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AmériKKKa ou le retour inattendu du Ku Kux Klan

Ce 10 novembre 2016,  la nuit tombe sur ville de Roxboro. Située en Caroline du Nord, peuplée par 8000 habitants, rien ne semble la différencier des autres villes avoisinantes. On a vécu, comme partout ailleurs, la dernière élection présidentielle avant autant de passion et de ferveur que le reste des Etats-Unis. On s’affaire encore autour des derniers commerces qui vont bientôt fermer. Dans les rues, on klaxonne, on crie bruyamment pour fêter la victoire du parti républicain.  Ici pas moins de 57% des voix du comté de Person se sont portés en faveur du candidat républicain Donald Trump. Les drapeaux de l’ancienne Confédération claquent au vent, se mêlant à ceux de l’Union et ses 50 étoiles, symbolisant tous les différents états d’Amérique. Certains habitants ont revêtu sans complexes de longues tuniques blanches, les couvrant du pied à la tête, elle-même recouverte d’une capuche pointue semblable à un capirote, masquant l’intégralité de leur visage, excepté les yeux. On applaudit ou on baisse la tête, on chante dixieland ou on passe son chemin ! A Roxboro, Les chevaliers du Ku Klux Klan viennent d’investir la ville d’un ancien état de la Confédération. A l’heure où on abat les statues des anciens généraux sudistes, l’élection de Donald Trump va-t-il permettre la résurgence du Klan, une des plus grandes organisations suprématistes blanches des Etats-Unis d’Amérique ?

« Yesterday, today, Tomorrow » (Hier, aujourd’hui, demain) tel pourrait être le slogan du Ku Klux Klan, dont l’acronyme réveille un douloureux passé de l’histoire américaine. Le 9 avril 1865, la guerre de sécession, commencée 4 ans plutôt, se termine devant une table d’une ferme d’Appomattox. Dans un impeccable uniforme gris, le général Robert E. Lee signe l’acte de reddition des 13 états sécessionnistes qui sont immédiatement occupés par les soldats de l’Union. L’esclavage, cette « condition naturelle et normale du nègre » qui avait codifié la vie de générations d’aristocrates blancs du Sud et autres petits métayers, a été aboli. Pourtant à regarder de plus près, passé quelques années de reconstruction, rien ne va véritablement changer pour les nouveaux affranchis. Les « dixiecrats » (mélange de Dixie et démocrates) vont reprendre peu à peu leurs pouvoirs. Apparue au lendemain de la guerre civile, une société secrète ravage les anciens états de la Confédération, terrorisant la nuit les anciens esclaves quand ils ne les pendent pas, brûlant leurs maisons.  Le Ku Klux Klan est né. Dérivés de mots latins (cercle et lumière), on lui a adjoint une sonorité écossaise, origine des fondateurs du premier Klan dont l’existence n’excédera cependant pas une décennie. C’est en 1915 que le second Klan renaît de ses cendres. La ségrégation raciale a de nouveau été institutionnalisée et l’adaptation cinématographique d’un roman, the Clansman (devenu « Naissance d’une nation » en français), va largement accréditer les théories raciales en vigueur de l’époque. Une croix enflammée lors de la nuit de Thanksgiving sur le promontoire de  Stone Mountain consacre la restauration de  l’Ordre des Chevaliers de l’Empire Invisible du Ku Klux Klan.  Avec à sa tête, l’auto-proclamé Magicien Impérial, William J. Simmons (1880-1945). Et si on déteste toujours ces « negroes », on y a rajouté (pêle-mêle) une haine pour tout ce qui est communiste, catholique, syndicaliste, féministe, immigrants européens et autres athées. Le nouveau KKK essaime rapidement à travers tous les Etats-Unis, patronné discrètement même par le gouvernement américain. L’organisation devient si puissante qu’elle se paye le luxe de pouvoir faire élire des gouverneurs comme des Présidents à la tête de l’état, sénateurs comme juges ou sheriffs locaux. En 1925, devenu une vaste machine à dollars, le Klan compte plus de 5 millions de membres.  En 1928, plus de 50 000 membres du Klan marcheront dans une vaste parade à travers les rues de Washington. Un triomphe. Mais des dissensions internes (Simmons est remplacé par un dentiste de Dallas, Hiram W. Evans), des affaires de détournement de fonds ou de viols (comme celle du Grand Dragon de l’Indiana David Curtiss Stephenson) vont fragiliser le Klan qui est finalement liquidé par le bureau fédéral en 1944 pour … non acquittement de ses impôts depuis 20 ans.

En 1964, « Mississipi is burning » (Le Mississipi est en flammes).  Le Federal Bureau of Investigation (FBI) enquête sur la disparition de deux hommes blancs et un afro-américain, membres d’un comité de défense des droits civiques. Le film éponyme qui sort dans les salles en 1988 nous plonge dans une atmosphère lourde d’une petite ville du Sud profond ou le KKK fait régner l’ordre et la loi. La nébuleuse klanique a refait son apparition, plus violente. Attentats, églises incendiées, assassinats d’activistes blancs comme noirs, les lynchages se multiplient. Tous les moyens sont bons  pour préserver le système de ségrégation raciale. A Birmingham, Rosa Parks devient le symbole de la lutte des afro-américains pour leurs droits. En refusant de céder sa place à un blanc, elle déclenche en 1955 un mouvement de désobéissance civile qui va trouver dans les discours du pasteur Martin Luther King toute une symbolique à travers la lutte contre la ségrégation. Le Klan reçoit le soutien public du gouverneur de l’Alabama, Georges Corley Wallace (1919-1988) qui se drape dans le drapeau de la sécession afin d’affirmer les droits des dixies à vivre selon les lois raciales qu’ils ont mises en place.  Un parfum de guerre civile règne de nouveau dans tout le sud des Etats-Unis avec comme point d’orgue, l’assassinat par le Klan de Martin Luther King et la radicalisation des mouvements afro-américains (Nation of Islam de Malcom X assassiné par un rival en 1965, les Black Panthers). Toutefois, le KKK ne parvient pas à redevenir la puissance qu’elle a été autrefois, obligée pour survivre de s’allier parfois avec des organisations d’extrême-droite comme l’American Nazi party de George Lincoln Rockwel (assassiné en 1967).

