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Liberté, ta devise écrite en lettre de sang !

« Il a tué mon père, il a tué ma mère mais je vote pour lui ! ». C’est avec ce violent slogan que Charles Taylor se fera élire Président de la république du Libéria de 1997 à 2003 avant de devoir quitter son poste pour échapper à la justice internationale. Lâché par son allié nigérian, l’ancien seigneur de guerre doit aujourd’hui pourtant répondre devant la cour de la Haye de deux décennies de violences qui auront coûté la vie à 220 000 personnes.

La révolution qui donne son indépendance à l’île d’Haïti en 1804 provoque un séisme dans les consciences des américains qui craignent un épisode similaire dans la jeune république des Etats-Unis. Ainsi nait en 1816 l’American Colonization Society (ACS), principalement créée par des propriétaires de plantations qui souhaitent inciter les esclaves à revenir sur le sol africain. Ayant acheté aux tribus locales un bout de côte en Afrique de l’Ouest à l’embouchure du fleuve Saint- Paul, l’ASC débarque les  premiers contingents de ces africains affranchis en 1820.  Le Libéria (Liberté) est né, son premier gouverneur sera… blanc !

Rapidement, les tensions s’accroissent avec, d’une part les tribus locales Krahns (ou Krous) exaspérées de la colonisation de leur terre par ces intrus qui ne parlent pas leur langue, d’autre part les voisins britanniques en Sierra Léone désireux d’annexer la colonie naissante. La répression sera féroce contre les indigènes locaux et les anglais repoussés dans les limites de la Sierra-Léone. C’est une société moderne qui se met alors  en place, une capitale est créée de toute pièce, Monrovia, du nom du 5ième Président américain James Monroe aux airs de ville sudiste des Etats -Unis. Les anciens esclaves deviennent propriétaires terriens, esclavagistes eux-mêmes avant de prendre leur indépendance le 26 juillet 1847 devenant ainsi la première nation africaine libre du continent originel de l’homme. Exception faîte de l’Empire éthiopien.

Une société à deux vitesses se constitue rapidement avec l’établissement d’un vote censitaire qui va permettre  aux américano-libériens de conserver le pouvoir  durant un siècle et demi, stigmatisant les Krahns sur tous les échelons de la vie sociale libérienne. Les dominés de hier aux Etats-Unis deviennent les dominants en Afrique. Mais l’indépendance a un prix. La république s’enfonce rapidement dans une crise économique et s’endette auprès du Royaume-Uni.  Ces négociations provoqueront une crise politique au sein du Parti Républicain au pouvoir et aboutit au premier coup d’état qui met fin dans le sang au régime du Président Edward James Roye, un an à peine après son élection au poste en 1870. 

En 1878, le True Whig Party accède au pouvoir. Ses fondateurs sont tous membres d’une loge maçonnique et entendent régner sur le pays de manière hégémonique. D’ailleurs, seuls les américanos- libériens auront le droit de vote jusqu’en 1945, les Krous astreints à un régime de travail obligatoire au service de l’Etat, provoquant une rébellion de ceux-ci en 1915 et en 1931. Dans les années 30, la Société de Nations dénoncera en vain la vente d’esclaves par les créoles aux portugais pour leurs plantations. La situation économique du pays s’est alors envenimée. Cette fois c’est vers Washington que se tournent les américano-libériens. Une nouvelle dette, un nouvel emprunt, la Firestone Natural Rubber Company obtient l’exploitation de l’industrie de caoutchouc dont les bénéfices rendent quasi dépendant le gouvernement libérien. Un Etat dans l’Etat ! Le Président Charles Burgess King étouffé par les scandales devra démissionner et lui valent même de figurer en 1982 dans le Guiness Book des  records pour l’élection la plus frauduleuse de l’histoire de l’humanité. Même les morts avaient voté pour lui !

