Histoire

[CEH] Le Carlisme : fin et suites

Le Carlisme : fin et suites

Par le Docteur Jean-Yves Pons

L’Espagne a connu une histoire monarchique tourmentée, en particulier depuis le début du XIXe siècle.

En 1808, au détour d’une grave crise, à la fois économique et politique, consécutive aux tentatives hégémoniques de Napoléon Bonaparte, le roi Charles IV de Bourbon fut contraint d’abdiquer en faveur de son fils aîné Ferdinand qui avait fomenté le soulèvement populaire d’Aranjuez. Mais quelque mois plus tard, la famille royale d’Espagne fut « convoquée » à Bayonne par Napoléon, inquiet des changements intervenus à Madrid. Sous la contrainte française, Ferdinand, qui n’avait régné que deux mois, dut renoncer à la couronne d’Espagne. Charles IV redevint roi mais céda ses droits à Napoléon qui, lui-même, désigna son frère Joseph pour régner en Espagne. En même temps, toute la famille royale espagnole fut contrainte de demeurer prisonnière en France.

En 1814, au terme de la catastrophique guerre d’Espagne, Napoléon rendit le trône de Madrid à Ferdinand tandis que Charles IV fut destitué et fut contraint à l’exil à Rome où il avait été assigné à résidence.

Mais le règne de Ferdinand VII ne fut guère plus heureux et le roi eu à faire face à de nombreux conflits et quelques conspirations. Clin d’œil de l’histoire, il dut son salut en1823 à l’intervention de l’armée française, sous les ordres de son lointain cousin le duc d’Angoulême, fils du comte d’Artois.

Nous ne nous attarderons pas sur les nombreux soulèvements, tant en Espagne que dans ses colonies, auxquels Ferdinand VII fut confronté. Ce qui va nous intéresser tout particulièrement aujourd’hui est d’ordre successoral et dynastique.

De ses quatre épouses, toutes ses parentes, Ferdinand VII n’avait à la fin de sa vie que deux filles.

Jusque-là et depuis la pragmatique de 1713, promulguée par son arrière-grand-père Philippe V, la règle successorale espagnole était inspirée de celle de ses origines françaises : il s’agissait d’une règle semi-salique, c’est-à-dire que les souverains se succédaient de mâle en mâle et que les files y étaient admises qu’en l’absence de tout héritier masculin en ligne directe.

Néanmoins, il faut signaler la tentative que fit Charles IV de revenir à l’antique règle castillane par une nouvelle pragmatique de septembre 1789 mais que diverses circonstances n’avaient jamais permis de promulguer.

Le 31 mars 1830, Ferdinand VII fit enregistrer par les Cortès une nouvelle pragmatique qui établissait que la fille aînée du roi devait lui succéder si celui-ci n’avait pas d’héritier mâle. Or Ferdinand avait deux frères, l’aîné des deux était Charles de Bourbon et le second François-de-Paule, duc de Cadix.

Selon les termes de la pragmatique de 1713, ces deux frères étaient successibles si Ferdinand n’avait pas d’hériter mâle. C’est pourquoi en 1832, profitant d’une maladie de Ferdinand, les partisans de Charles parvinrent à obtenir de celui-ci qu’il abroge la pragmatique de 1830. Mais, aussitôt rétabli, le roi remit en vigueur le texte faisant aînée Isabelle de son héritière.

Charles de Bourbon quitta alors l’Espagne et se réfugia au Portugal en attendant la mort de son frère. Ferdinand VII mourut en 1833 et, Isabelle II n’ayant que trois ans, la régence fut assurée par la reine Marie-Christine, mère d’Isabelle.

