Politique

[CEH] Un Roi pour le XXIe siècle, par Philippe Pichot-Bravard

Un Roi pour le XXIe siècle

Par Philippe Pichot-Bravard

Tenter d’imaginer ce que pourrait être un Roi en France au XXIe siècle est un exercice à la fois difficile et stimulant.

Nombreux sont les écueils dont il faut se garder. Il ne peut s’agir, d’une part, de restaurer une monarchie dans laquelle le Roi n’aurait qu’un rôle symbolique, comme en Suède ou en Espagne. La royauté ne présente d’intérêt politique que si le Roi est doté des moyens constitutionnels d’exercer sa mission. S’il devait être réduit à n’être plus que le notaire qui valide mécaniquement les volontés des assemblées, comme la Belgique vient d’en offrir le regrettable exemple à propos de la loi sur l’euthanasie, le Roi ne serait plus en mesure de jouer son rôle bénéfique. Le Roi doit avoir les moyens de conserver l’indépendance de son pays et de faire régner la justice au milieu des habitants de son royaume. Dès lors, les monarchies européennes sont souvent trop affaiblies, même au Royaume-Uni, pour offrir un modèle dont on puisse s’inspirer. Il faut, d’autre part, se détacher des formes dépassées, écarter le bois mort des anciennes institutions pour retrouver l’esprit de la royauté et imaginer comment cet esprit pourrait s’incarner au XXIe siècle. Il faut se demander comment cet esprit pourrait rendre à notre France abîmée la vitalité qui lui manque.

Charles Maurras s’y était en son temps employé. Il avait démontré de manière scientifique que la monarchie est le régime le plus propice à la défense de l’intérêt national. À ses yeux, la monarchie venait naturellement couronner la doctrine du nationalisme et lui permettre de produire ses fruits.

Pourtant, l’essence de la royauté française est ailleurs. Elle n’est pas réductible à la défense de l’intérêt national, même si cette question très importante participe de sa mission.

L’essence de la royauté française réside dans la transcendance, dans la préparation du règne de Dieu. Elle réside dans le respect des réalités sociales, familiales, locales, professionnelles et provinciales. Elle réside dans le règne de la Justice, condition principale de la réalisation du bien commun, condition de la légitimité du pouvoir. La France n’est pas une construction artificielle, faite de main d’homme, par un homme qui serait « la mesure de toute chose », mais un organisme vivant[1].

La première condition du retour d’un Roi en France est le retour préalable de la majorité des Français à l’Église. Mettre fin à l’exil de Dieu provoquée par la Modernité est le préalable nécessaire de toute restauration authentique.

De cette restauration, les Français peuvent notamment espérer deux bienfaits : l’unité et la stabilité (I) et le règne de la justice (II).

Partie I – Le Roi, garant de l’unité de la France

D’une part, la royauté pourrait être un remède à l’une des plaies qui affaiblissent le plus notre pays : la division. Le jeu électoral, aggravé par l’emprise grandissante exercée par les partis, la télévision, les entreprises de communication et les officines de toutes sortes, entretient entre les Français des division artificielles et pernicieuses. Ce jeu repose sur une fiction : celle du régime représentatif, régime que l’on assimile habituellement au régime démocratique alors qu’il en est le contraire, comme l’a fort bien expliqué l’abbé Sieyès à la tribune de l’Assemblée nationale le 7 septembre 1789. Cette fiction confie le pouvoir à une oligarchie de représentants entre les mains desquels les citoyens abdiquent tout pouvoir, une oligarchie qui échappe complètement au peuple et qui décide souverainement des lois auxquelles sera soumise la population. Or le système de représentation repose sur des lois électorales agencées de sorte à canaliser l’expression du suffrage, à permettre que, quel que soit le vote exprimé par les électeurs, la représentation soit peu ou prou conforme à ce qui est souhaitable, propice au maintien au pouvoir de cette oligarchie. Dès lors, comment s’étonner que les hommes politiques qui ont des responsabilités nationales n’aient plus guère le sens, on n’ose écrire du bien commun, mais seulement de l’intérêt général. Ils ne cherchent plus ce qui est bon et juste. Ils ne cherchent qu’à se positionner, à formuler la proposition qui leur permettra de se démarquer et d’attirer sur eux l’attention des caméras et des micros, d’acquérir la notoriété nécessaire au succès de leur carrière. Chaque élection présidentielle divise pendant plusieurs mois le pays en trois, quatre ou cinq camps antagonistes qui s’affrontent sans merci ; non pour l’intérêt du pays mais pour l’intérêt du parti et de ceux qui le soutiennent, lesquels espèrent tous recueillir après la victoire la rétribution de leur engagement. Chacun s’emploie à séduire l’électorat par des promesses qui sont souvent démagogiques ou mensongères. Pendant six mois, la vie du pays est suspendue aux résultats des élections. Les décisions importantes et les investissements majeurs sont reportés. Pendant plusieurs semaines, il devient impossible d’avoir une conversation sereine avec qui que ce soit car la guerre électorale pollue tout : la France sort un peu plus abîmée de l’épreuve, abîmée par la guerre électorale, abîmée par les mensonges et la tromperie qui l’ont accompagnée. Après chaque élection présidentielle, l’unité du pays est un peu plus fragile, la confiance des gouvernés pour les gouvernants un peu plus faible et donc le pays un peu moins gouvernable qu’il n’était.

