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Albinos, ou la tragédie des Noirs blancs

Les tragédies ne manquent pas, en Afrique. Dans mes précédents articles,  j’en ai déjà évoqué un certain nombre. J’ai été le témoin direct de certaines d’entre elles: guerres, rébellions, famines, VIH/SIDA, enfants soldats, enfants accusés de sorcellerie, enfants victimes de mines antipersonnel. Je voudrais en évoquer une autre, qui m’a beaucoup touché. Il s’agit du sort réservé aux albinos dans de nombreux pays de l’Afrique sub-saharienne.

Qu’est-ce que l’albinisme ? À l’origine, le nom d’ « albinos » fut donné aux Africains blancs rencontrés par les navigateurs portugais, à l’époque de Vasco de Gama, sur la côte occidentale de l’Afrique. L’albinisme est une anomalie génétique due  à une absence de mélanine, un  pigment de la peau, des poils, des cheveux et  des yeux.  

Cette anomalie peut se manifester sous plusieurs formes: l’albinisme partiel, ou oculaire, qui n’affecte que la vision, et l’albinisme total ou oculo-cutané, qui affecte les yeux, la peau et le système pileux. Les albinos ont une vision très déficiente. L’exposition à la lumière du soleil peut la détériorer encore plus et peut même amener la cécité totale. Elle peut aussi causer des maladies de peau pouvant évoluer en cancers. L’albinisme est une affection universelle dont l’incidence mondiale, toutes formes confondues, est  d’environ un cas pour vingt-mille naissances, soit 0,005 % de la population humaine. Cependant, ce taux de prévalence est notablement plus élevé dans certains groupes  humains, sans que l’on en connaisse la raison. Par exemple, il y a 3,5% d’albinos chez les Amérindiens d’ethnie Kuna, au Panama. Chez les Afro-américains, on compte un cas pour douze mille naissances. Dans l’archipel finlandais d’Åland, situé en mer Baltique et qui ne compte que 26 000 habitants, on trouve une proportion très élevée d’albinos. Les albinos se remarquent bien sûr davantage au sein des populations négroïdes. Ils sont plus exposés aux affections cutanées mentionnées plus haut dans les pays chauds et de fort ensoleillement: il est  évident qu’on se couvre moins en Afrique qu’à Åland, le soleil y brillant davantage, douze mois sur douze.

Malheureusement, dans certaines régions d’Afrique, les albinos subissent de nombreux préjudices à cause de traditions ou de superstitions locales. Des médias internationaux ont rapporté, depuis quelques années, d’horribles affaires de meurtres; des albinos tués parce qu’ils étaient albinos. Après leur meurtre, ces innocents ont été atrocement mutilés, démembrés. Des morceaux de leur corps avaient en effet été « commandés » à des hommes de mains, dans le but de préparer des philtres, potions et autres gris-gris permettant soi-disant d’obtenir la réussite, la fortune ou l’amour.  Dans le nord-ouest de la Tanzanie, mais aussi au Burundi et dans la partie orientale de la RD Congo, des milliers d’albinos vivent dans la crainte d’être assassinés.  Alors qu’une athlète albinos[1] vient de faire honneur à la France en remportant une médaille d’or aux Jeux Paralympique de Rio de Janeiro, je souhaiterais céder la parole à Jean-Paul Rossignol[2], qui nous écrit de Bukavu au sujet de la situation des albinos au Sud-Kivu.

Sauver un seul être humain, c’est sauver toute l’humanité

La situation des albinos en Afrique en général et d’une manière particulière en République Démocratique du Congo est loin de s’être améliorée. Les albinos sont toujours l’objet de menaces et d’agressions. Il ne se passe plus une semaine sans qu’il y ait un témoignage de l’un d’entre eux expliquant comment il a été victime de menaces.

Depuis 2009 des meurtres d’albinos ont été commis dans plusieurs pays d’Afrique centrale et orientale. Cette situation a été dénoncée par certaines organisations de défense des droits de l’Homme ainsi que par des associations d’albinos. En 2009, à notre modeste niveau, notre Groupe Alliance enregistra même une chanson en français et en swahili, afin de sensibiliser les communautés aux droits des albinos. Les appels lancés ici et là ont fait que le nombre d’agressions a baissé, surtout grâce à la participation de certaines autorités des pays qui étaient les plus touchés par ces tueries.

Malheureusement, force est de constater qu’aujourd’hui les individus qui portaient atteinte  aux droits des albinos voire même à leurs vies tentent de reprendre leur sinistres activités. Les cris des détresses venant des albinos retentissent à nouveau, les médias s’en font parfois l’écho. Les demandes de protection auprès des autorités par les parents d’albinos se multiplient. Tout cela montre à quel point les albinos demeurent dans la plus grande insécurité. À Bukavu, le père de triplés albinos nouveau-nés témoignait récemment à la Radio communautaire Maendeleo comment il reçoit des appels anonymes de personnes disant qu’ils allaient venir prendre ses enfants par la force.

Cette insécurité est bien réelle et connue de tout le monde. Mais à travers ces lignes je voudrais évoquer un autre danger, bien moins connu, dont les albinos sont victimes. Il s’agit de celui du rejet social, de la marginalisation. Beaucoup d’albinos ont été rejetés par leurs familles. Les premières victimes de ce rejet social sont les enfants qui, sans protection familiale, deviennent totalement vulnérables.