C’est alors que l’infant Charles se prononça officiellement contre la modification de l’ordre de succession au trône d’Espagne, se considérant comme l’héritier légitime de Ferdinand VII et protestant du fait que la pragmatique de 1830 ne pouvait lui être appliquée car il était né avant sa promulgation et ne pouvait donc être spolié de ses droits tels qu’ils étaient définis par la pragmatique de Philippe V. Ses adversaires lui opposèrent cependant la pragmatique de 1789, décidée par Charles IV mais jamais promulguée…

Charles de Bourbon se proclama néanmoins roi des Espagnes en 1833 sous le nom de Charles V. Il était soutenu par une partie du peuple espagnol que l’on appela désormais les Carlistes (c’est-à-dire partisans de Carlos). Rentré en Espagne, il prit les armes contre sa nièce et son gouvernement jugés illégitimes. Ce fut le début d’une lingue crise de succession.

Trois guerres civiles s’ensuivirent :

  • La première guerre carliste, déclenchée par Charles V, et qui dura de 1833 à 1839, se termina par la défaite de Charles qui se réfugia en France (Bourges). En mai 1845 Charles abdiqua en faveur de son fils aîné qui devin, pour ses partisans, le roi légitime Charles VI ;
  • Celui-ci déclencha la deuxième guerre carliste contre la reine Isabelle II, qui dura quatre ans (1845-1849) mais fut de nouveau un échec ;
  • En 1868, un soulèvement militaire contraignit Isabelle II à abdiquer et à se réfugier en France, éternelle terre d’accueil ! Les insurgés offrirent alors la couronne au prince Amédée de Savoie, fils cadet du roi d’Italie Victor-Emmanuel II. Une troisième insurrection carliste se produisit alors contre celui qui était à leurs yeux un autre usurpateur. Amédée de Savoie, découragé par l’instabilité du pays et ses dangers, abdiqua en 1873. Une première et éphémère république fut écrasée par les carlistes, la monarchie fut restaurée en faveur, non pas du nouveau prétendant carliste Charles VII (petit-fils de Charles V), mais du fils d’Isabelle II qui devint le roi Alphonse XII en 1875. Dans l’intervalle, Jean III (frère de Charles VI) fut un éphémère prétendant carliste, mouvement dont il ne souhaita pas assumer la direction.

Notons, car c’est important pour la suite, qu’Alphonse XII est issu du mariage d’Isabelle II et de son cousin François-d’Assise de Bourbon, fils de François-de-Paule, frère cadet de Ferdinand VII et de l’infant Charles.

Alphonse XII succèdera en 1902 le dernier roi Bourbon d’Espagne avant la guerre civile de 1936 et le régime du général Franco, Alphonse XIII (grand-père du prince Alphonse, duc d’Anjou et de Cadix et arrière-grand-père de Monseigneur le prince Louis). Alphonse XIII quitta le pouvoir en 1931.

Du côté carliste, si nous approchons de l’extinction de la lignée, nous n’approchons pas de la fin de l’histoire !

À Charles VII succède en 1909 son fils Jacques III qui meurt en 1931, l’année où Alphonse XIII abandonne le pouvoir. Va brièvement lui succéder son oncle Alphonse-Charles Ier. La seconde république espagnole installée en 1931 (Alphonse XIII étant en exil) va donner lieu dès 1936 à une terrible guerre civile qui se terminera en 1936 par l’installation du pouvoir du général Franco.

En 1936, la mort sans enfant d’Alphonse-Charles Ier pose inéluctablement la question de la fin du carlisme puisque l’on peut aisément postuler que sans descendant carliste il ne saurait y avoir de mouvement et de partisans carlistes.

D’ailleurs, si l’on suit le raisonnement de ce mouvement légitimiste qui se rattache à la pragmatique de Philippe V, la primogéniture mâle nous ramène, en 1936, à transmettre le principe de légitimité à Alphonse XIII. Transmission d’autant moins contestable que ce dernier est l’arrière-petit-fils en ligne directe de François-de-Paule de Bourbon, dernier des frères de Ferdinand VII.

Mais rien n’est simple dans l’histoire et en particulier dans celle de la monarchie espagnole !

