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Dom Bertrand, un Orléans parmi la légitimité… au Brésil

L’affaire Petrobras aura eu raison de la présidente brésilienne Dilma Rousseff, contrainte de quitter le pouvoir, le 12 mai, après qu’une majorité de députés a finalement voté sa destitution. Une campagne qui a permis au monarchisme brésilien et à sa dynastie impériale, toutes branches confondues, de faire entendre leurs voix, parmi lesquelles celle du prince dom Bertrand, le plus francophile et le plus légitimiste des Orléans-Bragance.

C’est le 2 février 1941, à Mandelieu, dans le Sud de la France, que nait le prince impérial Bertrand Maria José Pio Januário Miguel Gabriel Rafael Gonzaga de Orleans e Bragança (Orléans-Bragance). Il est le troisième enfant d’une fratrie qui  comptera bientôt pas moins de 12 frères et sœurs. Dès sa naissance, le prince est déjà auréolé d’un arbre généalogique prestigieux. Il descend directement du roi Louis XIII par son second fils, Philippe d’Orléans. Son nom d’Orléans, il le doit justement au petit-fils du « roi des Français », Louis-Philippe 1er, le comte d’Eu, Gaston d’Orléans (1891-1921) qui, en 1864, a épousé Isabelle de Bragance, la fille du dernier empereur brésilien, dom Pedro II.

Son père, dom Pedro Henrique d’Orléans-Bragance (1909-1981) prétend au trône impérial au Brésil, vacant depuis le coup d’état du 15 novembre 1889, qui avait mis fin à 67 ans d’empire. Non sans difficultés pourtant. Depuis 1937, son oncle dom Pedro de Alcântara (1875-1940)  est revenu sur la renonciation au trône qu’il avait signée en 1908 afin de pouvoir épouser la comtesse Elisabeth Dobrzensky de Dobrzenicz. La famille impériale connait immédiatement une division dynastique qui va affecter le Partido Monarquista Brasileiro (parti monarchiste brésilien), avec d’un côté ceux qui arguent de la légitimité de dom Pedro Henrique, et de l’autre ceux qui sont désormais qualifiés d’orléanistes schismatiques et soutiennent les droits du prince dom Pedro de Alcântara.

La seconde guerre mondiale a éclaté. Résidant du côté sud de la ligne de démarcation qui a séparé la France en zone occupée et le régime de Vichy, les membres de la famille impériale peuvent encore profiter de la fausse paix tranquille que lui offre le gouvernement du Maréchal Pétain. Resté neutre au déclenchement du conflit mondial, le Brésil entre en guerre aux côtés des Alliés en 1942. Pour dom Pedro Henrique et son épouse, Marie-Elizabeth de Wittelsbach, il s’agit de mettre à l’abri leur famille. Mais la difficulté de trouver un navire neutre qui puisse les ramener au Brésil, où la loi d’exil touchant les membres de la famille impériale avait été abrogée en 1920, rend le projet de départ impossible. Il leur faudra attendre la fin des hostilités pour enfin traverser l’Atlantique et rentrer au Brésil. La famille impériale est très populaire dans l’Estado Novo du dictateur Getúlio Vargas. Ce dernier se méfie autant d’eux que de leurs partisans depuis qu’ils ont tenté de faire un coup d’état en mai 1938 avec l’aide de l’Action Intégraliste Brésilienne, ce mouvement largement inspiré de l’Action française et qui comptait parmi ses cadres le prince orléaniste dom João de Orléans e Bragança e Dobrzensky de Dobrzenicz (père l’actuel prince dom Joãozinho de Orléans e Bragança).

Le prince dom Bertrand va passer le reste de son enfance entre les villes de Rio de Janeiro, l’ancienne ville impériale de Petrópolis, et une plantation de café à Jacarezinho (la Fazenda Santa Maria en 1951), à Paraná, propriété de son père. Eduqué au collège Saint-Ignace, puis au sein d’un établissement de jésuites, c’est à 18 ans, que le prince part s’installer avec son frère de 3 ans ainé, dom Luiz, actuel chef de la maison impériale, pour étudier le droit à Sao Paulo. Il en sortira avec un diplôme d’avocat, en 1964. Un métier qu’il n’a jamais exercé. Ce n’est pas pour autant que ce prince va rester inactif. Il incarne la légitimité de la maison impériale et se fait fort de le faire savoir.

Habitué des universités, le prince donne régulièrement des conférences sur des thèmes variés. En octobre 2009, c’est sous les applaudissements de 500 étudiants que le prince soulignera l’importance du mélange des cultures au Brésil. Un discours loin d’être anodin dans ce pays quand on sait qu’il est l’arrière-petit-fils de la rédemptrice Isabelle d’Orléans qui avait aboli, 120 ans plus tôt, d’une plume d’or, l’esclavage dans l’Empire. Quelque peu paternaliste lorsqu’il évoque ses compatriotes, le prince dom Bertrand, qui réside dans une maison louée dans le quartier résidentiel de Pacaembu, à Sao Paulo est, à 75 ans, toujours célibataire. Un choix de vie qu’il a décidé de prendre, jeune, « afin de se consacrer au combat de sa vie », celui de la restauration de la monarchie et de la défense de la religion catholique. A la veille de l’ouverture du Concile Vatican II en 1962,  le prince avait alors accompagné, avec des amis, l’avocat Plinio Corrêa de Oliveira. Ce dernier avait qualifié l’esprit d’ouverture qui régnait à Rome de « moment historique presque aussi triste que celui de la mort de Notre Seigneur ». Fondateur du mouvement Tradition Famille Propriété  (TFP), qui entendait « combattre la révolution culturelle,  athée, immorale et socialiste (…) et l’expansion du mouvement révolutionnaire socialo-communiste et anarcho-soixante-huitard », le gouvernement français avait rapidement dénoncé la dérive sectaire de ce mouvement et de son leader. En retour, la TFP n’hésitera pas à entamer une campagne forcenée contre l’autogestion socialiste du président François Mitterrand.  

