Politique

Culture de sécurité ? (1)

En matière de sécurité, il faut avoir bien conscience que l’effet de mode a une importance énorme, au point qu’elle pousse souvent à faire fi des principes de bonne gestion pour sacrifier à l’air du temps. Etre comptable des deniers publics c’est une chose, mais lorsqu’il s’agit d’assurer sa réélection tout est bon et au diable l’avarice.

A titre d’exemple, je ne citerai pas la ville, il y a quelques années, le maire d’une commune d’Ile de France a doté sa police municipale d’une brigade équestre. Trois chevaux administratifs et quatre cavaliers, dont un est agent de surveillance de la voie publique, autrement dit, il s’agit d’un simple contractuel ne disposant pas de pouvoirs de police judiciaire. Hors frais de personnel, cette brigade coûte 45.000€ à la ville.

Dit comme cela, ça n’a l’air de rien. La police montée ça a un sacré cachet, ça donne une bonne image de la ville, et les gamins adorent ça. Seulement voilà, et c’est là que le bât blesse, la décision de créer cette brigade n’est due qu’à la volonté du maire. Il n’y a eu aucune étude quant à la délinquance sur le secteur où cette brigade est active. La brigade existant, croyez-vous que la municipalité a fait une étude pour évaluer l’impact de cette brigade sur la délinquance ou sur le sentiment d’insécurité ? Croyez-vous qu’un ratio temps passé/rendement a été calculé ? Tout simplement non. Rassurez-vous, les brigades VTT, scooters, etc. ne répondent généralement pas à une problématique identifiée, pas plus que leur impact n’est évalué.

Depuis quelques années, 45.000€ sont purement et simplement cramés sans que personne ne s’émeuve, tant au niveau de l’administration territoriale que dans la population. Ce qui aurait été déjà insupportable en période d’opulence l’est encore plus en temps de crise.

Cela est-il étonnant ? En France, non. Dans d’autres pays, l’édile aurait été cloué au pilori, débarqué de son mandat et dans certains pays anglo-saxons il aurait eu à s’en faire quant à son patrimoine. En France, la république a un effet  déresponsabilisant. Elle entretient les élus dans l’idée que l’argent public est une source inépuisable dans laquelle on peut puiser. Quant aux citoyens, ils sont face à deux problèmes. D’une part l’administration estime qu’elle n’a aucun compte à leur rendre. Ensuite, à part pour quelques associations de contribuables qui disposent d’experts, la comptabilité publique est complexe à souhait. Sans compter que la culture du questionnement de l’administration n’est pas répandue, au point que les quelques qui s’y livrent passent pour de fieffés emmerdeurs aux yeux de tout le monde.

Tout cela se passe dans le pays où bon an, mal an, 45.000 voitures sont incendiées, chiffre hors pics d’émeutes urbaines bien entendu. Cela se passe dans le pays où des milliers de familles vivent de l’argent du crime collecté par une minorité active sans que quoi que ce soit ne soit réellement fait pour y mettre fin, parce qu’on ne veut pas prendre le risque de l’embrasement des banlieues. Cela se passe dans le pays où bon nombre de laveries automatiques, de kébabs, de commerces de proximité sont financés par l’argent du crime dans la quasi-indifférence générale, quand on ne voit pas des élus locaux se féliciter du dynamisme du commerce de leur ville. Etc. ad nauseam. Cela se passe dans le pays où les BACS sont présentées comme le top du monde policier urbain, les héros des temps modernes alors qu’au mieux ce sont d’honnêtes  patrons de chalutiers qui jettent leurs filets dans le vaste océan. On attend encore une évaluation scientifique de leur action sur l’activité criminelle. On peut attendre.

Il faut avoir à l’esprit qu’en moyenne pour cent délits commis, soixante (au mieux) feront l’objet d’une déclaration. Sur ces soixante, vingt (au mieux) seront élucidés. Sur ces vingt, huit (au mieux) déboucheront sur une condamnation. L’écart entre soixante et cent, c’est ce qu’on appelle le chiffre noir, et l’écart entre huit et soixante, la marge d’impunité.

Ceci dit, tout n’est pas noir. La France figure dans le peloton de tête des pays dotés des meilleures forces de maintien de l’ordre. Les derniers mois en attestent… malheureusement, car elles ont été employées contre d’honnêtes gens. La France figure aussi dans le peloton de tête en termes de police scientifique et de résolution des homicides. A cela une raison : les crimes et désordres menacent directement l’ordre républicain. La police communautaire, pour reprendre l’appellation anglo-saxonne, est le parent pauvre, parce qu’au final c’est juste la population qui pâtit des désordres.

Et ne croyez pas que la sécurité publique soit le seul homme malade de cette république, la justice l’est également, et ça ne date pas d’hier. Pour mémoire, je vais me contenter de citer la fin de la fameuse harangue d’Oswald Baudot (1974), grande figure du syndicat de la magistrature, qui s’adressait en ces termes à ses jeunes collègues magistrats : « Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté. C’est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice. »

Mais à ce qu’il paraît, la république veille sur nous.

Pascal Cambon

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