Dès le début de la guerre civile de 1936, les troupes carlistes sont encore nombreuses dans le nord du pays. Elles s’emparent de la Navarre et y assurent la victoire des nationalistes du général Franco. Présentes également sur tous les autres fronts, leur courage et leur vaillance font l’admiration de tous. Mais au même moment, comme nous l’avons vu, les carlistes ont perdu leur dernier prétendant. Or, avant sa mort, Alphonse-Charles Ier désigna son neveu par alliance, le prince Xavier de Bourbon-Parme (alors commandant en chef des troupes carlistes en Navarre) comme « Régent du mouvement ». Précisant toutefois qu’il ne saurait pour autant être considéré comme son héritier et s’en remettant à la Providence pour ce dernier choix.

Pourquoi ne choisit-il pas tout simplement de reconnaître Alphonse XIII comme pleinement capable de recevoir la succession de la légitimité ? Il faut sans doute chercher la réponse dans la mésentente et les querelles (en particulier matrimoniales) entre lui-même et le roi Alphonse XIII.

Alphonse-Charles Ier n’accepta pas davantage de reconnaître pour héritier l’un des fils de l’infante Blanche de Bourbon (fille aînée de Charles VII et donc petite-fille de don Carlos-Charles V), se référant aux termes de la loi salique à laquelle on faisait dire que « les femmes ne sauraient faire ni pont ni planche » à la succession du roi. Argument réfuté par les tenants de l’infante Blanche qui rappelaient que la pragmatique de Philippe V était en réalité semi-salique et que l’infante avait la capacité de transmettre la succession à l’un de ses fils en l’absence d’héritier mâle légitime. Nous verrons plus l’importance de cet argument.

Mais en 1937, la décision du général Franco d’unifier tous les acteurs de la guerre civile (décret d’unification d’avril 1937) sera le point de rupture avec le prince Xavier de Bourbon-Parme et les carlistes. Le prince, peu favorable au régime du général, fut expulsé d’Espagne où il ne reviendra plus que de façon épisodique et clandestine entre 1945 (après la seconde guerre mondiale à laquelle il participa avec courage et détermination) et 1956. En 1952, le Conseil national de la Communion traditionaliste (appellation du mouvement carliste) déclare cependant que le prince Xavier (Javier Ier). Mais désormais sans chef présent en Espagne, divisé entre ceux qui se rallient au régime franquiste où à la branche en exil de la maison de Bourbon (Alphonse XIII puis Jacques ou Jean de Bourbon) voire aux descendants de Charles de Habsbourg (les Carloctavistes), le mouvement carliste décline notablement même s’il reste présent dans la politique espagnole. Les divisions ont d’ailleurs commencé au sein même de la famille de Bourbon-Parme puisque le prince Xavier s’opposa à son frère aîné Élie, duc titulaire du Parme, qui s’était rallié à Alphonse XIII et condamnait vivement les actions de son frère à la tête du mouvement carliste. Autre clin d’œil de l’histoire : après la mort du duc Élie en 1959 puis de son fils Robert II en 1974, le nouveau duc de Parme en titre fut… le prince Xavier.

La situation s’était alors compliquée du fait de la sympathie et, disons-le, du soutien qu’apportait le pape Pie XII au prince Xavier tout au long de la période de régence puis après qu’il eut été proclamé roi par la Communion traditionaliste. Mais Pie XII mourut en 1958 (l’année où le duc de Parme Élie de Bourbon se ralliait au comte de Barcelone comme roi prétendant d’Espagne). Son successeur, le pape Jean XXIII ne fut pas aussi réceptif aux idées carlistes et y fut même hostile puisqu’il déclara le prince Xavier persona non grata au Vatican. La perte de l’appui du Saint-Siège fut mal accueillie en Espagne au sein de la Communion traditionaliste.

Pourtant, l’avènement de Jean XXIII et surtout la convocation du concile Vatican2 et son orientation très réformatrice, enthousiasmèrent le prince Charles-Hugues de Bourbon-Parme (fils aîné du prince Xavier) qui, dès 1957 lors du rassemblement carliste de Montejurra, dénonçait « la médiocrité des tradition » et prônait une lutte virulente « le capitalisme financier ».