Face à la foire d’empoigne des partis, des groupes de pression, des puissances financières et des officines, le Roi, qui ne tient son autorité de personne ici-bas, qui est donc absolument indépendant, est le garant de l’unité et de la stabilité. Il est au-dessus des intérêts particuliers divergents, le garant du bien commun. Il ordonne les intérêts particuliers à la réalisation du bien commun.

D’autre part, le Roi, incarnation de l’unité et de la stabilité nationales, a pour mission de veiller à la préservation de l’indépendance nationale et à la défense vigilante des intérêts de la Nation. On l’a souvent oublié : les lois fondamentales du royaume avaient jadis pour objet principal de garantir l’indépendance de la Couronne, tant à l’égard des puissances extérieures, qu’à l’égard des intérêts particuliers, des grandes féodalités. Les règles de succession, ainsi que le principe d’inaliénabilité du domaine et les libertés de l’Église gallicane, avaient d’abord pour but de garantir cette indépendance. Charles Maurras a cru pouvoir affirmer à cet égard l’existence d’un principe de nationalité, alors que les lois du royaume, comme l’a rappelé en 1593 l’arrêt Lemaistre, n’exige pas du prince qu’il soit de « nationalité » française mais qu’il appartienne à la Maison de France, qu’il soit « né au parterre des fleurs de lys », pour reprendre les termes fleuris de la Satire Ménippée. Cependant, Maurras n’en a pas moins magistralement démontré que la monarchie est le régime qui permet le mieux à la France de tenir son rang dans le concert des nations et d’y défendre une vision géopolitique propre, conforme à son histoire et à ses intérêts. Songez au surcroît de prestige et de puissance que la Reine d’Angleterre procure au Royaume-Uni en étant placée à la tête du Commonwealth, en coiffant, outre la couronne d’Angleterre et d’Écosse, les couronnes du Canada, d’Australie et de Nouvelle-Zélande et de douze autres pays des Caraïbes et de l’Océanie ! Lorsque l’on sait dans quelles conditions les gouvernements successifs ont, depuis 1990, bradé la souveraineté de la France, l’abandonnant à des institutions supranationales, au mépris de la volonté exprimée par le peuple, lorsque l’on réalise la nullité profonde de la politique étrangère menée par la France depuis 2003, lorsque l’on mesure l’influence exorbitante, destructrice, des grandes féodalités financières, nous ne pouvons que déplorer amèrement que la France n’ait pas à sa tête un homme indépendant, qui ne tienne son pouvoir de personne ici bas, un homme qui soit le gardien vigilant de la souveraineté française, qui puisse faire obstacle aux abandons de souveraineté, un homme qui confierait le soin de nos relations extérieures à des diplomates chevronnés ayant une vision claire des intérêts géopolitiques en présence, la volonté de faire entendre la voix de France et non d’être les porte-voix d’intérêts allogènes.

