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Jean Raspail et le roi. Militance politique ou chant romantique d’une cause perdue ?


Cette série d’articles, signée Gabriel Privat, fut publiée une première fois sur Vexilla Galliae entre le 19 septembre 2016 et le 11 août 2017. Nous les publions à nouveau en hommage à l’écrivain Jean Raspail, mort le 13 juin 2020, jour de la Saint-Antoine-de-Padoue. Il aurait eu 95 ans le 5 juillet.


Pour tout royaliste, Jean Raspail est l’homme qui organisa en 1993 la cérémonie des deux cent ans de la mort de Louis XVI, place de la Concorde, réunissant plusieurs milliers de personnes, par-delà toute appartenance de mouvement ou de dynaste. 5000 proclamait la police, 15 000 répondirent les organisateurs. Peu importe ! Quel que soit le chiffre, il n’y a pas eu de plus grand rassemblement royaliste depuis ce 21 janvier 1993. Surtout, outre les fidèles, des personnages officiels avaient fait le déplacement : acteurs, hommes de lettres, personnalités des médias et surtout l’ambassadeur des États-Unis, tous venus en respectueux hommage au roi martyr.

Ce coup d’épée fut un coup d’éclat.

En 2006, Raspail signa également la très connue et controversée tribune du Figaro intitulée : « La patrie trahie par la République ». On n’avait pas entendu tonner contre le régime avec autant de visibilité et dans un si grand titre depuis des années.

Jean Raspail est un serviteur du roi et, avec ses moyens, il a servi !

Mais son plus grand apport à la cause royale se situe dans son œuvre de romancier, autour principalement de quatre ouvrages. Deux présentent le roi et le défendent ; Sire et Le roi au-delà de la mer. Deux combattent la république et la défigurent à coups d’épée, Le Président et La passation de pouvoirs.

Au service du roi

Dans Sire, publié à l’époque de ce 21 janvier mémorable, Raspail nous présente le dernier des Capétiens, beau jeune homme à l’esprit chevaleresque, Philippe-Pharamond, et sa sœur jumelle Marie, parti avec quelques compagnons en route vers Reims pour y être sacré. Il ne reste plus de royalistes. Quelques nostalgiques seulement, isolés par un pouvoir politique qui ne se soucie guère d’eux que pour éviter qu’ils déposent une gerbe de fleurs place de la Concorde le 21 janvier. La France, elle-même, n’est plus. Le pays, à la perdition, en porte encore le nom, mais s’enfonce dans la violence et la médiocrité. Les immenses zones commerciales et les banlieues interminables sont la proie de la délinquance. Dans leurs palais silencieux, les ministres gouvernent un État déliquescent. C’est la fin de notre monde. Dans ce désastre, Philippe-Pharamond ne passe que discrètement. Il considère, finalement, que son royaume n’est pas d’ici. À aucun moment il ne songe à se faire connaître, à proclamer ses droits au pouvoir suprême de l’État. Lorsqu’il s’arrête à Saint-Denis, dans la basilique, une fois seulement, il fut tenté par le pouvoir matériel, imaginant avec force détails la veille funèbre perpétuelle des sépultures royales par un corps de garde impeccable, dans un hommage forcé du peuple impie mais repentant pour ses rois ignoblement violés dans leur dernier séjour, deux cent ans auparavant, lors du sac de l’abbaye.

Le coup d’humeur passé, il repart pour Reims. Le sacre a lieu dans l’anonymat, mais avec un cardinal de l’Église, venu de la lointaine Écosse, et selon l’antique rituel inauguré sous Charles V plus de six siècles auparavant. Après la cérémonie, tout était accompli. Philippe-Pharamond était pleinement roi, il n’y avait plus rien d’autre à faire, il reprit le chemin de l’exil.

Inutile ? Pas tout à fait ! Sur sa route, dans le cœur des sujets rencontrés, il insuffla un peu d’espérance, bouleversant cœurs et esprits. La fragile flamme se réveilla à ses pas ; jusque dans les bureaux du ministre de l’Intérieur suivant l’équipée à distance.

C’est, dans l’œuvre de Raspail, un aspect presque mystique ; tout est perdu, tout est fini, du moins à vue humaine. Et quelque part, au-delà des mers, au-delà des hommes, subsiste une fragile flamme de vie, que la fraicheur d’une jeunesse qui ne se cache pas mais ne se montre pas non plus, ranime sans peine. Alors, d’elle tout peut repartir, pour peu que l’on veuille la saisir. Cette apparition de la petite espérance sous la plume d’un auteur croyant volontiers que tout est fini et que l’on a facilement accusé de désespérance se retrouve également dans Septentrion, où c’est un clochard, Zéphyr, dernier homme vivant laissé derrière eux par les fuyards, dans la cité des hommes gris, que l’espérance se maintient, suscitant, des générations plus tard, de nouveaux disciples, maintenant inlassablement jusqu’au jour béni où la lutte permettra que le petit héritage conservé précieusement déploie à nouveau ses ailes.

Y a-t-il un signe tangible de l’espérance jetée autour de lui par ce roi de papier qu’est Philippe-Pharamond ? En février 1999, à la date prescrite du sacre, sans s’être concertés, plusieurs royalistes, fidèles lecteurs de Raspail, se retrouvèrent, de nuit, devant les portes closes de la cathédrale de Reims, venus rendre hommage au roi qui vient. Ce témoignage montre que, oui, Jean Raspail, ce jour-là, en publiant Sire, contribua, à sa manière, à maintenir et répandre le souvenir du roi.