Du drapeau aux bandes horizontales blanches et rouges orné d’une étoile sous fond bleu au nom même du Président, tout rappelle l’influence américaine au Libéria. Les Etats-Unis ont le Président Truman, les Libériens auront le Président Tubman. Le dollar libérien est aligné sur son alter ego américain, le port de Monrovia accueillera les navires alliés lors de la seconde guerre mondiale. Considéré comme le père du Libéria moderne, son régime devient vite répressif en 1955. L’opposition est réduite au silence, les Krahns interdits de toutes activités administratives accentuant leur ressentiment contre l’élite dominante. Après 27 ans de règne, Tubman meurt encore en poste en 1971. Son vice-président William Tolbert lui succède. Ses réformes libérales lui aliènent l’opposition des membres les plus extrêmes du True Whig Party qui craignent que la voie au pouvoir soit ouverte aux Krahns ou autres ethnies locales. L’augmentation du prix du riz provoque en 1979 des émeutes et Tolbert finit par faire embastiller en mars 1980 les leaders d’inspiration marxiste de l’opposition. Un mois plus tard, un sergent illettré agissant au nom des intérêts des indigènes s’empare de l’Executive Mansion, le palais présidentiel, assassine William Tolbert et son gouvernement. La population se livre à un véritable lynchage public sur les corps des défunts notamment celui démembré du président. L’arrivé au pouvoir de Samuel Kanyon Doe met fin au règne sans partage du True Whig Party. Les Krahns conduisent désormais les rênes du pays et se livrent à une vengeance sans limites. Le régime sera à l’image de son putschiste. Corruption, fraudes, répression, ségrégation de fait contre les autres ethnies, massacres ethniques, dictature etc. Tous ces éléments réunis dans un cocktail explosif plonge le Libéria dans une guerre civile en 1989. La prise de la capitale par un des chefs rebelles factieux, Prince Johnson, va précéder la chute du Président Doe. Humilié publiquement, l’ancien putschiste est battu et torturé devant les caméras de la télévision publique avant d’être exécuté, son corps trainé nu dans les rues de Monrovia, ses doigts et ses oreilles des trophées, son crâne vidé et coupé en deux afin de servir de verre naturel à son assassin. Des siècles de frustrations ont plongé le Libéria dans l’horreur. 

Rapidement Charles Taylor, formé par les américains, prend le leadership d’une guerre dont il se définit comme un modeste « entrepreneur politico-militaire » et qui se transforme peu à peu en « guerre mafieuse pour le contrôle des mines de diamants, des bois précieux, des royalties, des pavillons de complaisance et du blanchiment de drogue », exportant même le conflit en Sierra Léone, faisant la fortune des marchands d’armes en tout genre.  Et de devenir rapidement africano-européen. Car dans cette guerre, chacun place ses pions sur l’échiquier libérien à commencer par la France mitterrandienne qui a fait activer ses réseaux depuis le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire et fermera allégrement les yeux sur l’enrôlement  de plus de 10 000 enfants soldats (Small Boys). De factions dissidentes en intervention armée des casques blancs de l’Ecomog (force d’interposition armée africaine principalement conduite par le Nigeria) en nombreux cessez le feu, il faut attendre 1997 pour que le pays retrouve le chemin des urnes.

A peine installé au pouvoir, Charles Taylor retrouve les démons d’un pouvoir autoritaire, bafoue les droits de l’homme, bloque toute réforme qui le dessert, fait arrêter les opposants politiques, alors qu’un clientélisme forcené règne… Le Libéria devient une banale république bananière où la capitale  montre toujours au businessman de passage, un visage ravagé. En 1999, la guerre civile reprend, plus violente, plus  meurtrière notamment avec l’intervention de rebelles sierra léonais qui coupent mains et jambes à tout prisonnier de guerre.. Sous la pression américaine et d’un embargo sur les armes et les diamants, l’ancien seigneur de la guerre prend l’avion vers le Nigeria avec à son bord 150 millions de dollars. My Taylor is rich !

