Politique

L’homme et sa loi

La république célèbre les Lumières[1] et les Lumières célèbrent un Homme fait « heureux et bon » par la nature[2], capable de se déterminer par sa raison, fervent croyant dans le progrès. En république, société des Lumières, la loi est faite par des Hommes. Elle ne résulte que de l’accord de leurs volontés matérialisé par un vote en assemblée. La loi est alors revêtue de majesté, disent-ils, et devient ce qu’ils croient être leur plus grand bien. Et pourtant…

L’homme est mauvais. Qui peut prétendre, d’ailleurs, aujourd’hui à la bonté humaine ? Qui peut affirmer que l’homme est bon ? Qui oserait dire une chose pareille après les horreurs que l’humanité s’est infligée à elle-même ? Comment prétendre qu’il n’y a que bonté dans une espèce qui est capable de penser puis d’organiser méthodiquement, scientifiquement, l’extermination d’une partie, voire de la totalité d’elle-même. Des horreurs de la révolution française aux camps de la mort nazis, du génocide arménien au grand bond en avant, des goulags soviétiques aux bombes nucléaires américaines larguées sur les civils d’Hiroshima et de Nagasaki, des massacres perpétrés par les Japonais sur les populations chinoise, indonésienne, coréenne, philippine et indochinoise à l’eugénisme suédois, danois ou suisse, du Darfour aux camps d’internement du Xinjiang, des persécutions de nos frères les Chrétiens d’Orient au génocide des Khmers rouges au Cambodge, de la Terreur rouge en Éthiopie au Rwanda, au Burundi ou à la Bosnie…

« Encore aujourd’hui, nous entendons le cri étouffé et négligé de beaucoup de nos frères et sœurs sans défense, qui, à cause de leur foi au Christ ou de leur appartenance ethnique, sont publiquement et atrocement tués – décapités, crucifiés, brûlés vifs –, ou bien contraints d’abandonner leur terre. Aujourd’hui encore nous sommes en train de vivre une sorte de génocide causé par l’indifférence générale et collective, par le silence complice de Caïn qui s’exclame (Genèse 4, 9) : Que m’importe ?, Suis-je le gardien de mon frère ?[3] » déclarait le pape François en recevant l’Église arménienne en 2015.

La modernité, c’est ainsi que l’appelle l’homme, cette période qu’il vit depuis qu’il a décrété la mort de Dieu . Et celle qui la suit, qu’il appelle post-modernité depuis qu’il croit qu’il est le maître de l’Univers. Ces deux périodes n’en constituent, en réalité, qu’une, seule et unique époque de la souffrance et du mal érigés en Lois légitimées par la seule volonté humaine.

Meurtres, exterminations, réductions en esclavage, déportations et transferts forcés de population, emprisonnements et autres formes de privations graves de liberté physique, tortures, viols, mutilations, esclavages sexuels,  prostitutions, grossesses forcées, stérilisations forcées et toutes autres formes de violences sexuelles de gravité comparable, persécutions de groupes ou de collectivités identifiables pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d’autres critères tout autant inadmissibles, disparitions de personnes, crimes d’apartheid et tous autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale, actes de ségrégation commis dans le cadre de régimes institutionnalisés d’oppression systématique et de domination d’un groupe ethnique sur tout autre groupe ou tous autres groupes dans l’intention de maintenir ce régime : la liste est longue des atrocités commises par cette humanité à laquelle, tous, nous appartenons, en vertu de ce lien de fraternité qui nous fait parfois horreur quand il concerne ceux qui ont perpétré ces abominations et qui hantent nos mémoires lorsque nous pensons ces immensités de cadavres massacrés, ces fleuves, de rouge sang transmués, cette rumeur, de milliards de cris étouffés…

Et c’est de la volonté de cet homme-là que la loi doit naître !?!

Aucune loi ne peut être bonne si elle n’est issue que de cette volonté-là. Faut-il le rappeler, ce sont de telles lois humaines qui ont osé disposer :

