Histoire

Sainte Anne d’Auray, une histoire monarchiste et catholique

Située en plein cœur du Morbihan, la basilique de Sainte-Anne d’Auray reste un important lieu de pèlerinage depuis 1624 pour tous les monarchistes de France et de Navarre. Mais pour les légitimistes, c’est aussi un lieu de recueillement dédié au comte de Chambord. En effet, c’est ici que s’élève, de toute sa majesté,  un monument en l’honneur du petit-fils de Charles X. Ce fils de l’infortuné duc de Berry, qui aurait dû régner sur la France si une révolution et un drapeau n’en avaient pas décidé autrement.

En juillet 1624, les champs de la Bretagne sont encore loin des combats qui, 169 ans plus tard, vont être ensemencés par la folie meurtrière de la révolution française. Dans le pays vannetais, Yves Nicolazic, qui ne sait ni lire, ni écrire, est connu pour sa grande piété. Sa seule langue, le breton. Louis XIII règne alors sur la France. Dans la nuit du 24 au 25, alors qu’il rentre chez lui, il entrevoit au loin une lumière et une douce voix qui se fait entendre. Nullement impressionné, tout au plus intrigué, il se dirige vers cette forme qui commence à se dessiner dans la nuit noire. Un halo de lumière entoure cette apparition aux traits féminins. Sainte Anne (Santez-Anna-Wened), grand-mère maternelle de Jésus, vient d’apparaître à ce paysan de 33 ans et lui demande de reconstruire son église, construite 9 siècles plus tôt et que l’érosion du temps a détruite. Sainte-Anne d’Auray venait de renaître de ses cendres. 

Tout au long du XIXe siècle, Sainte-Anne d’Auray va connaître un essor religieux et devenir un important centre de rassemblement de contestation aux Orléans puis à la république. C’est d’ailleurs avec Henri d’Artois que le premier pèlerinage monarchiste vers Sainte-Anne d’Auray débute. Lors du 25e anniversaire de « l’enfant du miracle », le dimanche 29 septembre 1844, des centaines de monarchistes et de catholiques hostiles au régime libéral de la branche cadette Bourbon, viennent ici prier pour que Dieu accorde à l’héritier au trône, protection et bénédiction. Il est aussi question de restauration de la monarchie et sous le regard de la sainte, on complote. On n’hésite pas à afficher ouvertement son soutien à la monarchie défunte. Chaque année, la fine fleur de la légitimité se retrouve à Sainte-Anne d’Auray et prie qu’elle accorde sa miséricorde sur la France. Au fur et à mesure que les décennies passent, ce lieu consacré commence à accueillir de plus en plus de pèlerins. Depuis 1848, la monarchie de Juillet est tombée, victime à son tour d’une révolution à laquelle a succédé l’éphémère seconde république, bientôt balayée tout aussi rapidement par le coup d’Etat du prince-président, Louis-Napoléon Bonaparte.

Ce soutien à la monarchie va vite s’accentuer lors des premières années de la IIIe république alors que le parlement tente de voter en vain sa restauration. Entre dissensions idéologiques, rivalités dynastiques et fusions, ce seront 3 couleurs, symbole de révolution, qui achèveront de ruiner les efforts des royalistes.  A la mort d’Henri V en 1883, une souscription est lancée afin de réaliser un monument à la gloire du Dieudonné. Alors que son père Charles-Ferdinand vient d’être la victime malheureuse d’un carbonari en 1820, son épouse Marie-Caroline de Bourbon-Deux-Siciles, enceinte de plusieurs mois, donnera naissance à un fils, assurant l’avenir de la dynastie des Bourbons. Et de recevoir ce deuxième prénom qu’avait porté également son illustre aïeul, Louis XIV.