C’est le cas d’un enfant de 14 ans, dont j’ai voudrais conter ici l’histoire. Ses amis l’appellent  Kepe, mais ce n’est pas son vrai nom. Il est venu au monde en 2002 suite à une grossesse non désirée : sa maman avait eu une aventure avec un soldat. Ayant été affecté dans un autre secteur, le militaire  n’était plus là, le jour de sa naissance. Un an plus tard, un autre homme entra dans la vie de la mère. Il refusa de garder l’enfant, car les albinos sont très mal vus au sein de nos communautés, quelles que soient leurs qualités. Peu d’enfants albinos atteignent l’âge adulte et beaucoup ne sont même pas scolarisés.

C’est ainsi que Kepe, une année après sa naissance, fut remis à sa grand-mère. C’est cette femme qui prit soin de lui. Malheureusement, privée de tout soutien, la dame fut incapable de lui assurer une scolarité régulière. L’enfant ne put faire que la première et la deuxième année primaire.

C’est dans cette situation de désespoir total que nous fîmes la connaissance de la grand-mère de Kepe. Après qu’elle nous eut narré toute l’histoire, notre petit groupe musical Alliance décida de commencer à l’aider dans l’éducation de cet enfant. Depuis lors, Kepe a repris le chemin de l’école et a aussi intégré le groupe. La présence de François, un autre albinos qui chantait avec nous, fut un soulagement pour lui et un moyen d’assurer sa bonne intégration. Grâce à cela il a vite réalisé que tous les membres du groupe  étaient disposés à tout partager avec lui. Pour lui qui fut rejeté par sa propre famille, ce groupe devint une nouvelle famille au sein de laquelle il se sentit mieux.

Tout récemment, cet enfant qui avait pourtant retrouvé la joie et le bonheur de la vie fut frappé par un nouveau coup dur, avec la mort de sa grand-mère. Cette femme généreuse était souffrante depuis longtemps. Elle ne voulait pas que Kepe le sache, jusqu’à ce que sa situation sanitaire exige une hospitalisation. Amenée à l’Hôpital Général de Bukavu, elle en fut finalement renvoyée pour cause de manque d’argent. Comme il est de coutume à Bukavu, lorsqu’on n’a pas les moyens nécessaires pour se faire soigner à l’hôpital, on intègre une « salle de prières ». Ce qu’elle fit mais, après seulement quelques jours, elle décéda durant la nuit du mercredi 31 août dernier. Ceux qui étaient auprès d’elle à ce moment-là témoignèrent que le nom de Kepe fut la dernière parole qu’elle parvint à prononcer.

Comme l’Ecclésiaste, je me suis alors mis à considérer toutes les brimades qui s’exercent sous le soleil. Voici les larmes des opprimés, et personne pour les consoler. Je devais donc rester aux côtés de Kepe pendant les trois jours du deuil. Je me suis préoccupé de savoir quel serait le sort de l’enfant après la disparition de sa grand-mère. Je fus conduit jusqu’à sa tante maternelle, à qui la famille comptait remettre l’enfant. Elle m’assura qu’elle avait l’intention de récupérer l’enfant mais qu’elle craignait la réaction de son mari. Elle me dit aussi qu’elle mettrait fin aux études de l’enfant, au motif qu’elle n’était pas en mesure de les prendre en charge.

Voici ce qui est advenu de Kepe tout simplement parce qu’il est né albinos. Personne au sein de sa famille ne veut s’occuper de lui. Lorsque je suis retourné voir sa tante après le deuil, j’ai réalisé qu’elle n’était pas partie avec lui. C’est la famille dans laquelle vivait sa grand-mère qui a finalement accepté de le garder. Mais cette famille ne saura pas prendre en charge les frais scolaires de ce garçon. C’est déjà bien qu’il ait quelque part où vivre.

C’est pour tenter d’assurer l’avenir de Kepe que je me suis mis à écrire ces lignes.  L’albinisme demande des soins particuliers. Leur peau étant privée de mélanine,  ils sont très vulnérables, surtout lorsqu’ils sont exposés aux rayons du soleil. Kepe doit donc porter des chemises à manches longues et des pantalons longs. L’idéal serait aussi qu’il puisse avoir de la crème solaire, ce qui est introuvable à Bukavu. Même si ça l’était, ce serait inabordable ! À travers ces quelques lignes j’en appel à toi, lecteur, où que tu sois, afin que tu m’aides à assurer l’avenir de Kepe. 

Kepe n’a pas de prénom. Au Congo, les prénoms sont souvent choisis parmi les noms des saints et on les reçoit le jour de baptême. Kepe n’est pas encore baptisé. Nous avons donc finalement décidé de l’inscrire en première année de catéchisme. Il fera quatre ans avant de recevoir le baptême. J’espère que d’ici là, un beau prénom chrétien lui aura été attribué. J’espère surtout qu’il sera déjà au collège, lors de ce grand jour !

Hervé Cheuzeville et Jean-paul Rossignol



[1] Nantenin Keita, fille du célèbre musicien et chanteur malien et albinos, Sélif Keita.

[2] Auteur-compositeur congolais et enseignant, Jean-Paul Rossignol vient de décrocher sa licence de Droit. 

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