Histoire

[CEH] La mission Sixte. Épilogue (4/4)

La mission Sixte :
La tentative de paix de l’Empereur Charles Ier

Par Tamara Griesser-Pecar

► Consulter la première partie du dossier – Introduction / Partie 1 : Une volonté de paix

► Consulter la deuxième partie du dossier – Partie 2 : La tentative de médiation des frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme

► Consulter la troisième partie du dossier – Partie 3 : L’Affaire Sixte

Épilogue

Il y eut encore une suite. Le comte de Czernin fit du chantage à l’Empereur et extorqua sa signature à la fausse affirmation faite par lui, Czernin, selon laquelle la lettre publiée par Clemenceau n’était pas authentique. Czernin y contraignit l’Empereur en décrivant les choses de manière dramatique devant le monarque et il menaçait d’informer les Allemands et de faire appel à eux pour qu’ils envahissent l’Autriche. Il alla même jusqu’à menacer l’Empereur qu’il se suiciderait. L’Empereur céda finalement à contrecœur, ce qu’il expliqua par la suite ainsi :

« J’ai, pour sauver la patrie, mis entre les mains de ce maître-chanteur mon honneur mais j’ai promis en signant que jamais et en aucune circonstance, je ne pourrais être soumis à chantage par cette signature. Arrive ce qui doit arriver, même si je dois encore en subir des dommages. »[1]

L’Empereur Charles écrivit lui-même après la guerre :

« Le plus grave reproche que l’on puisse faire au comte Czernin est qu’il n’instruisit pas après sa démission la presse qu’il avait achetée avec l’argent de l’État, de servir désormais non plus sa propre politique mais la politique officielle. Il s’ensuivit dans la presse une campagne pour le comte Czernin et contre l’Empereur et comme il aurait alors été simple, en se référant à mon amour de la paix, à gagner à mes actions l’opinion publique pourtant encline à la paix malgré l’illusion que représentait pour l’intelligence et les hommes « une paix victorieuse »[2]. »

L’Affaire Sixte eut encore des répercussions après-guerre. Dans les années 1919 et 1920 parurent de nombreuses publications, où les nombreuses tentatives de paix furent rendues publiques et on écrivit et spécula sur ces grandes affaires. C’est alors que le baron Charles Werkmann, qui accompagna son maître en exil, essaya d’obtenir de Charles son accord pour épurer jusqu’en ses fondements toute l’Affaire Sixte. Mais l’ex-Empereur, qui se trouvait alors en exil Suisse, ne put s’y résoudre[3]. Le 1er avril 1922 mourut d’une inflammation pulmonaire le dernier monarque d’Autriche-Hongrie.

Czernin déforma dans de nombreuses publications le sujet des efforts de paix et de l’Affaire Sixte et fit même des conférences. En janvier 1920, il voulut même obliger Charles à signer une déclaration, par laquelle l’Empereur aurait témoigné explicitement que Czernin, durant son ministère, n’aurait pas du tout été informé de plusieurs actions de l’Empereur. L’Empereur refusa de signer. Il ne répondit pas à une seconde lettre de Czernin du 20 février 1920. Il devait naturellement compter sur le fait que Czernin allait publier maintenant la déclaration signée par lui, selon laquelle la lettre publiée par Clémenceau n‘aurait pas été authentique, bien que la signature de l’Empereur eût été obtenue en exerçant une pression massive et que Czernin eût promis qu’il la garderait toujours secrète. Et c’est ce qui arriva. L’ex-ministre montra d’abord dans le cercle de ses amis ma soi-disant déclaration sur l’honneur. Ils le conjurèrent d’ailleurs de ne pas la publier. Mais Czernin déballa tout[4].

Karl Werkmann assaillit l’ex-Impératrice pour qu’elle confondit le comte de Czernin. Mais elle pria l’ancien secrétaire de son mari entretemps défunt de se retenir parce que depuis des années des efforts étaient en cours pour convaincre Czernin de se retirer volontairement de l’ordre le plus élevé, celui de la Toison d’Or, dont il ne pouvait être exclu. D’après les statuts en effet, seul le chef, de concert avec le chapitre, pouvait opérer une telle exclusion. Mais l’archiduc Otto, souverain de l’Ordre, était encore mineur. Certes, la majorité du fils l’Empereur approchait, mais Zita mettait un point d’honneur à régler pacifiquement cette affaire avant le 20 novembre 1938, 18e anniversaire d’Otto.

Cet espoir ne fut pas exaucé. Czernin ne démissionna jamais de l’Ordre. Et Otto n’entreprit rien non plus.

En mars 1928, la veuve impériale résidant à Lekeitio dans le pays basque espagnol fut surprise au plus haut point par une lettre. Elle venait de Czernin. Le comte s’y excusait auprès de Zita – c’était presque incroyable !

