Histoire

Il y a soixante-dix ans, la fin de l’offensive Vistule-Oder annonçait le génocide prussien

Le 2 février 1945, la fin de l’offensive Vistule-Oder annonçait le génocide prussien

    Hitler, le premier, avait voulu mettre fin à l’existence de la Prusse. Si dans la propagande national-socialiste, la célébration de « la prussité » tenait une place idéologique centrale, l’esprit tyrannique et totalitaire du IIIe Reich s’avérait incompatible avec l’autonomie territoriale de ce très ancien royaume, à la forte personnalité et très attaché à ses racines comme à ses traditions. Dès 1933, son landtag fut dissout après que les élections n’eurent pas donné la majorité au parti nazi. En 1934, la loi de réorganisation du Reich plaça son gouvernement sous l’autorité directe du ministre de l’intérieur national et divisa le pays en circonscriptions qui n’avaient plus grand-chose à voir avec les anciennes provinces. Ainsi la Révolution française avait-elle œuvré en créant les départements. La Prusse n’existait plus en tant qu’État mais demeurait en tant que nation, communauté géographique et culturelle. Dix ans plus tard, les Alliés allaient se charger d’achever le travail et de rayer de la carte les traces de quatre cents ans d’histoire de l’Europe.

    Ce sont les Anglais qui ouvrirent le feu : du 27 au 30 août 1944, leurs bombardiers détruisirent presqu’entièrement Königsberg, l’ancienne capitale des chevaliers Teutoniques, qui ne présentait pourtant aucun intérêt stratégique. « J’avais désormais la certitude, a noté le prince Alexandre de Dohna dans ses passionnantes mémoires, Un monde qui s’écroule, que nous perdrions, en même temps que la guerre, notre pays natal. »

    Vint en effet le tour des soviétiques. Lancée le 12 janvier 1945, l’offensive Vistule-Oder, du nom des deux rivières, distantes d’un peu plus de 300 km à travers les plaines de Poméranie et du Brandebourg, s’acheva le 2 février suivant, à 60 kms à l’est de Berlin. L’armée rouge était entrée en Prusse orientale avec 500 000 hommes, 7 000 chars et 5 000 avions. Contre des forces opposées inférieures de dix à quinze fois, selon les armes et les secteurs. Faute de combattre des soldats, les divisions de Staline s’acharnèrent sur les populations civiles. Pour un Oradour-sur-Glane en France, plusieurs dizaines de villages prussiens furent incendiés et leurs populations massacrées dans des conditions effroyables. « Derrière les milliers de chars, a écrit Jean Raspail,  les nettoyeurs, les tueurs d’abattoirs, les hordes, la cavalerie mongole, avec licence de se conduire en pays conquis. » Licence, non : instruction donnée au plus haut niveau. Jeunes filles clouées nues sur les portes des granges, femmes enceintes éventrées, fillettes violées puis martyrisées, vieillards passés au lance-flammes… Je m’arrête. Même les animaux des fermes, épouvantés, prenaient, avec les survivants, la fuite vers l’ouest, par des températures de moins vingt degrés. L’Angleterre et les États-Unis avaient, de concert, admis la disparition de la Prusse, et laissé le plus gros de la besogne à l’allié soviétique.

   Dès 1943, le cabinet britannique avait arrêté sa position, par la bouche de Clement Attlee, dirigeant travailliste et adjoint du Premier ministre, qui réclamait, en vue de la victoire, « l’éradication du virus prussien », élément le plus dangereux car le plus agressif et le mieux organisé du militarisme allemand. Le président Roosevelt, totalement ignorant des réalités historiques et géopolitiques de l’Europe, méconnaissant aussi que les grands propriétaires prussiens – les junkers – avaient constitué, depuis 1933, et jusqu’ à la conspiration contre Hitler de juillet 1944, le principal ferment d’opposition au nazisme, se rallia à cette conception, déclarant en septembre 1943 devant le Congrès américain : « Quand Hitler et les nazis seront éliminés, la clique militaire prussienne devra l’être avec eux. » La guerre ne fait pas dans le détail et plus dans la dentelle depuis longtemps : on trouva plus simple, pour supprimer ladite clique, de supprimer aussi le peuple dont elle était issue. 

  Une semaine après l’invasion soviétique, la Saxe payait à son tour : du 13 au 14 février, les aviations américaine et anglaise déversèrent sur Dresde leurs cargaisons de bombes incendiaires, provoquant la mort de 70 000 civils, essentiellement des vieillards, des femmes et des enfants, les hommes valides s’étant fait rares dans les derniers semaines du Reich.

  Puis la Prusse occidentale : le 14 avril, l’aviation britannique fit de Postdam un gigantesque bûcher civil, épargnant toutefois les palais construits par Fréderic II et les autres princes de Hohenzollern, ce qui permit, non sans cynisme, d’y tenir, du 17 juillet au 2 août 1945, au château de Cecilienhof, une conférence tripartite. La France n’y avait pas été invitée mais se voyait néanmoins confiée une zone d’occupation dans l’Allemagne vaincue. Surtout, les deux alliés anglo-saxons se plièrent alors au diktat de Staline qui entendait déplacer de trois cent kilomètres vers l’ouest, sur la ligne formée par les rivières Oder et Neisse, la frontière de la Pologne nouvelle, comptant ainsi effacer celle qu’il s’était partagée avec Hitler en 1939. Il exigeait de surcroît l’expulsion de huit millions de Prussiens de leur pays natal.

    Ce n’était pas tout : le consécutif « grand trek germanique » se heurta à l’hostilité des alliés occidentaux, qui ne savaient que faire de cet afflux de populations exsangues et désespérées. Renouant avec son grand courage des accords de Munich mais, cette fois, au profit du dictateur opposé, le gouvernement français fit fermer sa zone aux malheureux. Une fois encore, la république démontrait son grand sens de l’honneur.

    Parler de génocide à propos de l’élimination de la Prusse, n’a donc rien d’excessif. De nos jours, les populations d’origine prussienne se sont parfaitement fondues, sans récriminations et presque sans amertume, dans l’Allemagne réunifiée. Parfois cependant, dans ce qui est devenu la Pologne setentrionale, la contemplation des châteaux en ruine, des restes des temples calcinés et des villages rasés laisse au voyageur un goût de cendres. Mais n’en cherchez aucune trace dans les ouvrages d’histoire officielle : le tragique destin d’une des plus vieilles et raffinées civilisations européennes ne convient pas au « politiquement correct » solidement établi.

Daniel de Montplaisir

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