Pour autant, si Maurras a beaucoup insisté sur la nécessité pour la France d’avoir un Roi pour défendre son indépendance et ses intérêts, il a négligé, nous semble-t-il, l’autre grande mission royale : faire régner la justice.

Partie II – Le Roi, garant de la justice en France

L’une des causes principales de la crise politique que traverse notre pays est la disparition de la confiance. Plus personne n’a confiance en qui que ce soit. Les gouvernés n’ont plus confiance dans ceux qui prétendent les gouverner ; les Français n’ont plus confiance les uns dans les autres, redoutant de se faire truander par un prochain qui a cessé de l’être depuis longtemps. Trop de vilenie ont blessé au cours de ces dernières décennies l’âme française. Le mensonge et la malhonnêteté ont détruit la confiance. Lorsqu’un ministre propose un changement, les Français commencent par chercher le piège que camouflent les belles paroles. Ils répondent « non » d’instinct, parce qu’ils ont peur que ce changement se fasse à leur détriment. Le mépris manifesté à plusieurs reprises par l’oligarchie qui s’est emparée de la France à l’égard du peuple qu’elle est censée gouverner ne fait qu’accentuer ce sentiment, épiçant la défiance d’une pincée de colère.

Pour rétablir la confiance, il n’y a qu’une seule solution : il faut que ceux qui gouvernent s’appliquent, de manière exemplaire, à faire régner dans le pays de la justice.

Aujourd’hui, les Français, consciemment on inconsciemment, sont des orphelins de Saint Louis.

La première mission du Roi de France était de faire régner la justice. Toute la symbolique royale, toutes les institutions monarchiques étaient imprégnées de cette idée. De la justice, le Roi tirait sa légitimité. La justice nourrissait l’amitié qui le liait à ses peuples. La justice fortifiait la paix civile. Elle en était la condition. De ce devoir de justice, est né au XIIIe et au XIVe siècle notre État de Justice, lointain ancêtre de notre État de Droit qui en est la pâle copie[2].

L’actualité récente nous montre, en effet, le peu de conscience de notre État de Droit :

D’une part, la loi demeure « l’expression de la volonté générale ». Expression d’une volonté, la loi n’est pas subordonnée à une loi naturelle supérieure. Le législateur est affranchi du respect de l’ordre naturel. Ce qu’il veut à force de loi, même si sa volonté est injuste. Nombreuses ont été, depuis 1967, les lois contraires au droit naturel. La loi dénaturant le mariage n’en est que l’exemple le plus récent, tandis que déjà s‘annonce une légalisation officielle de l’euthanasie, à laquelle la loi Léonetti avait ouvert discrètement la voie.

D’autre part, la répression brutale et illégale dont le gouvernement a accablé les manifestants de la famille afin de les intimider a illustré le peu de respect que l’oligarchie au pouvoir porte aux règles de procédure pénale qui sont censées protéger les droits des justiciables.

Enfin, nos institutions se sont montrées incapables de jouer leur rôle de contre-pouvoirs, qu’il s’agisse du Conseil économique et social, du Sénat ou du Conseil constitutionnel. Il est vrai que le Conseil constitutionnel ne fait que confronter la loi au bloc de constitutionnalité, dans lequel les principes du droit naturel ne figurent pas. Il conforte un système juridique positiviste, fondé sur le primat de la volonté, faisant le cas échéant appel de la volonté du législateur devant la volonté supérieure du constituant. Il n’a pas les moyens juridiques de vérifier que la loi est effectivement juste.

Le débat et les manifestations qui ont accompagné l’adoption de la loi Taubira ont permis non seulement de réveiller de sa torpeur le pays réel et de révéler la force insoupçonnée des défenseurs de la famille, de la « culture de vie » et du droit naturel, mais de souligner que le respect effectif du droit naturel est la première condition de l’existence et de la consistance d’un État de Droit digne de ce nom.

Faire respecter le droit naturel exige de sortir de ce primat de la volonté pour affirmer que certaines règles échappent à la volonté humaine et s’imposent à elle.