« Que Sa Majesté daigne gracieusement me pardonner de m’adresser à Elle, écrivait Czernin – Il m’importe peu de savoir comment le commun pense et juge mon activité politique passée, mais je souffre plus que ne saurais le dire du sentiment que Sa Majesté m’attribue la très grande responsabilité au déroulement des choses et à la terrible catastrophe qui a frappé la patrie, feu Sa Majesté et la pensée monarchique. Si ce seul sentiment est déjà pour moi si douloureux et oppressant, il devient pour moi intolérable puisque Sa Majesté porte ce sacrifice. »

Il continuait ainsi :

« J’ai commis de graves fautes et si je pouvais réparer tout le passé – personne n’en serait plus heureux que moi. Mais mon intention était de servir et d’aider ma patrie, mon Empereur et seules les circonstances qui étaient au-dessus de mes forces ont fait que beaucoup de mes aspirations ont eu des conséquences autres que je n’en avais l’intention. Mais par tout ce qui m’est sacré, je jure que jamais, dans toutes les fautes que j’ai commises, je n’étais coupable de mauvaise foi. Peut-être à ma décharge – mais non pour me justifier, puis-je rappeler à Sa Majesté à quelle époque terrible je fus appelé à servir en si haute position, quelle situation difficile au-delà de toute mesure j’affrontais et que mes forces n’étaient pas à la hauteur de la situation. Quoi qu’il en soit, je prie Sa Majesté de me pardonner pour les fautes que j’ai commises, comme j’ai prié mon Empereur reposant en Dieu de me pardonner et je prie Sa Majesté de croire que cette lettre retranscrit mes sentiments les plus vrais et profonds.[5] »

Une véritable et courageuse excuse aurait impliqué d’être faite aussi publiquement. Toutefois Zita pria à partir de ce moment-là ses partisans de prendre provisoirement leur distance d’attaques contre le comte.

« Déjà le caractère strictement secret de sa lettre la désigne comme une requête privée, de personne à personne, uniquement pour son repos intérieur mais pas comme d’un ministre battant sa coulpe et réparant le mal fait envers son Empereur défunt. Je suis aussi fondée à accéder à la requête secrète de pardon – bien que le contenu de la lettre du comte Czernin me contraignît à certaines réserves dans ma réponse. Ainsi l’affaire est close et je ne la communiquerai au jeune empereur et dans les mêmes conditions que lors de sa majorité. »[6]

Zita voulut d’abord garder le silence, mais seulement au début. Elle écrivit :

« Je n’ai aucun droit de laisser peser sur la mémoire de Sa Majesté de lourdes accusations que les excuses d’un homme abolirait d’un seul trait. Les mensonges accumulés et les soupçons doivent, au moment opportun et de manière adéquate, être réfutés par un travail qui fasse toute la lumière. On doit, que ce soit par la parole ou par l’écrit, opposer à ces calomnies la vérité. Les témoins doivent pouvoir parler. Le comte Czernin a colporté partout publiquement et en privé ses mensonges et ses distorsions. La vérité doit aussi être manifestée partout afin que la mémoire de Sa Majesté se tienne droitement, lui ayant rendu justice. »[7]

Jusqu’à ce jour l’excuse de Czernin n’a pas vraiment atteint l’opinion publique. Elle ne fut étrangement pas prise en compte par les historiens et les journalistes. Même la publication pourtant complète des documents politiques sur l’Empereur Charles, réalisées par l’historienne Élisabeth Kovacs, ne mentionne pas la lettre d’excuse[8].

Pr. Tamara Griesser-Pecar
Docteur en histoire
Docent de l’Université de Nova Goriça (Slovénie)

Traduction depuis l’allemand par M. l’abbé Cyrille Debris


[1] Tamara Griesser-Pecar, Die Mission Sixtus, Amalthea, Vienne, 1888, p. 287-288.

[2] Copie certifiée, APH, p. 5.

[3] APH, Kass. 22, Couv. 128. Werkmann à l’Impératrice Zita, 27.2.1928. Cf. T. Griesser-Pecar, Die Mission Sixtus, p. 335.

[4] T. Griesser-Pecar, op. cit., p. 334-338.

[5] Ibid., p. 339-340.

[6] Ibid., p. 340.

[7] Ibid., p. 340.

[8] Kaiser und Köning Karl I. (IV). Politische Dokumente aus Internationalen Archiven, ed. Elisabeth Kovacs


Publication originale : Tamara Griesser-Pecar, « La mission Sixte : la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », dans Collectif, Actes de la XXe session du Centre d’Études Historiques (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle, CEH, Neuves-Maisons, 2014, p. 137-157.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5-6).

Avant-propos, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

« Naples et Rome, obstacles à l’unité politique de l’Italie », par Yves-Marie Bercé (p. 13-26).

« Le roi Juan Carlos et les Bourbons d’Espagne », par Jordi Cana (p. 27-35).

« Deux décennies de commémorations capétiennes : 1987, 1989, 1993, 2004, etc. », par Jacques Charles-Gaffiot (p. 37-49).

« L’abrogation de la loi d’exil dans les débats parlementaires en 1950 », par Laurent Chéron (p. 51-67)

► « De Gaulle et les Capétiens », par Paul-Marie Coûteaux (p. 69-97) :

« De Chateaubriand à Cattaui : Bourbons oubliés, Bourbons retrouvés », par Daniel de Montplaisir (p. 99-108).

►  « Les relations Église-État en Espagne de 1814 à nos jours », par Guillaume de Thieulloy (p. 109-124) :

► « Autour du livre Zita, portrait intime d’une impératrice », par l’abbé Cyrille Debris (p. 125-136) :

► « La mission Sixte : la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », par le Pr. Tamara Griesser-Pecar (p. 137-156) :

Consulter les articles de la session précédente :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

Une réflexion sur “[CEH] La mission Sixte. Épilogue (4/4)

  • Pierre de Meuse

    Les amateurs d’histoire savent à quoi s’en tenir sur la personnalité de Czernin, son indécision, sa versatilité, sa vanité. Il est regrettable d’avoir mis un faible à cette place cruciale.

    Répondre

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.