Si l’on peut aujourd’hui, à la lumière des causes connues de la crise économique que nous traversons, reconnaître une réelle lucidité au prince, ce ne fut pas le cas alors au sein du mouvement. Les carlistes se divisèrent et les moins progressistes d’entre eux formèrent un groupe dissident : la Régence nationale et carliste d’Estella, que nous allons retrouver, tandis que les autres restèrent regroupés autour du prince Charles-Hugues au sein de ce qui allait devenir le Parti carliste, militant ouvertement en faveur de la restauration de la monarchie au nom du prétendant carliste.

Le prince Xavier autorisa cependant son fils, dès 1962, à entreprendre des négociations avec le général Franco dans le cadre des réflexions que celui-ci menait en vue de sa propre succession.

Mais, ce que les princes de Bourbon-Parme ignoraient alors, c’est que le choix du général était déjà quasiment arrêté en faveur du prince Juan-Carlos, fils du comte de Barcelone. Ce choix se faisant au demeurant à l’encontre des droits exprimés par ailleurs par l’infant Jaime, fils du roi Alphonse XIII (qui avait été contraint de renoncer au trône par son père en 1933), et en faveur du fils de ce dernier le prince Alphonse, futur duc d’Anjou et de Cadix. Mais aussi à l’encontre de ceux des archiducs Charles puis François-Joseph de Habsbourg-Toscane, fils héritiers de l’infante Blanche de Bourbon, et de ce fait chefs de file des carloctavistes dont nous avons parlé.

À tout ceci s’ajouta le mariage inattendu du prince Charles-Hugues avec la princesse Irène des Pays-Bas en 1964. Bien que convertie au catholicisme, le princesse Irène ne cessa d’être considérée comme protestante en Espagne, ce qui ne manqua pas de bouleverser une fois encore les carlistes en même temps que quelques frasques de la jeune princesse nuisirent aux relations du prince Charles-Hugues avec le pouvoir espagnol.

Cette pénible situation, compliquée par des divisions de plus en plus marquées au sein du mouvement carliste entre les tenants de l’unité traditionaliste catholique de l’Espagne et ceux qui prônaient des idées quasi révolutionnaires tel que le socialisme autogestionnaire, aboutit à la rupture entre le père et le fils, Xavier et Charles-Hugues. La famille de Bourbon-Parme elle-même se scinda en deux clans : à droite la mère (la princesse Madeleine, née Bourbon-Busset), la sœur aînée Françoise et le benjamin Sixte-Henri. À gauche, Charles-Hugues et ses trois autres sœurs Marie-Thérèse, Cécile et Marie-des-Neiges.

En 1969, toute la famille, soupçonnée de menées séparatistes dans le nord du pays, fut expulsée d’Espagne et le 22 juillet de la même année le général Franco fit savoir aux Cortès qu’il désignait officiellement le prince Juan-Carlos de Bourbon pour lui succéder après sa disparition.

Le carlisme, qui était mort de mort naturelle en 1936 mais qui avait tenté de se survivre par procuration, s’éteignait finalement de désillusions en mystifications.

Conscient de ce naufrage mais torturé par les querelles tant familiales que politiques qui en résultaient, le prince Xavier (roi Javier Ier) abdiqua le 8 avril 1975 (date anniversaire de son fils) en faveur du prince Charles-Hugues qui devenait, nolens, volens, le roi Carlos-Hugo Ier.

Alors, tout bascula

Les responsables de la Communion traditionaliste s’adressèrent au nouveau roi pour qu’il proclamât son adhésion aux principes sacrés du carlisme traditionnel. Celui-ci refusa de répondre à ce qu’il considéra comme un ultimatum, qui plus est contraire à sa propre vision de la société. La Communion traditionaliste considéra que Charles-Hugues s’était désormais séparé du carlisme et institua une régence confiée au prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme, frère cadet de Charles-Hugues.

De son côté, le prince Charles-Hugues regroupa ses partisans au sein du Parti carliste où le politique prit le pas sur le dynastique.

En novembre 1975, le général Franco s’éteignit et l’Espagne redevint une monarchie confiée au roi Juan-Carlos de Bourbon.

