Histoire

[CEH] De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans, par Gilles Cabaret

De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans

Par Gilles Cabaret

Naissance de l’Ordre de la Visitation Sainte-Marie et fondation au Mans.

Si 1610 reste pour le royaume de France l’année de l’assassinat de Henri IV, c’est aussi l’année où Jeanne de Chantal et Françoise de Sales déposent à Rome les statuts de la congrégation de la Visitation avec une double intuition : la méditation et l’action.

Mais ils essuient alors un premier refus très net de la part du Vatican qui exige de choisir entre contemplation et sécularisation. Après négociations et modifications, les statuts seront acceptés en 1612. Les sœurs visitandines seront donc avant tout contemplatives même si elles gardent une grande proximité avec le monde extérieur. C’est pourquoi l’institution sera ouverte aux jeunes filles et aux veuves qui physiquement ne sont pas aptes aux rigueurs des autres ordres restant ouverte sur l’extérieur. C’est ainsi que tour à tour, jour après jour, les religieuses devaient se rendre auprès des malades et des affligés.

Vingt-deux ans plus tard, le 22 juillet 1634, les religieuses de la Visitation s’installent au Mans et y fondent un couvent (sur le site de l’actuelle place de la République).

Seconde fondation au Mans

À la Révolution, après la suspension des vœux monastiques, le couvent est réquisitionné. En 1792 il devient Tribunal révolutionnaire et Prison d’État. L’ordre de la Visitation ne reviendra au Mans qu’après 1820 et décide de s’installer cette fois rue des Champs Garreaux sur le site de l’actuel Centre de l’Étoile. L’ensemble s’étend sur 3,30 ha (construction comprise), et la pierre monumentale de la Chapelle sera bénite et posée le 7 mai 1828.

Quatre personnalités de grande importance pour le renouveau spirituel de la France du XIXe siècle fréquenteront le couvent de la Visitation du Mans, dont le rayonnement spirituel dépasse alors les frontières.

Tout d’abord le père Dujarié, fondateur de la congrégation des sœurs de la Providence de Ruillé-sur-Loir qui sollicitera régulièrement la Visitation pour son soutien et ses prières.

Ensuite Dom Guéranger, refondateur de l’Abbaye bénédictine de Solesmes qui viendra souvent solliciter les encouragements priants et dévots des religieuses.

De même, le père Basile Moreau, fondateur de la congrégation de Sainte-Croix (béatifié au Mans en 1907) trouvera le réconfort spirituel indispensable à sa mission auprès de la congrégation de la Visitation. Jusqu’à la fin de sa vie, il restera proche des sœurs et mourra dans une petite maison à moins de 300 m du couvent. Il meurt en janvier 1873. Il entre en agonie le 2 janvier 1873, jour de la naissance d’un autre personnage illustre qui viendra chaque mois durant les quatre premières de sa vie à la Visitation du Mans voir sa tante religieuse…

Il s’agit de la « Petite Thérèse » qui vient accompagner sa maman toujours au même endroit dans la chapelle pour embrasser d’un même regard Sœur Dosithée (sa tante) et ses deux sœurs aînées, pensionnaires de l’école qui dépend du couvent. Dans ses mémoires, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus racontera combien cette proximité avec les sœurs de la Visitation a confirmé sa vocation religieuse.

Un lieu chargé d’histoire et de symboles.

À la fin du XIXe siècle, cent-vingt sœurs s’exprimaient ici par la prière. Durant la guerre de 14, conformément à la volonté de leurs saints fondateurs, les religieuses se feront infirmières pour soigner des blessés arrivant du front.

Au cours de la seconde guerre mondiale, les religieuses se porteront au secours des victimes, cette fois civiles, lors de la débâcle de 1940. Dans les années 1970, une partie de la propriété sera cédée pour construire un foyer pour Jeunes Travailleurs.

Mais en 1978, avec seulement vingt-quatre religieuses, il n’est plus raisonnable de maintenir et entretenir ce patrimoine. La survie de la communauté devient délicate. Les supérieures prennent alors la décision de se regrouper avec la communauté de Chartres. Le départ à lieu le 1er septembre 1979. Le diocèse du Mans hérite alors du site.

