Histoire

Il y a dix ans, mourait Ronald Reagan

Le 5 juin 2004

Mourait Ronald Reagan

La France, du moins l’opinion publique telle que présentée par les médias français, n’a jamais aimé Ronald Reagan. Dans ce pays où le classement de sortie de l’ENA a remplacé les quartiers de noblesse de l’Ancien régime, on n’apprécie pas que se mêle de politique quelqu’un qui ne vient pas de son sérail. Qui plus est un ancien acteur de cinéma, un cowboy,  et, suprême tare, un libéral et un honnête homme, qui avait dit ce qu’il allait faire et a fait ce qu’il avait dit. C’est pourquoi, on continue de lui préférer John Kennedy, dont il est maintenant parfaitement établi qu’il fut une crapule, mais en politique française, justement, on aime bien les crapules.

Ronald Reagan fut cependant un des plus grands présidents des États-Unis et l’un des plus grands hommes d’État du XXe siècle. Les dix ans de sa mort fournissent l’occasion, en lui rendant hommage, de rappeler quelques vérités essentielles.

Succédant, en 1980, au catastrophique Jimmy Carter, Reagan avait rassemblé autour de son projet, America is back, toutes les composantes de la population américaine, élu majoritairement par les noirs de Harlem comme par les pétroliers texans, les petits commerçants de la Nouvelle-Orléans comme par les étudiants de Harvard, les grands chefs d’entreprise comme les chômeurs sans couverture sociale, les habitants du Montana comme ceux de la Floride. Ce souffle nouveau, et sans précédent en période de paix, rafraîchissait d’un coup les cinquante États unis qui, depuis vingt-cinq ans, doutaient d’eux de plus en plus.

Reagan arrivait au pouvoir à près de soixante-dix ans, prêtant son serment d’investiture le 20 janvier 1981, étant né le 6 février 1911, ce qui faisait de lui le plus vieux président des États-Unis à son entrée en fonction.

Et cependant quelle jeunesse ! En dépit d’une carrière politique déjà longue. Dès ses débuts, à l’orée des années cinquante, dans le syndicalisme des acteurs, il s’était forgé une croyance déclinée en trois principes : la liberté individuelle comme le bien le plus précieux, l’hostilité farouche à toute forme d’étatisme et de collectivisme, la foi dans le message de progrès porté par l’Amérique. Jamais il n’en dévierait, ce qui déjà faisait de lui un politicien hors norme, la carrière ordinaire obligeant à toutes les contorsions idéologiques impliquées par les nécessités du jour.

En 1964, hérissé par la candidature démocrate du président Lyndon Johnson, qui confirmait le poids de la mafia sur l’appareil démocrate, il donna à la campagne du républicain Barry Goldwater sa colonne vertébrale idéologique : l’affirmation d’un gouvernement réduit mais fort, concentré sur ses seules missions d’intérêt public et laissant à l’initiative privée la plus grande latitude possible. Il prononça ainsi, le 27 octobre 1964, un discours impressionnant, dit du « temps du choix » qui ancra définitivement son message clair dans la vie politique américaine. Johnson, surfant sur l’émotion populaire provoquée, et habilement orchestrée, par  l’assassinat de Kennedy, fut réélu mais Reagan avait acquis le statut de leader  libéral et rénovateur.

Elu, en 1966, gouverneur de Californie, il mit en pratique ses préceptes : transformer les assistés en travailleurs, diminuer les impôts de ceux qui créent de vraies richesses, ne laisser personne au bord du chemin et rendre chacun fier de sa patrie. Méfiant à l’égard de Nixon, qu’il trouvait trop florentin et de Rockefeller, trop inféodé au  Dow Jones, il se montra discret lors de la campagne présidentielle de 1968, sauf pour conseiller le retrait américain du Vietnam mais la fermeté absolue à l’égard des maquis néostaliniens d’Amérique latine. Che Guevara, économiste raté, idéologue fourvoyé, révolutionnaire impuissant et proxénète périmé, ce n’était pas vraiment son verre de bourbon …