Le prince est un fervent adepte des thèses de Plinio Corrêa de Oliveira. Et tout sépare ce représentant de la branche des Vassouras de sa rivale à Petropolis  (du nom des deux villes où les deux prétendants résident). L’ultra catholicisme de dom Bertrand tranche singulièrement avec le libéralisme affiché de dom Pedro IV Gastão de Orléans e Bragança (1913-2007, fils de Dom Pedro de Alcântara). En mars 2014, il n’hésitera pas à critiquer le Pape François pour son ouverture et ses erreurs de jugement qui selon le prince, ne font rien en faveur de la défense de la civilisation chrétienne. Le Pape reçoit le mouvement des sans terres, ces paysans qui envahissent les terrains des grands propriétaires, il s’en offusque officiellement. Animant un site politique, « Paz no Campo », le prince se fait l’apôtre du climato-scepticisme, persuadé que le réchauffement climatique n’est qu’un vaste complot d’« éco-terroristes » dont le but serait d’empêcher le libre échange et d’imposer des réformes agraires contraire au droit de propriété. Il n’a d’ailleurs pas hésité, en 2012, à produire un livre (Psicose Ambientalista) sur le sujet et dont le succès a été fort modeste.

Des prises de positions extrêmes condamnées ouvertement par les partisans des Petropolis qui reprochent régulièrement à ce Vassouras anti-européen de distiller une fausse image du monarchisme brésilien. En septembre 2012, une centaine d’étudiants de l’Universidade Estadual Pauliste (Unesp) n’avait d’ailleurs pas hésité à l’accueillir  avec des banderoles et des slogans, faisant référence au parti nazi. Le prince est également ouvertement connu pour ses positions contre l’avortement et l’homosexualité. Pas étonnant de le voir, en 2013, défiler parmi les partisans  de la « Manif pour tous » (contre le mariage gay), à Paris.  Son opposition au gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva puis de son successeur Dilma Rousseff a poussé dom Bertrand à se jeter dans la bataille politique. Critiquant la perte des valeurs morales et la décadence de la société brésilienne, il craignait que le gouvernement du Parti des Travailleurs ne fasse du pays un nouveau Cuba. Il accorde interview sur interview et participe  à toutes les manifestations de rue aux côtés des monarchistes.

Une seconde jeunesse pour dom Bertrand. Ce n’est pas la première fois que le prince s’érige en protecteur des intérêts du courant monarchiste brésilien. Ainsi, lorsqu’il devient héritier au trône en 1981 (son frère Eudes a renoncé au trône en 1966 pour épouser la roturière Ana Maria de Moraes Barro), il prend la tête du secrétariat impérial (aujourd’hui présent sur les réseaux sociaux sous le nom de Pró Monarquia). Avec la fin de la dictature et l’avènement de la république, le prince relance l’activité monarchiste avec ses partisans. Il débute même en 1990 une tournée en Europe et en Amérique du Nord afin de faire connaître l’idée monarchique brésilienne. Et c’est dans ce contexte que débutera la campagne du référendum en faveur du retour de la monarchie. Grâce à l’action du député de Sao Paulo, Antônio Henrique Bittencourt Cunha Bueno qui a réussi à faire abroger le décret qui interdit tout référendum sur la question monarchique, c’est toute une dynastie qui se lance à la reconquête des brésiliens. Le prince dom Bertrand est sollicité par les médias, une guerre des images se trame en coulisses entre les deux branches et qui tourne à l’avantage des Petropolis.  En 1992, en vain, Da Cunha tente de réconcilier à Brasilia les deux branches. Il est alors suggéré que les deux princes abdiquent leurs droits au trône (et les enfants de Dom Pedro IV Gastão également) en faveur de dom Antoine, frère de dom Luiz, 3e successible au trône pour les Vassouras. Aucun accord ne sera signé et Da Cunha devra se résoudre à laisser la chambre des représentants trancher la question en cas de restauration de la monarchie. Les sondages trop favorables à la monarchie forcent le gouvernement de la république à avancer subitement la date du référendum. Une catastrophe pour les monarchistes qui ne recueilleront que 13 % des voix. Chaque camp en présence accusera l’autre de cette défaite. Une image que traîne encore le prince dom Bertrand.

La monarchie peut-elle revenir au Brésil ? Pas de doutes pour le prince ! En juin 2015, il déclarait au « Folha de Sao Paulo » que « le retour de la monarchie était désormais évident ». A défaut d’une autre couronne ?

Car ce que l’on sait moins, c’est que le prince est également un possible prétendant au trône de France. N’ayant jamais admis de perdre son statut de prince français, le comte d’Eu avait fait le siège de son cousin Philippe d’Orléans afin de récupérer tous ses privilèges et droits au trône de France après la chute de l’empire brésilien. Non sans un certain agacement, le duc d’Orléans, avait signé le 26 avril 1909 un pacte de famille, réintégrant le prince Gaston d’Orléans dans ses droits au trône ainsi que sa descendance. Aujourd’hui, dom Bertrand est 35e dans l’ordre de succession orléaniste au trône de France (116ème dans l’ordre de succession selon les lois fondamentales du royaume de France). Une situation à la fois ironique et contradictoire quand on sait que la maison d’Orléans refuse toujours aux Bourbons d’Anjou, arguant (entre autres) de leurs origines franco-espagnoles, le statut d’héritiers au trône capétien. 

Frédéric de Natal

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