En 1977, le prince Xavier mourut sans avoir non sans avoir condamné une dernière fois les choix socialistes de son fils. La princesse Madeleine renouvela son soutien à la tradition et donc à son dernier fils, Sixte-Henri, après avoir rejeté définitivement son aîné et les trois sœurs qui le soutenaient.

En 1979, le prince Charles-Hugues obtint cependant du roi Juan-Carlos l’autorisation de revenir en Espagne mais aussi sa naturalisation espagnole. Ceci lui permit de reprendre légalement une démarche politique qui s’appuya sur ce qui restait du Parti carliste. Mais démontra aussi que le pouvoir espagnol considérait que le carlisme n’était plus un danger pour la stabilité du régime. C’est d’ailleurs ce que les élections législatives successives mirent en évidence par la suite (de quelque obédience qu’ils soient, les carlistes y font désormais des scores très modestes).

En 1980, le prince Charles-Hugues finit par renoncer à toutes ses activités politiques et divorça de la princesse Irène l’année suivante. Il ne se contentera plus alors que de quelques apparitions lors des rassemblements carlistes, ce qui laissera de fait le devant de la scène à son frère Sixte-Henri au sein de la Communauté traditionaliste carliste dont la devise résume à elle seule tout le programme : Dios, Patria, Fueros, Rey !

Mais en réalité, le prince Charles-Hugues, devenu duc titulaire de Parme et Plaisance à la mort de son père en 1977, se tourna davantage vers ses duchés italiens. Il fit un retour historique et particulièrement festif à Parme en juin 1998 puis y revint chaque année pour présider le chapitre de l’ordre constantinien de Saint-Georges (premier ordre dynastique parmesan).

En 2002, le prince offrit à l’Espagne la totalité des archives du carlisme, à la grande satisfaction du roi Juan-Carlos mais aggravant ainsi la colère de son frère Sixte-Henri. Pourtant, l’année suivante, en France, Charles-Hugues réaffirma une dernière fois de courtoisie à ses deux fils : duc de Madrid à l’aîné, Charles-Xavier, et duc de Sain-Jaime au second, Jacques. Lui-même retenant le titre carliste de comte de Montemolin (qui fut le titre de courtoisie du roi carliste Charles VI).

Atteint d’un cancer, le prince Charles-Hugues s’éteignit à Barcelone le 18 août 2010, quinze jours après avoir publié le communiqué suivant :

« Je veux dire aux carlistes que mon état de santé n’est pas bon. Je suis complétement entre les mains de Dieu, entouré de ma famille et de mes fidèles. L’unique chose que je demande est la sérénité et que nous poursuivions notre projet de libertés, expression moderne de nos anciennes coutumes. J’ai une grande confiance en vos prières et en votre affection. Je vous demande de poursuivre aux côtés de mes sœurs Teresa, Cecilia et Maria de las Nieves, et de mes enfants, Carlos Javier, futur chef de la dynastie, Jaime, Marguerita et Carolina. Barcelone, 2 août 2010. »

Le prince Charles-Xavier de Bourbon-Parme déclara alors, sans trop y croire, qu’il reprenait les prétentions carlistes de son grand-père et de son père et qu’il s’efforcerait d’assumer dignement sa charge de nouveau chef de famille.

Au terme de ce survol d’une période aussi riche qua chaotique, quelle peut-être notre opinion sur le carlisme d’aujourd’hui ?

Malgré les apparences, le carlisme est bien plus qu’une simple querelle dynastique, au demeurant non dénuée de fondements.

C’est un principe doublé d’une vision originale de la société espagnole.

En toute logique, les carlistes auraient dû se rallier à la branche cadette incarnée par le roi Alphonse XIII. Certains le firent. Mais pour les autres, et même pour leur dernier roi Alphonse-Carlos, se rallier eut été trahir les ancêtres, renier des décennies de combat, renier les morts et les martyrs de la Santa Causa (la Sainte Cause). Voici pour le principe.

