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Les Boutros, des coptes chrétiens au service de l’Egypte

La présidence du Conseil de sécurité a annoncé le 16 février le décès à l’âge de 93 ans de l’ancien Secrétaire-général de l’Organisation des Nations-Unies, Boutros-Boutros Ghali. Retour sur l’histoire d’une famille qui fut à l’origine de la construction de l’Egypte moderne et des défenseurs de la monarchie défunte.

Dans une Egypte majoritairement musulmane, le parcours politique des Boutros est loin d’être anodin. Issus d’une religion orthodoxe qui se revendique de l’évangéliste Marc (qui nous explique que le Christ avait une nature divine incarnée) et souvent considérée comme « l’église des martyrs », c’est tout le poids de ce christianisme orthodoxe (dit copte), souvent persécuté et victime de massacres dans l’histoire, qui s’est exprimé à travers eux.

Entre 1882 et 1952, la famille de Boutros-Boutros Ghali va jouer un rôle de premier plan dans cette Egypte royale construite par le mamelouk Méhémet Ali dans la première décennie du XIX siècle et qui au début du siècle dernier, est sous le contrôle des français et des anglais.

C’est grâce au Khédive Tawfik (1852-1892) que les coptes obtinrent en 1879 le droit d’être considérés comme les égaux des musulmans et de pouvoir siéger à l’assemblée législative du pays. Fils d’un ordonnance du prince Mustapha Fadil (et frère du Khédive), Boutros Ghali (1846-1910), dont le patronyme signifie « pierre », recevra une haute éducation grâce à des soutiens anglais.

Parlant 5 langues dont le français, le perse et l’Anglais, Boutros Ghali avait commencé sa carrière comme interprète au Ministère de la justice (à peine âgé de 28 ans) et avait progressivement gravi les échelons. Alors que le royaume s’endette de plus en plus lourdement, prétexte à une intervention étrangère armée, il participera aux négociations avec les anglais et les français sur le devenir du pays et se fera habilement remarquer. Il sera nommé par la suite Secrétaire d’état à la justice, premier copte à obtenir un tel poste, qu’il l’occupera durant 12 ans et avec rang de pacha. En 1893, il reçoit enfin le strapontin de la justice puis 2 ans plus tard celui des affaires étrangères.

L’expédition anglo-égyptienne (1891-1899) contre les forces du Mahdi messianique Mohammed Ahmad, aboutit à l’annexion du Soudan en faveur des britanniques. L’issue de cette guerre, retranscrite dans le film «Khartoum » produit par les studios d’Hollywood en 1966, fut défavorable aux égyptiens et lui attira les foudres du palais bien qu’il reçut le soutien de son cabinet. Connu pour son adhésion aux idées nationalistes, soutenu discrètement par le Roi Abbas II (1874-1944), il se rend populaire en tentant de faire réduire les peines d’égyptiens qui avaient tué des officiers anglais en 1906, eux-mêmes responsables de la mort accidentelle de l’épouse d’un haut- fonctionnaire égyptien, et dont il prit la défense.

Dès sa prise de fonction comme premier ministre le 8 novembre 1908, en dépit de la désapprobation des britanniques, il entreprend de réformer le droit de la propriété en Egypte (non sans mal car il redistribuera des terrains appartenant à l’épiscopat copte provoquant l’agacement du patriarche Cyrille V) et de créer un vrai parlement autonome. Lorsqu’il décide de museler la presse nationaliste en 1909, trop virulente, ces derniers lui retirent son soutien. La reconduction de la gestion du canal de Suez pour 40 ans aux britanniques achèvera de le discréditer à leurs yeux. Le 21 février 1910, il est assassiné par un nationaliste de 22 ans, Ibrahim Nassif al-Wardani, étudiant en pharmacie. Un meurtre (le premier d’un politicien égyptien) qui provoquera de fortes émeutes interconfessionnelles.

Son fils Waeyf (1878-1958) embrassera également une carrière dans le haut-fonctionnariat. Ministre des finances du Roi Farouk Ier (1920-1965), il fut un ardent défenseur de la monarchie égyptienne et l’auteur de la”tradition chevaleresque des arabes”.

Mais toute la famille du futur secrétaire général de l’ONU ne fut pas composée de zélés monarchistes. Son oncle Wassef, par exemple, fut emprisonné pour son soutien à la cause indépendantiste. Lors de la chute de la monarchie en 1952, la famille Boutros ne peut que constater avec amertume que le souverain n’a plus le soutien des égyptiens. L’avènement de la république n’inquiète pas pour autant les Boutros qui finissent par s’y rallier tout en conservant des liens avec le Roi déchu en exil. Boutros Boutros Ghali, ainsi nommé en hommage à son grand-père, fit de hautes études de juriste qui lui permirent d’accéder au poste de ministre des affaires étrangères de l’Egypte (1977 à 1991). Il sera d’ailleurs l’acteur principal du rapprochement entre Israël et son pays, en 1979, sous l’ère du Président Sadate.

Lorsqu’il est élu Secrétaire général de l’ONU en 1992, une polémique éclate alors que l’Afrique vit un génocide de masse au Rwanda. On lui reprochera un accord secret de ventes d’armes, alors qu’il était ministre des affaires étrangères égyptien, au régime rwandais. Sa gestion controversée des affaires internationales, notamment en Angola, Somalie et dans l’ex-Yougoslavie lui attirera l’animosité croissante des américains à son encontre et qui s’opposeront ouvertement et violemment à sa réélection en 1996. Madeleine Albright, alors Secrétaire d’état, avait alors déclaré à son propos : « Vous symbolisez les Nations unies, et le Congrès est hostile aux Nations unies (…) ». Il devra céder sa place à un autre africain, Koffi Annan.

Très proche du prétendant actuel Fouad II, Boutros Boutros Ghali a d’ailleurs marié un de ses enfants à un membre de la famille royale d’Egypte, Nevine Scaramella.

La famille Boutros a vécu douloureusement les soubresauts de la révolution de 2011 qui a mis fin au régime d’Hosni Moubarak. Un de ses neveux, Youssef, ancien ministre de l’Économie de 1997 à 2001 puis des finances de 2004 à 2011, a été obligé de fuir, toujours recherché actuellement pour détournement de fonds et condamné par contumace par la justice de son pays.

Cairote lettré, Boutros Boutros Ghali fut un ardent défenseur de la langue française et le premier Secrétaire à la francophonie de 1997 à 2002.

Frédéric de Natal

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