 Avec l’adoption des droits civiques  (1964)  qui marque la fin de la ségrégation raciale, l’influence des klans réunis au sein de l’United Klans of America de Robert Sheldon (1929-2003),  va aller en diminuant pour ne devenir plus qu’un groupuscule fanatisé dont la figure de proue reste, encore aujourd’hui, le presque septuagénaire ancien sénateur (1989-1992) David Duke.

Lors de la campagne de 2016 du candidat Donald Trump, le Ku Klux Klan a apporté son soutien officiel au parti républicain. Aec jusqu’ici, un pouvoir de nuisance se bornant à quelques manifestations éparses ci et là dans une Amérique qui avait élu en 2008, son premier Président afro-américain, Barack Obama. Une humiliation pour le Klan qui tenait enfin sa revanche en soutenant ouvertement le fils d’un klaniste présumé, arrêté en 1927 lors d’une manifestation du KKK. La quasi majorité des anciens états sécessionnistes avaient d’ailleurs apporté leurs voix au discours protectionniste et patriotique d’un tonitruant et outrancier Donald Trump. Tout un symbole ! 

Devenu l’emblème de tous les mouvements d’extrêmes-droites américaines, le drapeau sudiste a été l’objet d’une polémique en juillet 2015. Surplombant le capitole depuis les années soixante, du siège du gouvernement de l’état de Caroline du sud, il a été finalement retiré après une âpre campagne contre sa présence, fort du soutien du Président Barack Obama qui avait déclaré que « cet emblème n’avait qu’une place, celle d’être uniquement dans des musées ». La tuerie de Charleston* était passée par là. Un mois auparavant, l’Alabama avait lui aussi retiré ses  quatre drapeaux confédérés qui flottaient autour d’un monument à la mémoire des soldats sudistes à l’extérieur de son propre Capitole non sans provoquer des manifestations, dignes de celles que le dixieland avait connu du temps de la ségrégation raciale.  

Il est indéniable que l’arrivée  au pouvoir de Donal Trump a libéré la parole d’une Amérique raciale qui n’hésite plus à se montrer ouvertement et revendiquer sa différence.

Une certaine Amérique qui a été principalement le vivier de voix du populisme de circonstance aux accents reaganistes de Donald Trump, devenu en quelques mois le héros de l’extrême-droite européenne. Une image que le site Breitbart de son conseiller et passionné de Charles Maurras, Steve Bannon, a largement contribué à populariser.  Avec la League of South, qui promeut un nationalisme sudiste, réclame l’indépendance des anciens états de la Confédération et loue l’assassin d’Abraham Lincoln, l’acteur John Wilkes Booth, comme un héros national, l’extrême-droite américaine néo-confédérée s’est entichée d’un nouveau venu sur la scène politique suprématiste. Le quarantenaire Richard Bertrand Spencer, leader de l’Alternative Right (et fondateur de l’AltRight.com qui entend regrouper tous les mouvements ultra nationalistes, dans le lignée de son prédécesseur Stormfront.org), excellent tribun, ne cache pas son soutien au nouveau président Trump (salut aux cris de « Hail Trump, hail our people, hail victory! » lors d’une convention de « l’Alt’ Right » en novembre dernier) et assume publiquement ses positions politiques controversées.

Si l’ombre de la guerre de sécession plane désormais sur les Etats-Unis depuis l’élection de Donald Trump, certains états n’hésitent pas à évoquer de nouvelles velléités séparatistes. En janvier dernier, la Californie a lancé une campagne en faveur de son indépendance (Yes California Independence Campaign). Plus de 600 000 signatures ont déjà été recueillies dans ce que la presse a déjà surnommé le « Calexit » (en référence au Brexit). Loin d’être un cas isolé. L’Oregon n’a pas tardé à faire part également de sa volonté de faire sécession comme le Texas qui a vu la multiplication de milices anti-fédérales en tout genre, qui font régulièrement la une des presses locales ou nationales.

L’ Anti-Defamation League, ces derniers jours, s’est émue de la recrudescence du nombre d’adhésions au sein des 42 groupes de chevaliers du Klan (concentrés principalement dans le sud et dans l’est) et dans un rapport publié dans la presse a conclu que le KKK restait  encore « une menace pour la société avec une prédominance anti afro-américaine, anti-immigration et homophobe, impliqués dans des activités criminelles». Bien qu’actifs dans  seulement 33 états et si l’histoire est un éternel recommencement, il serait néanmoins peu réaliste de penser que les 9000 membres du Ku Klux Klan répartis à travers les Etats-Unis d’Amérique soient en mesure de provoquer une… nouvelle guerre de sécession. 

Frederic de Natal.

* Dans la nuit du 17 au 18 juin 2015, le jeune Dylann Roof a ouvert le feu dans une église méthodiste de Charleston, tuant 6 femmes et 3 hommes. Lors de l’éloge funèbre, le président Barack Obama avait rappelé « l’importance des églises pour la communauté noire américaine, de la période de l’esclavage à celle du mouvement pour les droits civiques »

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