S’étant consacré, avec succès, à l’administration de la Californie jusqu’en 1975, mais écœuré par l’affaire du Watergate et dépité de l’accession à la présidence, sans le moindre verdict populaire, de l’inconsistant Gerald Ford, il s’en fit le challenger pour l’élection de 1976. Ne nourrissant guère d’illusions sur ses chances en face du candidat officiel de son parti, il trouva juste de remuer au moins un certain nombre d’idées et manqua de peu de supplanter le président sortant, inévitablement battu par encore plus terne en la personne de Jimmy Carter. Dès lors, avec quatre ans d’avance, la présidence Reagan se dessinait dans l’Histoire qui, séduite, ne manquerait pas le rendez-vous.

On connaît la suite : un président on ne peut plus charismatique, doté d’un incroyable pouvoir de persuasion, toujours soucieux de réaliser un consensus du moment que l’Amérique en sort gagnante,  animé d’une foi fervente dans le destin de son pays première puissance mondiale et entendant bien le rester, mettant en œuvre, avec un total succès, les leçons de l’école libérale de Chicago conduite par Milton Friedmann, désignant – enfin – l’URSS comme l’empire du mal, mettant fin aux négociations de désarmement bilatéral, soutenant partout en Amérique latine et en Afrique les mouvements anticastristes, antimaoïstes ou antislouvsovistes, alimentant avec un incroyable culot le leurre de la guerre des étoiles, triomphalement réélu et connaissant, apothéose de quarante ans de militantisme fidèle à ses idées de jeunesse, mais un an après la fin de son deuxième mandat, la chute du mur de Berlin puis celle de l’Union soviétique, dont il fut l’artificier en chef. Tout cela devant un monde effaré par tant d’audace et découvrant qu’avec du cœur tout restait encore possible « aux hommes de bonne volonté. »

En 2007, j’eus le plaisir, et surtout l’honneur, grâce à la fondation créée par Nancy Reagan, de visiter Rancho del Cielo, son ranch au nord de Santa Barbara en Californie. Rien n’y a été changé depuis sa mort. On parcourt avec émotion les petites pièces de cette modeste demeure où « l’homme le plus puissant du monde » aimait à se ressourcer, à monter à cheval, à déclarer, pour la dix millième fois, sa passion pour Nancy. On y découvre ses chemises, ses bottes, ses assiettes, le petit powder room où la reine d’Angleterre vint faire ses ablutions. On y mesure pleinement sa foi intense dans le progrès de l’humanité dès lors qu’on la fait échapper aux faux prophètes, son amour de la liberté et de la nature sauvage qui portent encore les couleurs de l’Amérique, sa passion pour la vie de famille et les trésors de tendresse qu’elle renferme jalousement, à l’écart des ambitions politiques, des calculs sordides et de ce que tous les hommes fabriquent inutilement pour se cacher qu’ils doivent mourir un jour.

Atteint, dans ses dernières années, de la maladie d’Alzheimer, Ronald ne se souvenait plus d’avoir été président des États-Unis mais faisait toujours rire ses amis et se souciait avant toute chose du sort de son pays. Inspirant, en 2000, la plume du romancier Samuel Bellow, dans Ravelstein, son dernier ouvrage,« Étrange que les bienfaiteurs de l’humanité soient des gens amusants. En Amérique du moins, c’est souvent le cas. Celui qui veut gouverner le pays doit d’abord le distraire. »

Moi, le plus poignant souvenir que je garde de Ronald Reagan, au delà de l’homme qui cria au monde que l’on pouvait encore miser sur la Liberté, c’est cette caresse ultime de Nancy sur le chêne de son cercueil, avec le sourire si doux de ceux qui savent que l’amour ne meurt jamais.

Daniel de Montplaisir

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