  • l’arrestation sans motif et sans preuve en France (loi des suspects 12 août 1793) ;
  • la privation de tout droit de défense et de recours des accusés en France (loi du 22 prairial (10 juin 1794), prélude à la Grande Terreur ;
  • la déportation des Amérindiens (Indian removal act des 24 avril et 26 mai 1830) ;
  • l’expulsion de la population arménienne hors de l’Empire ottoman, le 1er juin 1915, après le dimanche rouge qui marqua le début du génocide Arménien ;
  • la stérilisation sans l’accord du sujet ou de son tuteur au Canada (loi de 1928 amendée en 1937) ;
  • la stérilisation des personnes atteintes « de maladie mentale ou d’infirmité mentale » en Suisse (loi de 1928) ;
  • l’élimination des ménages de koulaks dans les territoires complétement collectivisés (directive du 30 janvier 1930) qui s’est traduite par des emprisonnements, des confiscations, des exécutions et des déportations de masse sous Staline et a conduit à la mise en place des goulags ;
  • la stérilisation eugénique obligatoire d‘environ 400 000 personnes atteintes de maladies considérées comme héréditaires ou congénitales (cécité, alcoolisme, schizophrénie…) par le régime nazi (loi du 14 juillet 1933) ;
  • la stérilisation de plus 60 000 Suédois afin d’éviter que la société ne soit submergée par des individus de « race inférieure », pauvres ou de race mixte (loi eugénique en vigueur en Suède de 1935 à 1976) ;
  • l’exclusion des Juifs de la société allemande (lois de Nuremberg 1935) ;
  • la stérilisation des handicapés mentaux et des « déviants » au Japon (loi nationale sur l’Eugénisme votée en 1940) ;
  • le premier « statut aux Juifs » puis l’internement des « ressortissants étrangers de race juive » en France (lois des 3 et 4 octobre 1940) ;
  • la stérilisation obligatoire des criminels récidivistes, des violeurs, des malades mentaux, des faibles d’esprit, des alcooliques et des toxicomanes aux USA (loi votée en 1944) ;
  • la stérilisation de force de 6,2 millions d’hommes indiens à partir de 1975 (Programme d’Indira Gandhi, puis de son fils) ;
  • la planification familiale en Chine 1979 qui se traduira par la pénalisation des parents chinois de plus d’un enfant, la réalisation d’avortements et de stérilisations forcés et qui sera la cause de 400 millions d’enfants chinois qui ne sont pas nés en raison de cette politique ;
  • l’encouragement des naissances dans les milieux aisés et la limitation des naissances dans les milieux modestes à Singapour (Graduate Mums Scheme, 1983) ;
  • la stérilisation forcée des Amérindiennes au Pérou (« plan de santé publique » du 28 juillet 1995) ;
  • l’avortement et la stérilisation des porteurs d’une maladie infectieuse, d’un trouble mental ou de maladies génétiques en Chine (loi « pour la protection de la mère et de l’enfant », destinée à « améliorer la qualité de la population » entrée en vigueur le 1er juin 1995) ;

À chaque fois, ces législations mortifères apparaissent, dans le discours, parfaitement louables et justifiées par des motifs d’intérêt public : santé publique, sécurité de l’État, bien-être des intéressés, intérêt de la société, préservation de l’identité nationale, protection du peuple, sûreté de l’État, etc. À chaque fois, les motifs de ces lois détaillent à loisir les éléments qui permettent de convaincre une opinion terrassée de l’absolue nécessité de mesures qui constituent pourtant autant d’abominables atteintes à l’intégrité et à la dignité humaine.

À chaque fois, l’homme s’est accommodé de ces procédés abjects pour intégrer dans sa législation des dispositions qui ont permis de détruire ou d’empêcher de naître un nombre considérable de vies humaines, de mutiler, d’enfermer, de déporter, de maltraiter, de massacrer ou d’exterminer.

C’est dans ce cadre que la république s’apprête avec sa future loi bioéthique[4], à autoriser les recherches sur l’embryon humain, à les libérer sur les cellules souches issues de ces embryons ainsi que sur les cellules souches pluripotentes induites humaines, ces cellules qui ne proviennent pas d’un embryon et qui sont capables de se multiplier indéfiniment et de se différencier en tous les types de cellules qui composent l’organisme.  Cette loi ne manquera pas d’être adoptée afin de « supprimer les contraintes infondées qui pèsent sur la recherche recourant à certaines cellules ». Elle favorise aussi la recherche sur le génome en permettant l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins de recherche scientifique à partir d’éléments du corps de cette personne prélevés à d’autres fins, lorsque cette personne,  n’aura pas exprimé son opposition. C’est dans ce même cadre que la république s’apprête aussi à allonger de deux semaines le délai légal pour avoir recours à l’IVG afin de le porter à 14 semaines de grossesse. Le motif en est que 3 000 à 5 000 femmes se rendent chaque année à l’étranger pour y subir volontairement une interruption de leur grossesse au-delà des délais autorisés en France dans l’illégalité. La proposition de loi prévoit également la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG qui permet aux médecins et aux sages-femmes de refuser de pratiquer un tel acte et, dans le même temps, autorise les sages-femmes à pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à la 10e semaine de grossesse. Il s’agit, cette fois, de faire face au manque de médecins qu’a pourtant déclenché l’usage de numeri clausi beaucoup trop restrictifs au cours des trente dernières années au sein des Facultés de médecine françaises. Il s’agit, enfin, de supprimer le délai obligatoire de réflexion de deux jours avant de confirmer une demande d’avortement[5].

Or, « les lois ne sont pas de purs actes de puissance » déclarait Portalis dans le Discours préliminaire au projet de Code civil, « ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ». Elles sont « faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois »[6]. Car si la loi se fait, ce ne sont pas les hommes qui la font…

Visiblement, les républicains ont tout oublié. Ou plutôt, font mine d’avoir tout oublié…

François des Millets


[1] Béatrice BOUNIOL, « Emmanuel Macron veut défendre les Lumières dans le monde », La Croix, 18 novembre 2020.

[2] Jean-Jacques ROUSSEAU, Dialogues : Rousseau juge de Jean-Jacques, Œuvres complètes, Dalibon, Paris, 1824, t. 2, p. 33.

[3] Pape François, Salutation du Saint-Père au début de la messe pour les fidèles de rite arménien, Basilique vaticane, 12 avril 2015.

[4] Projet de loi relatif à la bioéthique, n° 686 , déposé au Parlement le lundi 3 août 2020, notamment le titre IV, chapitres I et II, articles 14 à 18.

[5] Proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement, n° 3292 , déposée au Parlement le mardi 25 août 2020.

[6] Pierre-Antoine FENET,  Recueil complet des travaux préparatoires du code civil, vol. 1, Paris, Videcoq, 1836, p. 466.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.