cause si l’Allemagne pouvait se résoudre à certains sacrifices territoriaux en Alsace-Lorraine. Si nous gagnons la France alors nous sommes victorieux… aussi je te prie, en cette heure décisive pour l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, de penser à la situation générale et d’unir tes efforts aux miens pour terminer rapidement la guerre avec honneur. »

Cette lettre reste sans effet dans une Allemagne soumise à la dictature de Ludendorff qui persiste à croire la victoire finale.

Et pendant ce temps-là, les soldats continuent de mourir…

Début décembre 1917, les États-Unis, au prétexte qu’elle « n’est pas sa propre maîtresse mais la vassale du gouvernement allemand », déclare la guerre à l’Autriche. Les pangermanistes autrichiens reprennent alors la main avec à leur tête le comte Czernin, ministre des affaires étrangères. Et Charles Ier ne parvient plus, malgré sa bonne volonté, à imposer ses vues en faveur de la paix.

Pensant peut-être mettre au terme aux efforts de l’empereur et des princes Bourbon-Parme après des gouvernement de l’Entente, le comte Czernin déclenche alors un cataclysme. Le 2 avril 1918, dans une déclaration devant les représentants du conseil municipal de Vienne, il prétend que la France, par la voix de Clemenceau, a pris l’initiative de pourparlers de paix qui ne pouvaient aboutir du fait d’exigences portant sur la restitution de l’Alsace et de la Lorraine. En vérité, Czernin faisait là allusion à d’autres pourparlers secrets qu’il avait entamés de sa propre initiative et s’en en référer à l’empereur.

Devant de telles allégations, Clemenceau s’emporta et répondit :

« Le comte Czernin a menti ! ».

Il s’ensuivit une guerre de communiqués qui aboutit à la publication par Clemenceau (malgré les engagements de confidentialité de Poincaré) de la première lettre de l’empereur. Une campagne hostile à celui-ci, orchestrée par Ludendorff et les pangermanistes autrichiens, se déchaîne alors.

L’empereur parvient malgré tout à limoger Czernin mais le mal est fait. Les conséquences de la publication de la lettre impériale sont dramatiques pour l’Autriche malgré les tentatives du ministre américain des Affaires étrangères Robert Lansing, qui déplore le gâchis occasionné par Clemenceau (qu’il dénonce d’ailleurs comme « un acte d’une bêtise révoltante »). Dans une lettre à l’empereur d’Allemagne, Charles Ier annonçait de façon prémonitoire : « Si les monarques ne font pas la paix, les peuples la feront. » La reconnaissance par les alliés du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes signa en effet la fin de l’État multinational qu’était l’empire austro-hongrois.

En 1918, le prince Sixte est fait prisonnier sur le front Italien. Il sera libéré l’année d’après alors que l’Autriche et la Hongrie se sont séparées et que la république y a été proclamée, en conformité avec les traités de Saint-Germain de septembre 1919 puis de Trianon de juin 1920.

En novembre 1919, le prince Sixte de Bourbon-Parme épouse à Paris Hedwige de la Rochefoucauld-Doudeauville.

En novembre 1927, c’est au tour du prince Xavier de se marier, au château de Lignières, avec Madeline de Bourbon-Busset (brache non dynaste quoique aînée de la maison de Bourbon, issue de l’union controversée de Louis de Bourbon, prince-évêque de Liège avec Catherine d’Egmont).

Lors de la guerre civile d’Espagne nous avons vu le rôle déterminant joué par le prince Xavier à la tête des troupes carlistes du nord. Il en est le commandant en chef en 1936.