C’est à Athanase de Charette (1832-1911) que reviendra la tâche d’élever hors de terre ce monument. Le deuxième baron de La Contrie n’est pas un inconnu du milieu légitimiste. Né alors que la duchesse de Berry tentait désespérément de soulever la Vendée, c’est à Turin, capitale du royaume de Piémont-Sardaigne, qu’il commencera sa carrière militaire. Après un passage dans le duché de Modène, officier d’ordonnance du duc, il devra néanmoins démissionner à la veille d’une campagne militaire de la France contre l’Autriche (1859). Le duc de Modène étant un Habsbourg, tout monarchiste qu’il était, le baron ne pouvait décemment pas se battre contre son pays. Il exécrait toutes ces révolutions et les soubresauts que vivaient l’Italie n’étaient pas faits pour le rassurer. Il assistait à la chute de toutes ces monarchies, les unes après les autres, qui composaient la botte italienne mais lorsque le révolutionnaire Guiseppe Garibaldi décida de s’attaquer à Rome, ce catholique pratiquant se rua au secours de la ville éternelle en se portant volontaire avec ses deux frères dans la compagnie des Zouaves pontificaux où ils se distinguèrent. C’est encore lui qui négocia avec Léon Gambetta, le tombeur de Napoléon III en 1870, que sa légion des volontaires de l’ouest se porta au secours de la nation envahie par la Prusse. Nombreux furent d’ailleurs les monarchistes à tomber à la sanglante bataille d’Orléans, le 11 octobre de cette année. Leur héroïsme fut d’ailleurs célébré par une presse de l’époque unanime jusqu’à inquiéter quelque peu la république naissante. Cette dernière pria alors de Charrette de bien vouloir employer ses troupes à réprimer la Commune. Défendre le sol français était un fait acquis pour ce légitimiste mais faire couler le sang de ses compatriotes était une chose que cet aristocrate se refusait de faire. Et sa légion d’être promptement dissoute en août 1871. Sa notoriété était telle que, sans être candidat, le baron fut élu député des Bouches du Rhône en février 1871 avant de donner sa démission immédiatement. Il fut l’un des premiers légitimistes à venir saluer, le 24 février 1872, le comte de Chambord à Anvers et assister au grand pèlerinage du 8 décembre suivant, qui rassemblera plus 20 000 monarchistes. Rien d’étonnant donc, si rapidement la société civile qu’il a fondée, dite « Société de Saint-Henri », récoltera pas moins de 70 000 francs pour financer la construction du monument avec l’aide de l’architecte de la basilique Sainte-Anne d’Auray, Edouard Deperthes.

Espérant rallier à lui l’ensemble des forces royalistes, le maréchal de Mac-Mahon, Président monarchiste de la IIIe république, entamera à son tour le pèlerinage vers ce lieu saint. La Bretagne est alors profondément divisée entre blancs catholiques et républicains laïcards. Chaque camp se dispute ces terres où le souvenir de la chouannerie de 1815 raisonne encore des faits d’armes de ces royalistes qui ont tenu tête au retour de l’Aigle et qui ont contribué à provoquer sa chute, peu après Waterloo. Charles XI, duc de Madrid et prétendant au trône écrit justement, le 14 septembre 1888, aux légitimistes réunis à Sainte-Anne d’Auray : « Il n’y a que deux politiques en présence dans l’histoire contemporaines : le droit traditionnel et le droit populaire. Entre ces deux pôles, le monde politique s’agite. Au milieu il n’y a que des royautés qui abdiquent, des usurpations ou des dictatures. Que des Princes de ma famille aient l’usurpation triomphante, soit. Un jour viendra où eux-mêmes ou leurs descendants béniront ma mémoire. Je leur aurai gardé inviolable le droit des Bourbons dont je suis le chef, droit qui ne s’éteindra qu’avec le dernier rejeton de la race issue de Louis XIV“. Tout est dit !