La transition démocratique ne se fait pas sans heurts. L’économie du pays est en ruine, à l’élection présidentielle de 2004 s’affrontent de nouveau « natives » contre « américano-libériens », Georges Weah ancien ballon d’or face à Ellen Johnson Sirleaf dont l’élection à la tête de l’Etat fera de cette  ancienne ministre de Tolbert, la première femme élue au suffrage universel à la tête d’un État africain. Les rivalités économiques ont repris leurs droits (plusieurs contrats sont ainsi signés avec des compagnies étrangères (australienne, chinoise, britannique entre 2010 et 2011), Firestone dirige toujours sa plantation de 76000 hectares (et a dû faire face à des plaintes pour esclavage moderne menaçant le renouvellement de sa concession en 2007), les Etats-Unis et l’Allemagne annulent sa dette financière d’un coup de stylo. Son bilan est pourtant mitigé dans son pays où ses concitoyens doivent vivre avec moins d’un euro par jour et 80% d’entre eux sont au chômage. Fermant les yeux sur le recrutement de mercenaires libériens par le gouvernement ivoirien de Laurent Gbagbo tout en soutenant son opposant Alassane Dramane Ouattara, lorsqu’elle menace d’embastiller l’opposition par une déclaration tonitruante, son porte-parole s’empressera de justifier son communiqué en le faisant passer pour une plaisanterie du 1er avril… date à laquelle la présidente du Libéria avait proféré ses menaces. La paix demeure encore fragile dans un pays dont le mot liberté est devenu un simple fantasme impossible à réaliser. La crise humanitaire de 2014/2015 engendrée par la rapide propagation du virus Ebola qui a fait entre 2000 à 5000 morts a failli faire retomber le pays dans la guerre civile, Ellen Johnson Sirleaf ayant été fortement critiquée pour sa  gestion de la maladie. Prix Nobel de la paix en 2011, les Libériens n’ont pas oublié que leur présidente, icône en Europe, fut aussi un support financier à… Charles Taylor… La reconstruction du pays est loin d’être achevée… Les anciens « warlords » n’ont pas disparu (Prince Johnson est devenu Sénateur et joua le faiseur de roi lors de l’élection présidentielle de 2011), les américano-libériens se passionnent désormais pour leur nouveau champion, Winston Tubman… neveu du Président du même nom.

En 2006, la Commission Vérité et Réconciliation a amnistié tous les protagonistes de la guerre,  prix  de la paix entaché du sang des diamants, vitrine du racisme à l’africaine.  « L’amour de la liberté nous a amené ici ! » affirme sa devise.  Liberia que de crimes  ont-ils finalement commis en ton nom !

Frédéric de Natal

Quelques liens supplémentaires :

 

http://www.jeuneafrique.com/Chronologie-pays_67_Lib%C3%A9ria : Histoire du Liberia

http://www.slateafrique.com/661/liberia-guerre-etats-unis-passe-esclaves : Histoire du Libéria (2)

http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAWEB20120422123114/cpi-lib-ria-charles-taylor-samuel-doeliberia-la-r-volte-des-indig-nes-1.html : Histoire du coup d’état de 1980

https://www.youtube.com/watch?v=QFdCcRsKxYg : Capture du Président Kanyon Doe (vidéo)

https://www.youtube.com/watch?v=zmrkTi3EHqk : La guerre civile au Libéria (en anglais)

http://www.liberation.fr/monde/2011/10/07/ellen-johnson-sirleaf-la-dame-de-fer-liberienne_766391 : Portrait d’Ellen Johnson Sirleaf

http://www.liberation.fr/monde/2014/09/09/ebola-pourrait-faire-disparaitre-le-liberia_1097102 : Ebola menace la stabilité du pays

https://www.youtube.com/watch?v=SY0JGGbg0wk : Trailer du film White Material (avec Isabelle Huppert)

https://www.youtube.com/watch?v=yFqmQmJAT_0 : Trailer du film Blood Diamond (avec Léonardo Di Caprio) 

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