Social et économie

Les fondamentaux de la restauration (8) – Chap. 5 : L’aristocratie d’argent

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Les fondamentaux de la restauration – 8

Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, Société Saint-Augustin, Lille, 1911.

Chapitre V – Quel sort l’aristocratie d’argent se réserve-t-elle et réserve-t-elle à la France ?

Le culte à Mammon ne date pas d’hier, nous ne le savons que trop bien, mais le mercantilisme à tout crin – qu’il faudrait peut-être nommé économisme ou encore culte du toujours-plus-d’argent – possède aujourd’hui une hégémonie rarement, si ce n’est jamais, égalée dans l’histoire. Cela ne date pas d’hier : déjà le monde post-révolutionnaire du début vingtième siècle connaissait ce problème, dans les mêmes conditions :

« De nos jours la suzeraineté appartient à l’or. Ce métal met aux pieds de son possesseur toutes les forces, non seulement de la France, mais du monde. Il avait sans doute un grand pouvoir dans les siècles qui précédèrent la Révolution, mais il trouvait une rivalité dans l’aristocratie qui maintes fois en eut raison. Aujourd’hui l’or est presque passé à l’état de divinité, partout il commande, partout on l’adore. »[1]

La seule différence, c’est qu’à l’époque il existait encore une aristocratie, qui remettait « l’or » à sa juste place, c’est-à-dire là où il assure une juste aisance matérielle ordonnée pour la perfection morale, qui suppose un minimum de stabilité dans les lignées et la terre possédée.

Car n’oublions pas, quand nous critiquons les banques et autres tyrannies de l’argent, nous ne critiquons pas l’argent en soi, qui n’est qu’un outil, ni même le métier de la banque, mais le mauvais usage de l’argent, ou les mauvais banquiers. Même Notre Seigneur, d’ailleurs, a pu affirmer l’utilité de la banque dans la parabole des talents – quand le maître gronde vertement celui qui n’avait pas fait fructifier son talent en l’enterrant dans la terre, et qu’il aurait mieux valu au moins le donner à des banquiers pour qu’il fructifie – ou encore dans la parabole du mauvais riche, qui n’est pas condamné pour avoir été riche, mais pour avoir mal usé de cette richesse qui lui donne de grandes responsabilités – d’où le « heureux les pauvres ! » qui seront par définition mois sévèrement jugés (et n’oublions pas que richesse, ici, ne se borne pas à la richesse matérielle mais aussi spirituelle et intellectuelle, évidemment).

Pourquoi l’or devient une idole dans la société révolutionnaire ? Ici prend toute la valeur de l’étude de Mgr Delassus :

 « La raison en est indiquée en ces termes par M. Théophile Funck-Brentano, dans La politique : « Ceux qui, issus des classes moyennes, arrivent rapidement à la richesse et aux honneurs, s’ils ont trouvé en eux les ressources pour y parvenir, n’ont pas toujours acquis, pour cela, ce que la tradition seule et l’éducation développent : les qualités nécessaires à l’exercice de leurs nouvelles fonctions sociales. Élevés dans les privations, ils ont des besoins insatiables comme leur ambition et leur égoïsme : gagner encore, parvenir plus loin ! Ceux qui dépendent d’eux, ouvriers ou employés, restent les marchepieds de leur fortune ou les victimes de leurs ambitions. Enfin, comme ils n’ont pas reçu par éducation, nous dirions presque par apprentissage, les qualités morales propres à leur situation élevée, on les voit de moins en moins délicats dans le choix des moyens ; leur moralité s’altère ainsi que leur caractère et ils ne valent plus que par leur instinct des affaires ou par leur esprit d’intrigue. Dans la génération suivante le mal s’accuse. Les enfants ne peuvent recevoir de leurs parents une éducation qu’eux-mêmes n’ont pas eue; mais par un effet de la richesse ou de la position que leurs parents ont acquise, les enfants ne cherchent que la satisfaction de leurs goûts, de leurs plaisirs. Les caractères se dégradent, et souvent la troisième ou quatrième génération finit à l’hôpital ou dans une maison de santé, tandis que de nouvelles familles, parvenues de même, remplacent les premières. » Sur tous les points de la France, il serait  facile de mettre des noms sous chacun des traits de ce tableau. »[2]

La vertu s’apprend, oui, et le meilleur endroit pour l’apprendre est la famille. Dans une société qui donne des vices comme vertus, et qui détruit les familles aristocratiques à petit feu, la morale publique ne peut que se dégrader.

L’autre facteur, hélas bien connu, trop connu aujourd’hui, est l’abandon de « la terre qui ne ment pas », le déracinement dans les villes et la vie du berceau à la tombe pour certains, dans l’artificialité du tout humain, interdisant l’émerveillement face à la création, et limitant d’autant l’horizon d’âmes qui s’assèchent à toute allure. Nous sommes pourtant faits pour nous occuper de notre portion de création, dont nous sommes les maîtres, c’est-à-dire les responsables. Là est la vraie richesse, qui nous apprend l’humilité et les bornes :

« La richesse, qui prend sa source dans la terre, y trouve des bornes à son ambition : celle qui provient de l’industrie, du commerce, de la banque, n’en connaît pas; devenue millionnaire, elle aspire à être milliardaire, et l’on sait qu’elle arrive à l’être plusieurs et plusieurs fois. C’est là tout son but, et, pour l’atteindre, elle exploite l’homme comme elle exploite la matière, au lieu de l’aimer et de le servir. L’homme s’efface aux yeux du capitalisme, il n’est plus qu’un moyen aux mains de ceux dont toutes les facultés sont tournées vers le but qu’ils poursuivent : la fortune.

