Histoire

Attraction solaire et spectacles de cour : une prise de pouvoir métaphorique – 2

Les actes des communications des sessions du centre d’études historiques paraissent une fois par semaine, chaque samedi. Les liens des communications en bas de page.

Les précédents textes de la conférence « Attraction solaire et spectacles de cour : une prise de pouvoir métaphorique » sont disponibles ici :

Attraction solaire et spectacles de cour : une prise de pouvoir métaphorique – 1

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Centre d’études historiques

Cycle « 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV. »

Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques (7 au 10 juillet 2011)

Collectif, Actes de la XVIIIe session du Centre d’études historiques, 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV, CEH, Neuves-Maisons, 2012, p. 189-214.

 

Attraction solaire et spectacles de cour : une prise de pouvoir métaphorique – 2

Par Sabine du Crest, docteur ès lettres

Maître de conférences en histoire de l’art moderne

Université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3

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Métaphorique et scientifique

Les points de départ ou les fils conducteurs pourraient être multipliés. Différentes modalités d’expression de l’exploitation du soleil pourraient être énumérées, toutes liées à l’art déployé sous toutes ses formes pour exprimer au sens le plus fort la volonté royale comme auto-exhortation à régner. Toutes ces modalités se retrouveraient en chacune quel que soit le point de départ. Un récapitulatif de toutes les occurrences du soleil sous toutes ses formes à Versailles reviendrait presque à faire un inventaire de l’ensemble des décors du château mais aussi de leur perception, telle qu’elle fut organisée, tant elles sont nombreuses et pertinentes.

Le monde terrestre et la géographie se trouvèrent associés à l’occasion du Carrousel de 1662. Autour du roi en empereur romain défilèrent l’Amérique conduite par son roi, Henri II de Lorraine duc de Guise (1614-1664), Henri Jules de Bourbon, duc d’Enghien puis prince de Condé (1643-1709) en roi des Indes, le Grand Condé (1621-1686) en roi des Turcs et Monsieur en roi des Perses1. Le monde céleste et l’astronomie furent représentés par l’appartement planétaire, plus tard, au plafond du salon d’Apollon, seul grand décor peint apollinien du château, et au plafond du salon de Jupiter furent peints par Noël Coypel les quatre derniers satellites connus alors sous la forme de quatre figures féminines2. La fable et la tradition antique mythique furent exploitées pour les sculptures des jardins, les fêtes et les médailles apolliniennes. Les sciences physiques furent convoquées pour l’explication de la devise, le miroir ardent, les fêtes, les devises solaires des chevaliers du carrousel, et, plus précisément, la matérialité du soleil fut prise en compte dans les rayons, l’éclairage naturel dans les jardins, l’architecture et l’intérieur.

Pour dire, le pouvoir royal sous la forme de la concentration solaire furent utilisées ces deux catégories : l’une métaphorique par les devises, l’autre concrète et scientifique avec le miroir ardent. Alors que ces deux usages des « effets » du soleil pourraient paraître bien éloignés l’un de l’autre, un lien peut être trouvé entre les sciences et les devises. Ces deux mondes n’étaient pas alors si éloignés. Un jeu existait entre la métaphorique et le scientifique dans cette mode de cour que furent les devises du Carrousel de mai 1662 : plusieurs des devises des chevaliers furent précisément un miroir ardent. La devise du comte de Vivonne portait ce motto : « tua munera jacto » (je répands tes présents) avec l’explication présente : « Le miroir ardent, loin de renfermer en lui-même la lumière du soleil, la réfléchit et la renvoie de toutes parts, avec une certaine distorsion scientifique, avec encore plus de force qu’elle ne lui est envoyée – parfaite explication physique – et de cette sorte. Métaphoriquement, il est le symbole parfait de la reconnaissance de ce chevalier pour les bienfaits qu’il a reçus de SM qu’il s’efforce de faire éclater en tous lieux et en toutes rencontres. »3 Pour le chevalier de Béhune, avait été composé le motto suivant : « de su luz mi fuego » (de sa lumière vient mon feu) : « La gloire du roi est une lumière éclatante qui allume dans le cœur de ce chevalier une ardeur incroyable pour son service et qui ressemble en cela aux rayons du soleil qui produisent du feu, étant reçus et réfléchis par le miroir ardent. »4 La devise du duc de Sully comportait ce motto : « ardeo ubi aspicior » (je brûle quand on me regarde) avec cette explication : « Comme l’ardeur du miroir augmente à proportion de la lumière qu’il reçoit du soleil, ainsi ce chevalier assure que son courage et son amour redoublent selon qu’il est regardé de son prince ou de sa maîtresse. »5

Pour l’explication de sa propre devise présentée par le roi lui-même dans un passage bien connu de ses Mémoires, des liens avec l’état des connaissances du système solaire sont perceptibles : « On choisit pour corps le soleil, qui, dans les règles de cet art, est le plus noble de tous, et qui, par sa qualité d’unique, par l’éclat qui l’environne, par la lumière qu’il communique aux autres astres qui lui composent comme une espèce de cour, par le partage égal et juste qu’il fait de cette même lumière à tous les divers climats du monde, par le bien qu’il fait en tous lieux, produisant sans cesse de tous côtés la vie, la joie et l’action, par son mouvement sans relâche, où il paraît néanmoins toujours tranquille, par cette course constante et invariable, dont il ne s’écarte et ne se détourne jamais, est assurément la plus vive et la plus belle image d’un grand monarque. »6 Par la gravitation universelle newtonienne à la fois terrestre et céleste édictée dans les Principia en 1687 et préparée vingt ans auparavant, ce texte peut être compris plus pleinement7. Des cercles du miroir ardent, on atteint l’ellipse puis la parabole, enfin l’hyperbole. L’orbite décrite autour du soleil par la Terre était bien comprise depuis Kepler comme étant une ellipse. Comme du soleil se propage la lumière, du soleil dépend aussi la gravitation. Autrement dit, la question du rapport des astres entre eux, de leur existence en fonction du roi, précisément de la place qu’ils occupèrent dans l’orbite solaire ou royale ne pouvait manquer d’être prise en compte jusque dans les spectacles.