Le Roi au-delà de la mer est d’une autre trempe. Raspail y hésite entre deux positions, celle du refus total du monde et de toute compromission, où le souverain, s’exilant en Écosse, sur les traces du Bonny prince Charlie, y attend l’avenir mais ne se commet plus avec les politiques et les mondains, vivant simplement sans apparat superflu ; et celle du retour, où le souverain, après quelques temps d’éloignement et de silence organise, en une série d’opérations commandos savamment menées, la reconquête des îles inhabitées de son territoire, annexions au royaume d’îles de la République. En opérant de la sorte, il choisit la confrontation et oblige le régime à le considérer comme souverain et à traiter avec lui. Si l’opération, dans l’immédiat, échoue, avec la prise d’assaut des îlots et leur réduction, par la force, le roi est désormais connu et reconnu de tous. L’opération de long terme est réussie, une flamme d’espérance politique a jailli. Là encore, à vue humaine tout est perdu, mais dans une autre échelle de temps, ce roi qui ne prétend à rien et se contente d’être, avec majesté et détachement, a avancé ses pions avec plus de finesse que les grands politiques, simplement parce qu’il a agi en grand capitaine.

Si Raspail met en avant le roi, si le régime qu’il préfère est la royauté, comme on le voit dans Les Royaumes de Borée où la fin de la principauté est vécue comme une catastrophe civilisationnelle, malgré toutes les limites et l’indignité des derniers monarques, il n’en oublie pas pour autant la république, notre régime actuel, auquel il décoche ses coups de griffe. 

Contre la république

Dans La passation de pouvoir, le pouvoir présidentiel est présenté dans toute sa médiocrité politicienne. Le président sortant est confronté à l’entrant et l’un comme l’autre sont deux roublards, parvenus par effraction au sommet de l’État. Maniganceurs en diable, ils portent l’un et l’autre sur les épaules leur charge de trahisons, de compromissions, de lâchetés. Le président sortant, dans un suprême sursaut d’amour de la France décide de tuer son opposant, le considérant comme trop indigne d’accéder au pouvoir. Ce patriotisme que tout le monde prit pour de la folie fut la preuve éclatante qu’un homme, même défiguré par la pratique politicienne du pouvoir pendant des années, pouvait conserver en son âme un peu de ce sens de l’honneur qui conduit à vouloir pour son pays de la grandeur. L’opposant tué aurait presque pu avoir la réplique de Bernard Blier dans le film de Henri Verneuil, Le Président : « J’aurais pu être un président pas plus mal qu’un autre ». Cette dernière réplique avait définitivement convaincu Jean Gabin de barrer la route de son ancien ami. « Voilà tout ce que vous souhaitez à votre pays, un président pas plus mal qu’un autre ! »

Jean Raspail se retrouve, dans sa nouvelle, au même point. L’idée de la médiocrité au pouvoir est un mal insupportable qu’il faut éradiquer de manière absolue. Seule la mise à mort du vainqueur que l’on ne peut plus écarter ouvre de nouveau les voies de l’honneur. C’est l’ancien président pourtant politicard au petit pied qui se plie à la tâche salutaire du bourreau. Ce retournement de l’esprit chez un homme d’État corrompu est un thème fréquent dans les descriptions politiques de Raspail. On le retrouve dans Sire chez le ministre de l’Intérieur. L’absence de retournement, de conversion à l’honneur et au courage, peuvent avoir des conséquences dramatiques, comme le montre l’ultime renoncement du Président dans Le camp des saints, engendrant la décomposition des moyens de défense alors que la vague invasive arrive sur les côtes.

Le dialogue entre les deux chefs d’État mis en scène par Raspail est l’occasion de la dénonciation des turpitudes de la vie démocratique quotidienne, tandis que dans le reste du palais de l’Élysée, livrés à eux-mêmes, les subalternes révèlent leur vraie nature. Les conseillers prennent enfin des initiatives énergiques après avoir été perdus un temps, le colonel de la garde républicaine se révèle l’homme de la situation et devient le Murat de ce 18 Brumaire de carnaval en chassant la presse à coups de crosse dans une scène partie bouffonne, partie jubilatoire ; en somme, libérés du poids la course au pouvoir, les hommes devant leurs devoirs reprennent de l’ampleur.

Dans Le Président, roman atypique dans l’œuvre de Raspail, où deux jumeaux se vouent une haine inexpiable jusqu’à la mort, au contraire, nul ne sort de sa médiocrité car les exigences de la vie politiciennes républicaine restent guidées par l’implacable arriviste Antoine Bunus, maître du jeu et prêt à toutes les infamies pour maintenir son pouvoir, ôter toute épine de son chemin, quitte à tuer son frère, exilé au lointain Saraguay depuis 1945, sous le nom de Tony Rosette. Conseillers, ministres, chefs des services secrets, officiers de sécurité, épouse, tous rivalisent de médiocrité. C’est le marigot de la cour républicaine dans sa splendeur, vu par Raspail, de la Libération au début des années 1980, montrant le sordide d’une vie de couple de façade tandis que se succèdent les adultères ; le lamentable d’une haute administration aux ordres pour la promotion personnelle du Président occupé de pure communication ; la courtisanerie et la grande politique mêlées, etc.

Mais qui a vécu par l’épée périra par l’épée.

Bunus meurtrier est tué à son tour, comme son agent de sécurité exécuteur des basses œuvres.

Jean Raspail, serviteur du roi, défend son souverain et porte l’épée contre la République. Mais il reste avant tout un homme de lettres. C’est dans cet esprit qu’il faut lire ces romans, comme des œuvres littéraires présentant des caractères humains et des intrigues pleinement humaines. La politique vient après, soumise au sacré de l’âme.

Gabriel Privat


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