Lorsque la seconde guerre mondiale éclate, le prince Xavier rejoint Bruxelles et intègre l’armée belge (dont il était officier durant la guerre de 1914-1918) avec le grade de colonel au sein de la IVe division belge. Sous les coups de l’envahisseur allemand, la Belgique est rapidement défaite. Le prince Xavier se réfugie en France avec les restes de sa division qui sont incorporés à la 39ème division française. Mais, à ce moment-là, le roi Léopold III de Belgique confie au prince une mission d’information du gouvernement français sur la situation désespérée de son pays. Le prince Xavier rencontra Paul Raynaud, le président du Conseil, qui lui apparut à la fois sans information précise sur la situation du front belge et, en tout état de cause, incapable de proposer la moindre résistance.

Après la signature de ‘Armistice, le prince Xavier fut démobilisé et rejoignit le maquis en bourbonnais, à proximité du château de Bostz où il résidait avec sa famille. Il y crée un comité d’aide aux réfractaires du STO mais, en même temps, il fut agent de liaison entre le gouvernement britannique et le régime de Vichy.

En juin 1944, grâce à ses relations avec Vichy, il obtient la libération de deux jeunes résistants arrêtés par les Allemands, mais, un mois plus tard, il est lui-même arrêté par la Gestapo et déporté au camp de Dachau où il fut compagnon de déportation d’Edmond Michelet qui présidait le Comité patriotique de Dachau (organisation de retour des déportés français et espagnols).

Le prince est libéré par les troupes américaines en mai 1945 (alors qu’il avait été transféré au Tyrol) et rapatrié sur le Bourbonnais après une étape en Sicile où on put constater un sévère amaigrissement (il ne pesait plus que 38 kilos après son année de captivité).

Dès 1945, le prince Xavier reprend, comme nous l’avons vu, le flambeau carliste en Espagne divisée entre les alphonsistes, ralliés depuis la mort d’Alphonse XIII à son fils le comte de Barcelone, et les carlocatavistes de Charles de Habsbourg-Toscane.

Il rejoint régulièrement l’Espagne et en 1952 la Communion traditionaliste déclare officiellement que le prince Régent, depuis la mort d’Alfonso-Carlos, devient le roi Javier Ier héritier légitime de la succession carliste.

Une petite parenthèse historiquement très significative concernant la vocation de messager du prince Xavier mérite ici d’être faite : le 28 mars 1946, à Rome, le duc de Ségovie (grand-père de Monseigneur le prince Louis) décida de prendre le titre de duc d’Anjou porté jadis par le roi Philippe V avant de monter sur le trône d’Espagne. Il chargera alors son cousin le prince Xavier de Bourbon-Parme de transmettre sa déclaration aux cours européennes ainsi qu’une lettre aux cadets de la maison de Bourbon.

En 1956, le prince Xavier est définitivement expulsé d’Espagne.

En 1974 au décès de son neveu Robert II il devient duc titulaire de Parme et de Plaisance mais, meurtri par les divisions souvent violentes qui brisent la famille de Bourbon-Parme au sujet du carlisme, il finit par renoncer à la lutte et abdique le 8 avril 1975 en faveur de son fils aîné Charmes-Hugues. Non pas parce qu’il adhère aux réformes voulues par ce dernier mais par respect de la primogéniture.

Le prince Xavier sera particulièrement blessé par la violence du conflit entre le prince Charles-Hugues tenant d’une ligne moderniste aux couleurs socialistes et Sixte-Henri, son dernier fils, fidèle aux principes traditionalistes du carlisme. L’affaire de la réunion de Montejurra en mai 1976 (qui fit deux morts et de nombreux blessés) en fut le sommet.

C’est dans ce contexte de désunion familiale et, disons-le, de deuxième mort du carlisme, que le prince Xavier de Bourbon-Parme décède le 7 mai 1977 d’une crise cardiaque alors qu’il rendait visiter en Suisse à sa sœur l’impératrice d’Autriche Zita.

Jean-Yves Pons
Conseil dans l’Espérance du Roi


Publication originale : Jean-Yves Pons, « Le Prince Xavier de Bourbon-Parme, du premier conflit mondial à Dachau, de la France à l’Espagne », dans Collectif, Actes de la XXe session du Centre d’Études Historiques (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle, CEH, Neuves-Maisons, 2014, p. 231-238.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5-6).