Quant à la vision originale de la société espagnole, elle est tout entière contenue dans le projet du prince Charles-Hugues de Bourbon-Parme. Le « socialisme autogestionnaire » qu’il proposait était en réalité une référence moderne aux principes traditionnels et communautaires des fueros d’Espagne. Cette démarche fut mal comprise et très critiquée par les mouvements traditionalistes, tant en Espagne qu’en France, et souvent ramenée à une lutte des classes de type marxiste alors qu’elle s’apparentait davantage à la doctrine sociale de l’Église (elle fut d’ailleurs pour cela soutenue par Pie XII) et à la « Lettre aux ouvrier » du 20 avril 1865 du comte de Chambord. C’était oublier qu’un prince capétien n’est ni de gauche ni de droite, ces notions étant par nature d’origine révolutionnaire ainsi que le prince aimais à le rappeler.

C’est ainsi que lorsqu’il quitta le Parti carliste en avril 1980 il ne renia pas pour autant l’héritage traditionaliste, comme il le confirma à Albonne en 2003. Son fils, Charles-Xavier, l’assume depuis 2010 même si c’est un peu à reculons ! Et le fait qu’il ne soit père que de deux filles n’arrange pas les choses.

Aujourd’hui, le Parti carliste n’a plus de chef véritable et semble à la dérive.

La Communion traditionaliste est restée plus vaillante avec, à sa tête, le prince Sixte-Henri, mais son poids politique en Espagne est pour le moins limité, en dehors de quelques rassemblements traditionnels à Montejurra. Qui plus est, l’âge et la précarité de l’état de santé du prince Sixte-Henri, conjugués à l’absence de descendance de celui-ci augurent mal, une fois encore, de la transmission de l’héritage carliste.

Et c’est là qu’intervient le troisième et dernier clin d’œil de l’histoire : le carloctavisme ou comment trois cents ans après la fin de la guerre de succession d’Espagne, un descendant de Philippe V, du nom de Habsbourg, est aujourd’hui en situation de réclamer la succession du carlisme en vertu de la pragmatique sanction de Philippe V !

Les voies du Seigneur sont décidément impénétrables…

Jean-Yves Pons
Conseil dans l’Espérance du Roi


Publication originale : Jean-Yves Pons, « Le carlisme : fin et suite », dans Collectif, Actes de la XXe session du Centre d’Études Historiques (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle, CEH, Neuves-Maisons, 2014, p. 219-230.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5-6).

Avant-propos, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

« Naples et Rome, obstacles à l’unité politique de l’Italie », par Yves-Marie Bercé (p. 13-26).

« Le roi Juan Carlos et les Bourbons d’Espagne », par Jordi Cana (p. 27-35).

« Deux décennies de commémorations capétiennes : 1987, 1989, 1993, 2004, etc. », par Jacques Charles-Gaffiot (p. 37-49).

« L’abrogation de la loi d’exil dans les débats parlementaires en 1950 », par Laurent Chéron (p. 51-67)

► « De Gaulle et les Capétiens », par Paul-Marie Coûteaux (p. 69-97) :

« De Chateaubriand à Cattaui : Bourbons oubliés, Bourbons retrouvés », par Daniel de Montplaisir (p. 99-108).

►  « Les relations Église-État en Espagne de 1814 à nos jours », par Guillaume de Thieulloy (p. 109-124) :

► « Autour du livre Zita, portrait intime d’une impératrice », par l’abbé Cyrille Debris (p. 125-136) :

► « La mission Sixte : la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », par le Pr. Tamara Griesser-Pecar (p. 137-157) :

► « Les stratégies matrimoniales », par le Pr. Philippe Lavaux (p. 159-170) :

« Les Bourbons dans les Carnets du cardinal Baudrillart », par le père Augustin Pic (p. 171-188).

« Un Roi pour le XXIe siècle », par Philippe Pichot-Bravard (p. 189-196).

« Le Prince Sixte : la nationalité des descendants de Philippe V et la succession de France », par Jean-Christian Pinot (p. 197-206).

« Les entrevues de 1931 entre Jacques Ier et Alphonse XIII ainsi que tout ce qui s’en suivit », par le baron Hervé Pinoteau (p. 207-218).

« Le carlisme : fin et suite », par le Dr Jean-Yves Pons (p. 219-230).

Consulter les articles de la session précédente :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

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