Le pouvoir d’attraction était l’influence expliquant l’existence de l’orbite et sa courbe qui maintenait les courtisans autour de lui : le Roi éclairait ses courtisans et les enserrait dans un rayonnement à symétrie sphérique comme le soleil. De lui émanait aussi l’attraction gravitationnelle qui captait ceux qui l’approchaient, chacun à des degrés ou orbites différents. Cette attraction se retrouvait ainsi dans le choix des devises du frère du roi pendant le Carrousel : une lune en son plein avec ces mots : « Uno sole minor » (inférieur au seul soleil) et du prince de Condé : un croissant avec ces mots « Cerscit ut aspicitur » (il augmente selon qu’il est regardé)8 indiquant précisément ainsi par leur rapport au soleil leurs places respectives à la cour.

Selon J. P. Néraudau, Louis XIV avait modifié la mythologie traditionnelle en la remplaçant par une cosmologie, reproduisant la métaphore par laquelle Copernic décrivit l’ordre du ciel : « De son trône royal, le soleil gouverne la famille des astres qui se meuvent autour de lui », en évoluant d’une cosmologie magique et poétique nourrie par Campanella au début du règne vers une cosmologie scientifique définie par Copernic, Kepler et plus tard Newton9. Ce jeu qui reproduisait l’ordre cosmique et sa projection terrestre, pour reprendre les mots de J.P. Néraudau se retrouvait aussi dans le portrait mythologique de la famille royale peint par Jean Nocret en 1670. L’assemblée des dieux autour d’un Louis XIV à demi dévêtu, en Apollon et non pas en Jupiter, maître de l’Olympe, pour respecter son choix apollinien10. Comme dans les médailles, le Roi est figuré dans une nudité idéale des corps, le visage du Roi de même que ceux des membres de la famille royale autour de lui étant aisément reconnaissables. Tous les dieux furent réunis par Louis XIV en un « nouveau Panthéon », selon le titre de l’ouvrage bien connu de Guyonnet de Vertron publié en 1686, et selon un principe syncrétique dont la tradition érudite a été renouvelée à Rome dans le premier XVIIe siècle par Girolamo Aleandro Il Giovane, puis reprise par le savant jésuite allemand du Collegio romano, Athanase Kircher, et utilisée sous Louis XIV jusqu’à épuisement du sens11. En d’autres termes, il s’agissait de la mise en place de ce système solaire dans lequel les courtisans étaient des satellites de l’astre, placés en orbite, selon un système qui s’exerça pleinement et efficacement dans les spectacles de cour.

1 Stéphane Castelluccio, Les carrousels en France du XVIe au XVIIIe siècle, L’Insulaire-Éditions de l’Amateur, Bibliothèque municipale de Versailles, 2002. Les devises citées ici sont illustrées en couleur dans cet ouvrage.

2 Nicolas Milovanovic, « Astronomie et astrologie dans les grands décors du XVIIe siècle : de Vaux le Vicomte à Versaille », Revue de l’Art, 140, 2003, pp. 29-40.

3 Cf. Castelluccio, op. cit.

4 Ibid.

5 Ibid.

6 Cf. Néraudau, op. cit.

7 Cf. Isaac Nezton, Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, Londres, 1687. Cf. LA présentation des Principia par la marquise de Châtelet, texte et analyse de Claudine Hermann sur BibNum (2008).

8 Cf, Castelluccio, op. cit.

9 Cf. Néraudau, op. cit.

10 Cf. Ibid.

11 Cf. du Crest 1, op. cit.

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Communications précédentes :

Préface : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/ histoire /2653-ceh-xviiie-session-preface-de-monseigneur-le-duc-d-anjou

Avant-Propos : http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2654-ceh-xviiie-session-avant-propos

La rupture de 1661 (1/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2663-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (2/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2664-la-rupture-de-1661-2-3

La rupture de 1661 (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2684-ceh-la-rupture-de-1661-3-4

De Colbert au patriotisme économique (1/3)

De Colbert au patriotisme économique (2/3)

De Colbert au patriotisme économique (3/3): http://vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2693-ceh-de-colbert-au-patriotisme-economique-3-3

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (1/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (2/3)

1661 : transfert de la Cour des aides de Cahors à Montauban (3/3): https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/ceh-1661-transfert-de-la-cour-des-aides-de-cahors-a-montauban-3-3/

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (1/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (2/3)

Permanence des révoltes antifiscales, 1653-1661 (3/3)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (1/2)

Découverte et esprit scientifique au temps de Louis XIV (2/2)

Louis XIV au Château de Vincennes (1/3)

Louis XIV au Château de Vincennes (2/3)

Louis XIV au Château de Vincennes (3/3) 

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (1/2)

1661 et les arts : prise de pouvoir ou héritage ? (2/2)

La collection de tableaux de Louis XIV

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (1)

Du cardinal Mazarin et du Jansénisme (2)

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Voyager avec Jean de La Fontaine à travers la France de l’« avènement » (1)

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Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche La révélation d’un couple – 1

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