Avant-propos, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

« Naples et Rome, obstacles à l’unité politique de l’Italie », par Yves-Marie Bercé (p. 13-26).

« Le roi Juan Carlos et les Bourbons d’Espagne », par Jordi Cana (p. 27-35).

« Deux décennies de commémorations capétiennes : 1987, 1989, 1993, 2004, etc. », par Jacques Charles-Gaffiot (p. 37-49).

« L’abrogation de la loi d’exil dans les débats parlementaires en 1950 », par Laurent Chéron (p. 51-67)

► « De Gaulle et les Capétiens », par Paul-Marie Coûteaux (p. 69-97) :

« De Chateaubriand à Cattaui : Bourbons oubliés, Bourbons retrouvés », par Daniel de Montplaisir (p. 99-108).

►  « Les relations Église-État en Espagne de 1814 à nos jours », par Guillaume de Thieulloy (p. 109-124) :

► « Autour du livre Zita, portrait intime d’une impératrice », par l’abbé Cyrille Debris (p. 125-136) :

► « La mission Sixte : la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », par le Pr. Tamara Griesser-Pecar (p. 137-157) :

► « Les stratégies matrimoniales », par le Pr. Philippe Lavaux (p. 159-170) :

« Les Bourbons dans les Carnets du cardinal Baudrillart », par le père Augustin Pic (p. 171-188).

« Un Roi pour le XXIe siècle », par Philippe Pichot-Bravard (p. 189-196).

« Le Prince Sixte : la nationalité des descendants de Philippe V et la succession de France », par Jean-Christian Pinot (p. 197-206).

« Les entrevues de 1931 entre Jacques Ier et Alphonse XIII ainsi que tout ce qui s’en suivit », par le baron Hervé Pinoteau (p. 207-218).

« Le carlisme : fin et suite », par le Dr Jean-Yves Pons (p. 219-230).

« Le Prince Xavier de Bourbon-Parme, du premier conflit mondial à Dachau, de la France à l’Espagne », par le Dr Jean-Yves Pons (p. 231-238).

Consulter les articles de la session précédente :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

2 réflexions sur “[CEH] Le Prince Xavier de Bourbon-Parme, du premier conflit mondial à Dachau

  • Petit neveu du Comte de Chambord, Colonnel de l’Armèe Belge, négociateur héroïque de la tentative de Paix Séparèe avec l’Empire Austro-Hongrois, Commendant des Réquétés navarrais pendant la Guerre d’espagne, résistant Français, chef de maquis durant l’occupation allemande, déporté à dauchau mais témoin à charge au procès du marèchal Pétain, Régent de la Communion Traditionaliste Carliste mais opposant à Franco… SAR le Prince François-Xavier de Bourbon-parme fut un fervent Chrétien et un authentique Chavalier.

    Alors seul Capétien à s’opposer aux prétentions du Comte de Paris (1908-1999), le prince François-xavier inspira en France, surtout à partir de l’immédiat après guerre, un fort courant de symptahie baptisé alors “Xaviérisme”.

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  • Si le prince François-Xavier de Bourbon Parme fut effectivement “un fervent chrétien et un authentique chevalier”, il fut aussi un homme d’honneur (ce qui, après tout résume les deux précédentes qualités). Mais il accepta un héritage pour le moins bancal, celui du carlisme, et dont au fond il ne se remit jamais. Pas plus que ses deux fils, Charles Hugues et Sixte Henri.
    Quant au courant de sympathie “xaviériste” évoqué par notre ami Volto, il serait honnête de dire qu’il resta (hélas peut-être) confidentiel. Et, si l’on met à part ses filles encore en vie (Cécile et Marie des Neiges – Françoise étant éloignée de ces préoccupations -) on ne retrouve pas, en tout cas, cet élan chez ses petits enfants Bourbon Parme.

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