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Que penser du régime de Vichy ?

« Carottes Vichy, eau de Vichy, pastilles Vichy : tout pour un bon régime ! »

En dehors des jeux de mots, il est indéniable que le régime de Vichy, cet « État français » aux contours flous, jouit d’une notoriété extrêmement déplorable. Il sert d’épouvantail, même parmi ceux qui se félicitent sans le dire de certaines de ses initiatives, comme la remise à plat de la politique familiale française, la solennisation du 1er mai, l’amélioration de la formation des instituteurs, la préparation du système des retraites par répartition, la révision des lois successorales (notamment autour de la reprise de la ferme familiale par un seul des enfants)…

Le régime de Vichy est généralement pris en bloc, sans faire de différence entre la période qui précède et celle qui suit l’occupation totale de la métropole dès novembre 1942. Les « heures sombres » servent à disqualifier ceux dont on veut se débarrasser, mais – curieusement – le procédé s’arrête souvent devant les acteurs ou héritiers effectifs de l’époque.

Étant donné que le XXe siècle a été pour la France un temps de déclin où les gouvernements successifs ont rivalisé de médiocrité et de nullité, on pourrait être tenté de redorer le blason de Vichy pour si peu. « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois », dit-on, et à miser sur le moindre mal on finit pas être emporté très loin.

1940 (nous ne voulons pas même parler de l’après-novembre 1942) a certes permis le retour dans le discours politique, intellectuel et culturel de thématiques vitales longtemps remisées au sein des oligarques aux manettes : travail, famille, patrie, vertu, redressement moral, préférence nationale… Les premiers mois du régime de Vichy laissaient entrevoir la possibilité d’un relèvement et un concours de bonnes volontés pour le bien national, d’où le ralliement réaliste et argumenté de Charles Maurras ainsi que de beaucoup d’autres. Mais la « Révolution nationale » reste une « Révolution » dont elle emprunte certains acquis théoriques, si bien que le régime de Vichy, dictature à la façon de la République des Césars (le 10 juillet 1940 sonnant la concentration des pouvoirs et des dignités de la République en la personne du Maréchal), est un genre de III½e République : la relative épuration du personnel politique masque en réalité une grande continuité, où se recyclent les pires Laval, Flandin et alii habitués à manger à tous les râteliers. C’est ce que vient opportunément nous rappeler l’ouvrage Les secrets de Vichy, par Bénédicte Vergez-Chaignon, paru dans la collection « Tempus » chez Perrin à Paris.

La question de la capitale

Regardons une seule anecdote évoquée par l’historienne citée ci-dessus ; anecdote généralement peu connue de la postérité.

L’une des particularités des États modernes, antimonarchiques et contre nature, est de se fixer autour d’une capitale captivant l’essentiel des prérogatives politiques et économiques, mais aussi – bien souvent – économiques et culturelles. Pour profiter de l’ombrage de l’État et faire partie de ceux qui se servent, autant être au plus près de la source de telles prodigalités ! La Restauration elle-même n’y a pas échappé, les « places » étant avidement convoitées, et plus d’un historien ayant souligné que Charles X ne serait pas tombé aussi facilement s’il avait réellement mis en cause le centralisme jacobin. Cette notion moderne de capitale centralisatrice est à l’opposé de la pratique des anciennes races, ou encore de la cour d’Espagne itinérante, ou même du goût des Valois pour des châteaux divers comme Blois, Vincennes, Fontainebleau – et le tour de France de Charles IX est un genre de négation du choix d’une capitale.

En 1940, la ville de Bordeaux doit être abandonnée par ce qu’il reste d’État français, car elle passe sous l’occupation totale de l’envahisseur. Le choix de Vichy n’est alors fait que parce que la ville, située en « zone libre », agréable et luxueuse, dispose d’un très important complexe hôtelier, sans être trop éloignée de Paris. Ce n’est censé être qu’un passage temporaire, d’autant plus que nombre d’hôtels ne sont pas faits pour accueillir des bureaux ni ne disposent pas de chauffage pour l’hiver. On parle alors de s’installer à Versailles, et c’est heureux que cela n’ait point été fait, tant la propagande révolutionnaire aurait aimé mêler dans une même abjection la capitale des derniers rois avec celle du maréchal Pétain. Mais on voulait Paris, malgré le soldat allemand, en bénéficiant d’extra-territorialité pour le gouvernement : les projets étaient bien réels, mais ils ne se sont jamais concrétisés, quoique les ministres étaient à Paris au moins la moitié de leur semaine.

Dans tous les cas, même dans un état d’affaiblissement aussi général que pitoyable, l’État français ne reniait pas son héritage : il avait une vraie capitale, centralisant les pouvoirs et administrations. Ç’aurait pu être un immense bonheur, en rêvant par exemple de la disparition d’un tel appareil étatique par ses propres démonstrations de faiblesse, mais non, malheureusement, le GPRF reprit ses bases et même ses commis pour continuer l’aventure et, même, la reprendre de plus belle… !

Le cycle révolutionnaire, républicain en France et auquel semble appartenir le régime de Vichy, était et demeure condamné à produire toujours plus de concentration étatique et toujours moins de libertés. Les différences ne se font jour qu’à la marge, le système – lui – ne varie pas. Le Juif d’hier qui choque aujourd’hui paraît semblable au fœtus du jour qui – espérons-le du moins – choquera demain, et ainsi de suite. Sachant que le chouan d’avant-hier qui choquait hier ne choque plus du tout aujourd’hui…

Dans un tout autre registre, bien des parcours de cette période sont déroutants et étonnants, les circonstances ayant grandement pu déterminer certaines décisions, mais la casuistique a été rendue impossible par l’univocité de l’histoire écrite par les vainqueurs (et peut-être, surtout, par le communiste jaloux de faire oublier ses compromissions encore fraîches). Le héros de la Grande Guerre Darnand pensa ainsi plusieurs fois à rallier les FFC avant de finir SS dans une démarche semble-t-il concomitante ; le ministre de l’Intérieur Pucheu peu habile dans la désignation d’otages pour les Allemands s’est dirigé vers l’Afrique du Nord pour se refaire une virginité patriotique, ce à quoi certains s’opposèrent et consommèrent sa condamnation à mort immédiate, toute possibilité de rachat étant ainsi détruite par la « jurisprudence » ; la personnalité mystérieuse de l’amiral Darlan et les incertitudes de sa présence en Afrique du Nord puis de son assassinat alors qu’il a rallié la coalition anti-Axe sont d’autres sujets passionnants parmi d’autres.

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