La Révolution avait proclamé l’égalité de tous. Mais, observe M. le Play, en rendant théoriquement l’ouvrier l’égal du maître, le maître était dispensé envers lui de l’obligation morale d’assistance et de protection.

Elle avait proclamé la liberté du travail. La bourgeoisie, riche d’expérience, de ressources et de capitaux, pouvait travailler ou ne pas travailler à sa guise; mais l’ouvrier restait rivé à la nécessité implacable du labeur quotidien. Avec les privilèges de la noblesse, la Révolution avait jeté au rebut les privilèges des ouvriers, c’est-à-dire les règlements et les coutumes, qui dans la corporation les protégeaient.  La bourgeoisie ne voyant plus d’entraves à la cupidité si naturelle à l’homme, traita l’ouvrier comme un outil, dont on lire tout ce que l’on peut, sans plus d’égards à sa santé qu’à sa moralité. »[3]

Tout est là : les principes ne sont jamais innocents, et, s’ils sont mauvais, ils apportent leurs mauvais fruits. Qui peut encore croire aux « droits de l’homme » ? L’arnaque la plus monumentale de l’histoire, qui ne sert que les bouffis d’ambition et les rapaces en tout genre, qui savent en profiter au détriment de tous les pauvres et les faibles – pas forcément matériellement, d’ailleurs.

Le libéralisme, dans toutes ses formes, est une arnaque :

« Nulle part le mensonge de la liberté ne se révèle mieux que dans l’ordre économique. Son mirage s’évanouit comme un songe dès que la lutte pour la vie met en contact les individus isolés. L’ouvrier trouve devant lui un patron qui lui propose un salaire déterminé. Est-il loisible à l’ouvrier de refuser ce Salaire ? Non, les besoins de l’existence, une famille peut-être à entretenir l’obligent à accepter les conditions qui lui sont offertes.

Le patron ne l’est pas davantage. Il ne demanderait pas mieux, dans la plupart des cas, que de rétribuer convenablement ses employés et ses ouvriers. Seulement il ne le peut pas, étant le prisonnier d’une concurrence sans limites. Et il a beau avoir recours à toutes sortes d’expédients pour échapper aux effets de celte concurrence» il n’en est pas moins contraint de subir sa loi. Loi implacable qui le met dans l’impossibilité matérielle de donner à ses collaborateurs une  rémunération en rapport avec les conditions de l’existence.

Ainsi ce n’est pas l’indépendance, ni la liberté qu’engendre l’état individualiste; c’est la servitude, c’est la dépendance: dépendance de l’ouvrier à l’égard du patron, dépendance du patron à l’égard de la concurrence, dépendance de tous à l’égard des conditions économiques. »[4]

Ce passage est capital : les mauvais principes libéraux ne font pas que laisser les pauvres et les faibles à la merci des rapaces et des mauvais, mais il empêche les bons et les forts de vraiment protéger les pauvres et les faibles… Tout le monde est victime, au fond, car même ceux qui y croient y gagner y perdent beaucoup – à commencer, et c’est le pire, par leur âme.

Certes, depuis ces temps, de nombreux systèmes de « solidarité » sont censés pallier aujourd’hui aux abus les plus patents de ce libéralisme économique débile – comme si le désordre pouvait engendrer l’ordre, c’est faux, l’ordre ne vient que par ceux qui mettent de l’ordre, ce n’est jamais « spontané ». C’est une illusion pourtant : cette « solidarité » enchaîne les individus à l’État et tue la charité, car elle rend difficile sa pratique dans la vie de tous les jours (les Français sont privés de moyens pour financer par l’impôt sans âme cette « solidarité » en remplissant surtout les poches des intermédiaires, et en utilisant très mal tout cet argent, et en limitant d’ailleurs le champ des possibles – l’argent n’est que de l’argent, pas un sourire, pas une gentille action, pas un acte de charité…

Pourquoi les sociétés se fondant sur les principes révolutionnaires ne peuvent que mal marcher ? Car elles enfreignent la loi naturelle, et vont donc contre l’ordre divin : ce désordre crée des frictions, des douleurs, des contradictions, de là viennent nos maux :

« Pourquoi ? Parce que la loi des sociétés humaines aura cessé d’être observée. Suspendez la loi de l’attraction et le monde tombera dans un effroyable chaos, les astres se heurteront et se briseront les uns contre les autres. Suspendez dans le monde social la loi de l’harmonie entre les classes, et elles aussi se dévoreront.

Rien ne peut sauver notre société d’une ruine irrémédiable, si ce n’est le rétablissement de cette harmonie que Léon XIII a montrée comme devant être le salut et à laquelle des patrons, trop peu nombreux, se sont dévoués. »[5]

Mgr Delassus parle ici de l’ordre économique, mais il s’applique aussi dans tous les ordres évidemment. Rétablir cet ordre naturel, qui n’amènera jamais une société idéale – cela n’existe pas en ce bas-monde – mais qui favorisera la perfection de chacun, et règlera à chaque fois en justice les problèmes, plutôt que de fomenter le désordre là où il n’était pas et empirer les maux là où ils étaient pourtant bénins.

Rappelons le Roi !

Mettons Dieu au centre de tout !

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, Pour la France


[1] Mgr Henri Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, Société Saint-Augustin, Lille, 1911, p. 76.

[2] Ibid., p. 80-81.

[3] Ibid., p. 81-82.

[4] Ibid., p. 83.

[5] Ibid., p. 90.


Dans cette série d’articles intitulée « Les fondamentaux de la restauration », Paul-Raymond du Lac analyse et remet au goût du jour quelques classiques de la littérature contre-révolutionnaire. Il débute cette série avec L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État, écrit par Mgr Delassus il y a désormais plus d’un siècle.

Mgr Delassus, L’Esprit familial dans la maison, dans la cité et dans l’État (1911) :

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