Histoire

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3)

Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi.

Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

 La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3) 

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban

Par le Pr. Florence de Baudus

Écrivain et historien

Cahors atteint alors une sorte de sommet, aussi fidèle au nouveau roi qu’elle l’a été à Louis XIII. Pendant la Fronde, ses habitants ont loyalement résisté aux pressantes sollicitations qui arrivaient de toute part, notamment de la Cour des aides de Paris activement mêlée à l’agitation. Instruit des faits, Louis XIV témoigne de sa satisfaction à la Cour cadurcienne, dans une lettre écrite à Compiègne, le 29 lais 1649.

 

Or, sa rivale Montauban occupait une position trop essentielle dans les relations économiques de la zone méditerranéenne avec l’océan Atlantique pour la laisser aux mains des fidèles de la religion prétendue réformée. L’affaiblissement des protestants dans cette partie du royaume continuait d’être un enjeu crucial pour le pouvoir royal.

 

Le plus étrange, c’est que c’est la ville catholique de Cahors qui va en faire les frais.

 

Donc, à Montauban, la population huguenote se cognait à l’ardeur de l’évêque de la ville, Mgr Pierre de Bertier. Le 7 juin 1654, cet orateur de grand talent, qui avait prononcé l’oraison funèbre de Louis XIII, est désigné pour le discours du sacre de Louis XIV.

 

Ce jour-là, dans la cathédrale de Reims, le roi nouvellement sacré, jure devant Dieu de maintenir la foi catholique de ses ancêtres. À son peuple, il jure de rendre une parfaite justice. Enfin, il promet d’exterminer tous les hérétiques condamnés par l’Église. En ce jour, cette promesse, qui date des cathares, concerne, personne ne s’y trompe, les protestants. Elle est aussi en parfaite concordance avec le discours prononcé par l’évêque de Montauban. Dès le lendemain, Mgr de Bertier réitère et adresse au roi une harangue véhémente lui conseillant de faire preuve de la plus implacable sévérité envers les protestants de Guyenne et du Languedoc[1].

 

C’est une bataille entre élèves catholiques et protestants, qui va mettre le feu aux poudres.

 

L’Académie de Montauban a été créée à la faveur de l’Édit de Nantes, mais quand, en 1629, un évêque catholique entre de nouveau en fonction, son premier soin est d’exiger de nommer les régents du collège. Il a été question de créer un collège destiné aux seuls catholiques, mais les protestants choisissent plutôt de céder la moitié de leur collège aux jésuites qui devront assurer certaines classes. Ainsi y sont instituées deux classes de philosophie : l’une avec un professeur protestant, l’autre avec un professeur jésuite. Choix étrange et qui ne peut que déboucher sur des complications en cascade. Comment établir de bonnes relations entre des étudiants catholiques et réformés qui vivent sous le même toit, sous la coupe de maîtres en parfait désaccord les uns avec les autres ? Les batailles se multiplient pour les motifs les plus frivoles.

 

Jusqu’au mois de juillet 1659. Pour rendre plus solennelle la distribution des prix, les étudiants catholiques décident de construire une estrade dans la cour commune du collège où ils ont l’intention de donner une tragédie. Les étudiants protestants, soutenus par leurs professeurs, exigent la démolition de la scène. Accourent les consuls des deux religions, puis les officiers du présidial, qui tentent de mettre un peu de calme, mais rien n’y fait. Insultes, jets de pierre, le conflit dégénère en bataille, et les élèves protestants, armés d’épées, démolissent le théâtre et poursuivent les jésuites jusque dans leurs maisons.

 

L’émeute est réprimée, mais les sanctions tombent : la ville est occupée militairement, deux chefs protestants sont pendus, le nombre des protestants au conseil de la ville est réduit à dix sur quarante, l’Académie est transférée à Puylaurens, à une cinquantaine de kilomètres de Toulouse, par arrêt du conseil du roi, et le recteur protestant est banni.