Pour ce faire, il faudrait :

1- Que le préambule de la Constitution soit modifié pour intégrer les exigences du droit naturel, c’est-à-dire, notamment, le respect de la vie humaine depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, le respect de la famille reposant sur le mariage librement consenti entre un homme et une femme, la liberté éducative des parents, le respect de la propriété privée, la justice dans les relations de travail.

2- Que ces principes de droit naturel soient regardés comme « supra-constitutionnels », c’est-à-dire supérieurs à la Constitution. Ils s’imposeraient ainsi à la volonté souveraine, que celle-ci soit législative ou constituante.

3- Qu’il y ait une institution chargée de garder le Droit. Pour que le Conseil constitutionnel puisse jouer ce rôle, il faudrait qu’il soit composé de personnalités indépendantes nommées par une autorité indépendante et non de personnalités politiques nommées par des personnalités politiques, elles-mêmes tributaires des forces partisanes et financières auxquelles elles doivent leur élection (actuellement le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée).

Veiller à préserver les principes de l’État de Droit, à assurer l’indépendance effective de la magistrature, notamment des juges nommés au sein du conseil constitutionnel, à faire respecter l’autorité du droit naturel afin que la loi soit toujours juste, placerait le Roi dans la continuité historique de la mission justicière assumée pendant mille ans par ses ancêtres. Ce faisant, la royauté permettrait de couronner la définition de l’État de Droit en lui donnant la consistance qui lui fait encore défaut.

Philippe Pichot-Bravard
Historien du droit
Maître de conférence à l’université de Brest

À la mémoire de la comtesse de Quatrebarbes, née
Gersende de Sabran-Pontevès, dont le beau sourire
s’est
éteint [le 21 juin 2013], à la veille de son cent-unième
anniversaire.


[1] Sur ce point, nous renvoyons à l’étude novatrice et stimulante de Marie-Pauline Deswarte, La République organique en France, Via Romana, 2014.

[2] Cf. la première partie de notre thèse de droit : Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle), LGDJ, Paris, 2011.


Publication originale : Philippe Pichot-Bravard, « Un Roi pour le XXIe siècle », dans Collectif, Actes de la XXe session du Centre d’Études Historiques (11 au 14 juillet 2013) : Les Bourbons et le XXe siècle, CEH, Neuves-Maisons, 2014, p. 189-196.

Consulter les autres articles de l’ouvrage :

Préface, par Monseigneur le Duc d’Anjou (p. 5-6).

Avant-propos, par Jean-Christian Pinot (p. 7-8).

« Naples et Rome, obstacles à l’unité politique de l’Italie », par Yves-Marie Bercé (p. 13-26).

« Le roi Juan Carlos et les Bourbons d’Espagne », par Jordi Cana (p. 27-35).

« Deux décennies de commémorations capétiennes : 1987, 1989, 1993, 2004, etc. », par Jacques Charles-Gaffiot (p. 37-49).

« L’abrogation de la loi d’exil dans les débats parlementaires en 1950 », par Laurent Chéron (p. 51-67)

► « De Gaulle et les Capétiens », par Paul-Marie Coûteaux (p. 69-97) :

« De Chateaubriand à Cattaui : Bourbons oubliés, Bourbons retrouvés », par Daniel de Montplaisir (p. 99-108).

►  « Les relations Église-État en Espagne de 1814 à nos jours », par Guillaume de Thieulloy (p. 109-124) :

► « Autour du livre Zita, portrait intime d’une impératrice », par l’abbé Cyrille Debris (p. 125-136) :

► « La mission Sixte : la tentative de paix de l’Empereur Charles Ier », par le Pr. Tamara Griesser-Pecar (p. 137-157) :

► « Les stratégies matrimoniales », par le Pr. Philippe Lavaux (p. 159-170) :

► « Les Bourbons dans les Carnets du cardinal Baudrillart », par le père Augustin Pic (p. 171-188).

« Un Roi pour le XXIe siècle », par Philippe Pichot-Bravard (p. 189-196).

Consulter les articles de la session précédente :

Articles de la XVIIIe session (7 au 10 juillet 2011) : 1661, la prise de pouvoir par Louis XIV

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