Construit dès 1891, le monument dédié au comte de Chambord reposera sur un énorme piédestal en granit sur lequel on a installé sa statue, tête nue, faisant face à la basilique de Sainte-Anne d’Auray. Il y est représenté vêtu d’un manteau de sacre, un genou droit en terre et un autre tenant la couronne du royaume de France rappelant le destin qui aurait dû être le sien, 4 statues de bronze font office de gardiens naturels, entourant en son socle le monument. Il y a là sainte Jeanne d’Arc, sainte Geneviève et les chevaliers Bayard (sur la gauche) et du Guesclin (sur la droite). La IIIe république ne goute guère cette nouvelle résurgence néo-chouanne en Bretagne et décide d’y envoyer quelques espions prendre les noms des leaders monarchistes présents à chaque rassemblement et dont le journal légitimiste, « Avant-garde de l’Ouest » qui parut jusqu’en 1901, se fit le fidèle rapporteur. On avait déjà bien procédé à quelques arrestations par le passé, sous des prétextes futiles, comme d’avoir organisé sans autorisation une réunion en plein air mais pour tout mépris, les royalistes s’étaient empressés de faire élever une grande maison de planches afin de pallier les incursions intempestives de la maréchaussée républicaine.

Avec la disparition politique du mouvement légitimiste, c’est l’Action française qui vint rendre, certes un peu plus loin dans le champ des martyrs, un hommage appuyé à Henri V. Charles Maurras, chantre du mouvement royaliste qui allait connaître son apogée durant l’entre-deux-guerres, ne cachait pas un certain légitimisme latent à propos du comte de Chambord. Outre la république, ce sont les autorités religieuses qui vont s’irriter du tournant de plus en plus politique que prennent les pèlerinages (jusqu’à 8000 personnes). Déclarant que son but était de  « flanquer la République par terre […] et de ramener la monarchie »,  c’est le discours de l’amiral Lorientais Antoine Schwerrer (1862-1962), futur président de la Ligue d’Action française, qui décidera le clergé local à interdire les rassemblements. Lors du vote de la séparation des Eglises et de l’Etat en 1905, Sainte-Anne d’Auray devient le lieu d’affrontements entre monarchistes catholiques et républicains. Le 14 mars 1906, 7 000 bretons protégeront, fourches à la main, la basilique et son monument.  La bataille tourne à l’avantage des royalistes et des catholiques. Georges Clémenceau, agacé, s’inquiètera ouvertement du « spectre d’une nouvelle chouannerie incarnée par ces milliers de bretons réunis en bataille dans les plaines d’Auray ». Stoppés en 1914 à cause de la première guerre mondiale, les pèlerinages annuels ne reprendront réellement qu’en 1983, sous l’impulsion des divers cercles légitimistes de la région, dont l’Union des cercles légitimistes Français (UCLF) et la Fédération bretonne légitimiste. Une timide tentative de renouer avec la tradition de rassemblement dans les années 50 des jeunes de La Mesnie avait bien eu lieu mais sans le succès escompté. Le renouveau des rassemblements va permettre aux princes de la légitimité de s’inscrire dans la ligne droite de la maison de Bourbon dont la tradition tout au long de son règne fut de recommander à sainte Anne, la naissance des héritiers et cadets de la maison royale. C’est d’ailleurs grâce à la reine Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, que la France obtiendra du pape Urbain VIII, l’autorisation d’ériger une confrérie royale au sein de la chapelle d’Auray.

En 1975,  le prince Jacques-Henri, lors d’un voyage dans l’Ouest, déclare que « la véritable unité de la Nation française ne se fera que par un retour à la foi de ses ancêtres et à la royauté capétienne qui permettra le libre et authentique épanouissement des communautés composant le corps social ». La légitimité s’enflamme et accentue son renouveau politique sous le « règne de jure » du prince Alphonse II qui, le 25 septembre 1988, avec un millier de monarchistes, viendra en pèlerinage dans ce haut lieu saint du royalisme. Un devoir que son fils, le prince et duc d’Anjou Louis-Alphonse de Bourbon et son épouse, auront tenu à respecter en venant rendre hommage, le 31 mai 2015, à ces « chouans qui ont donné leur sang pour la défense du roi ».

Visite largement commentée par la presse locale et nationale, un parfum de restauration de monarchie venait alors de planer sur Sainte-Anne d’Auray. A l’ombre de la figure tutélaire d’Henri V, les espoirs étaient désormais permis.

Frederic de Natal

Dédié à Madame la Baronne Isabelle Hue à qui j’avais promis cet article lors de la soirée avec Monseigneur le duc d’Anjou.

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