 

Quand Mazarin, plutôt favorable aux protestants, meurt le 9 mars 1661, Louis XIV durcit sa position. Il envisage de construire une citadelle autour de la ville indocile, mais Mgr de Bertier parvient à persuader le roi que les dépenses seraient considérables, et que pour gagner Montauban à la cause, il serait préférable « d’augmenter en ladite ville le nombre de catholiques », en y établissant les « familles catholiques et riches » de ces messieurs de la Cour des aides de Cahors.

 

Malgré l’opposition conjointe des classes aisées de la société montalbanaise et celle des officiers de la Cour souveraine, l’édit de translation, promulguée en octobre 1661, sera irrévocablement exécuté au début de février 1662.

 

La plupart des oligarques cadurciens partent de mauvais gré pour Montauban. Pour les Baudus, pas question de s’implanter en terre protestante.

 

Après la migration de Saint-Antonin à Cahors, voilà le deuxième épisode marquant de la famille. Et Pierre de Baudus, ayant placé sa fidélité catholique au-dessus de ses ambitions nobiliaires légitimes, finit sa vie quelque dix ans plus tard, simple conseiller au Présidial. Déception pour les Baudus, et lourde d’épreuves pour Cahors la catholique, bien mal récompensée de sa loyauté envers le roi, et qui commence cette année-là son déclin.

 

Peut-il exister un équilibre idéal entre le souverain et ses magistrats ? En bridant le pouvoir des cours souveraines, quand il a pris son destin de roi en main, Louis XIV a-t-il cru l’atteindre ?

 

En 1617 était paru un ouvrage de quelques 900 pages, Les treize livres des Parlements de France. Son auteur, Bernard de la Roche-Flavin était un juriste éminent, président de la Chambre des requêtes au Parlement de Toulouse, si peu tendre avec ses collègues qu’il fut démis de sa charge pour un an. Pourtant, pendant trente ans, il aura fouillé les archives du Palais de justice et rédigé une sorte d’inventaire presque exhaustif des coutumes des magistrats. Mais surtout, La Roche-Flavin tente de démontrer que la monarchie et les parlements – quel que soit le nom qu’on leur donne- sont nés simultanément. Ainsi, le parlement serait une part intrinsèque de la monarchie, et donc, la monarchie ne pourrait « être » sans le parlement.

 

Il s’oppose ainsi à une autre conception, selon laquelle le parlement est une création royale, et que donc il peut être supprimé par le souverain.

 

Ce débat constitutionnel sera définitivement tranché à la Révolution avec la chute conjointe de la monarchie et des parlements.

Reste que les membres des parlements avaient la prétention, peut-être légitime, de participer de manière essentielle à l’œuvre du roi, alors que le roi et son conseil restreint entendaient légiférer sans avoir à partager leur pouvoir. Selon la force ou la faiblesse de caractère des différents souverains, la corde s’est tendue plus d’un côté ou plus d’un autre

 

J’ai envie, en terminant, de rappeler cet axiome de Richelieu : Abaisser l’ambition des grands. Avec la confiance de Louis XIII, le cardinal en avait fait un principe de gouvernement. Louis XIV, en réduisant le pouvoir et la dignité des cours souveraines, qui, seul, lui échappait un peu, poursuit activement cette politique. En 1665, le roi supprime le terme de cours « supérieurs »[2]. Présidiaux et Cours des aides amorcent une décadence, victimes à la fois des embarras financiers chroniques de la royauté et de la résistance des parlements.

 

Reste que, pour moi, mêler dans un même jugement, les hauts magistrats parisiens et les officiers des cours du Languedoc, serait une grave erreur. Tandis que le Parlement de Paris affiche un esprit quasi permanent de sédition, les magistrats de province, en particulier ceux du Quercy, restent profondément fidèles au souverain.

 

…Jusqu’à la grande crise parlementaire de 1788 qui concernera tout le royaume. Dirigée contre ses ministres, elle finit par atteindre de plein fouet un roi aussi honnête que velléitaire. On connaît les conséquences tragiques.

 

Les éléments n’en étaient-ils pas en germe avec la prise de pouvoir personnel du Roi Soleil ?

 

[1] Louis XIV, Jean-Christian Petitfils, Perrin, 1995

[2] Jean-Christian Petitfils, ouvrage cité.

 

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