Aujourd’hui, la chapelle restaurée en 1987 permet de mettre en valeur le retable fin XVIIe que le roi Charles X permit de transférer depuis l’ancienne Visitation (situé sur l’actuelle place de la République). La chapelle abrite également quelques exemples de l’art du vitrail en France, avec les ateliers de Mayet (à 20 km du Mans en direction de Tours) au service du maître-verrier Lavergne qui nous a laissé ici quelques exemples de sa remarquable maîtrise.

On remarquera par ailleurs dans la nef de cette même chapelle une statue en bois représentant Saint Liboire évêque du Mans. Les reliques de cet évêque ont traversé les frontières franco-allemandes peu après la mort de Charlemagne, devenant ainsi le symbole qui unit les villes du Mans et de Paderborn. Cet épisode consacre le plus vieux jumelage connu au monde entre deux villes étrangères. En effet, en l’an 836, lors du transfert des reliques de cet évêque, les chapitres des deux Cathédrales ont signé un pacte d’« Éternelle Fraternité » qui traversera les âges et les vicissitudes de l’histoire.

C’est ainsi qu’à la révolution de l’Évêque du Mans de l’époque Mgr de Gonsans ira se réfugier à Paderborn. Après le concordat, Napoléon nommera comme évêque du Mans un prélat de Paderborn, Josef von Pidoll.

Mais surtout, ce lien entre une ville française et une ville allemande prendra toute sa signification durant la Seconde Guerre Mondiale avec le Père Franz Stock, natif de la région de Paderborne et francophile (comme tous les habitants de ce coin de Westphalie). Il a accompagné plus de 6000 résistants à la prison de la Santé, avant leur exécution et ou leur déportation. Témoignage d’humanité et de courage si fort que la place d’honneur du Mont Valérien s’appelle désormais place Franz Stock. Décédé en 1948, il est enterré à Chartres en l’église Saint Jean-Baptiste de Rechèvres, après avoir fondé et dirigé « le Séminaire des barbelés » sur le site de Coudray près de Chartres. Mgr Roncalli, nonce apostolique à Paris et futur Pape Jean XXIII, dira lors de sa mort : « L’abbé Franz Stock, ce n’est pas un nom, c’est un programme ! » Le lien qui unit Le Mans et Paderborn est si important dans le cadre de la réconciliation franco-allemande que l’amitié séculaire entre les deux villes est nommée « La Lumière de l’Europe ».

De la Visitation au Centre de l’Étoile

Depuis septembre 1981, le Centre de l’Étoile a ouvert une nouvelle de l’histoire si riche de ce lieu.

Aujourd’hui, les pierres du couvent invitent à la paix l’homme pressé de ce début de siècle. À ceux qui cherchent un sens à leur vie, le Centre de l’Étoile propose des conférences, des cours, des sessions, des expositions, comme autant d’occasions de rencontres et de dialogues. La bibliothèque diocésaine favorise la recherche et l’approfondissement des questions vitales.

Saint François de Sales, dont le tableau de Jean Restout (peintre Rouennais de la fin du XVIIe) est toujours présent au milieu du retable de la chapelle, a inspiré quant à lui de nombreuses vocations religieuses ici et ailleurs.

Gilles Cabaret
Directeur du Centre diocésain de l’Étoile


Publication originale : Gilles Cabaret, « De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans », dans Collectif, Actes de la XIXe session du Centre d’Études Historiques (12 au 15 juillet 2012) : Royautés de France et d’Espagne, CEH, Neuves-Maisons, 2013, p. 37-41.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5).

Avant-propos. Le vingtième anniversaire du Centre d’Études Historiques, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

De la Visitation au Centre de l’Étoile : quatre siècles de présence religieuse au Mans, par Gilles Cabaret (p. 37-41).

Consulter les articles des sessions précédemment publiées :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

Articles de la XXe session (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle

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