Europe / international

La Grèce, fossoyeur de l’Europe ?

Depuis le 30 juin minuit, la Grèce s’est officiellement déclarée en défaut de paiement, dans l’incapacité de rembourser sa dette s’élevant aujourd’hui à près de 1,5 milliard d’euros. Contre toute attente, le Premier ministre Alexis Tsipras a annoncé, 3 jours auparavant, la tenue d’un référendum ce 5 juillet, aux accents anti-européens et ordonnant dans la foulée des « dispositions pour protéger les finances du pays et son économie, décidant de fermer les banques, de limiter les retraits aux guichets et la mise en place du contrôle des capitaux ».  En agitant l’épouvantail d’un « Grexit » (contraction de Grèce et d’exit=sortie en anglais), Alexis Tsipras ne risque-t-il pas de faire imploser l’Europe et toute la zone euro si son pays se retire de l’Union européenne (U.E) ?

Élu en janvier dernier avec une confortable majorité au Voulis (Parlement), le programme de son parti, SYRIZA, a eu de quoi séduire une large majorité des grecs épuisés par des décennies de dualisme politique et une violente crise d’austérité déclenchée en 2010. Reconstitution de la protection sociale, des services publics, augmentations des retraites et salaires, réforme fiscale, lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance, le leader quadragénaire de la gauche radicale a porté en lui tous les espoirs du peuple grec face à l’Eurogroupe (réunion mensuelle des ministres des finances des Etats membres de la zone euro) mené par l’Allemagne de la Chancelière Angela Merkel.

Devant l’hostilité allemande d’accepter un nouvel étalement de sa dette, la Grèce après une semaine intense de négociations, a fait savoir par la voix de son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, qu’elle refusait une proposition de l’U.E. d’apporter à la République Hellène 12 milliards d’euro payables en 4 fois jusqu’en novembre. 

Approuvé par 178 députés sur un total de 300 parlementaires le 28 juin, date coïncidant avec celle marquant l’anniversaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg-Lorraine, Alexis Tsipras a tenté de rassurer en ces termes ses pairs sur la tenue de ce référendum : « le peuple grec dira un grand non à l’ultimatum mais en même temps un grand oui à l’Europe de la solidarité ». A l’annonce du Premier ministre, la Banque Centrale Européenne (BCE) et le Font Monétaire International (FMI) ont décidé de suspendre toutes négociations dans l’attente du résultat du vote des grecs désormais profondément divisés sur la question.

Dans ce jeu de « poker menteur », Tsipras a réclamé à feue la Tröika «une décote de 30% de cette dette” ainsi qu’ «une période de grâce de vingt ans » naturellement refusée par les créanciers de l’Etat grec, l’Allemagne et la France en tête. Ceux-ci rappelant à la gauche radicale que l’accord initial prévoyait de facto une aideversée à la Grèce tranche par tranche, conditionnant le versement de chaque nouvelle tranche à la mise en place de profondes réformes qui naturellement vont à l’encontre de toutes propositions du programme de SYRIZA. Devenu le « héros involontaire » des mouvements populistes de la droite extrême à la gauche radicale, Alexis Tsipras fait figure auprès de ces différents mouvements de symbole de rejet d’une Europe technocratique. Quitte à en perdre de vue les éventuels risques économiques qu’une sortie de la zone Euro de la Grèce pourrait engendrer et que certains économistes qualifient déjà de nouvelle « dépression digne de 1929 ».

Pourtant Alexis Tsipras oublie de mentionner dans son discours que Christine Lagarde, « avait accepté certaines demandes grecques, notamment de limiter l’augmentation de la TVA dans la restauration à 13%. ».La décision du Premier ministre grec a mis en colère la patronne du FMI, estimant que la tenue de ce référendum  ne « portera  que sur des propositions et des arrangements qui ne sont plus valides ». Dans cette guerre de propagande que se livrent les partisans du oui (NAI) et du non (OXI), le ministre grec des Finances a d’ores et déjà balayé le fantasme des souverainistes sur la question d’une éventuelle sortie de son pays de la zone euro. Déclarant que la Grèce n’était pas en mesure d’imprimer des drachmes, car les « presses avaient été détruites », il a confirmé cette semaine la volonté de son parti de rester dans la zone européenne rejoignant le discours du Premier ministre : « Le non ne signifie pas une rupture avec l’Europe, mais le retour à l’Europe des valeurs. Le non signifie une forte pression ». Tous les économistes s’accordent par ailleurs pour affirmer que la ré-introduction de la drachme provoquerait une dévaluation immédiate de 50 à 70% face à l’euro et au dollar, réduisant la valeur de celle-ci à un vulgaire « chiffon de papier ».

Le jeu trouble de Tsipras a divisé profondément les grecs. Dans le camp du « oui », on retrouve les principales forces vives de l’économie grecque, des agriculteurs aux ingénieurs,  des exportateurs aux entrepreneurs de travaux publics, les grands partis comme le PASOK (qui estime que la gauche radicale envoie directement le pays « à la faillite »), la Nouvelle démocratie, le parti centriste To Potami où des figures tutélaires comme l’Archevêque byzantinologue Hiéronyme II d’Athènes. Une voix qui pèse lourd dans un pays composé à 88% d’orthodoxes pratiquants. Le diadoque et prince Paul de Grèce, longuement interrogé sur la chaîne CNBC, a appelé les grecs à voter en faveur du « oui » craignant qu’une victoire du « non » fasse perdre à son pays tout espoir de négociations. Une position ferme qui tranche avec le principe de neutralité du Roi Constantin II, lui-même victime de 2 référendums en 1973 (qui confirmait l’abolition de la monarchie avec 79%) et en 1974 (qui confirmait l’adoption de la république avec 69%). Un ancien souverain quasi absent du débat politique grec, en dépit de quelques manifestations en faveur de son retour dans les rues de la capitale, Athènes. Ne souhaitant « pas faire à ce jour quelque chose qui nuirait au pays » précisait-il dans un entretien en mai à la télévision allemande ZDF, cela n’a pourtant pas empêché le gouvernement grec de nationaliser des biens appartenant au souverain qui stagnaient dans la poussière au Palais de Tatoï. Les monarchistes grecs, pesant peu lourds dans la balance politique du pays, ne sont pas unis face à la problématique soulevée par la gauche radicale malgré les appels en ce sens du diadoque.

La question de 17 lignes (à savoir « acceptez-vous les propositions de l’Eurogroupe : augmentation de l’impôt sur les sociétés, des coupes budgétaires pour l’armée, des mesures anti-corruption, une augmentation de la TVA à 23% (sauf pour les aliments de base ou encore l’énergie) et de la taxe sur les produits de luxe ») posée aux grecs ce dimanche scinde encore plus la gauche elle-même. Le Parti communiste (KKE) fait campagne pour le « non » mais refuse de soutenir la décision d’Alexis Tsipras. « Le référendum constitue un chantage contre le peuple et vise à le rendre complice des plans antipopulaires, en lui disant de choisir entre deux maux » déclare le parti communiste qui avait plongé eux-mêmes le pays dans une violente guerre civile entre 1946 et 1949. Une guerre qui avait fait perdre 8% de ses habitants au pays, laissant la monarchie grecque traumatisée et exsangue.

Avec des sondages montrant légèrement le « oui » en tête, la Grèce plonge les marchés financiers européens dans l’incertitude. Alexis Tsipras tente-t-il d’influencer les grecs dans leur choix de vote ? Une polémique sur le bulletin de vote a éclaté ces dernières heures dans le pays. Loin de répondre aux standards habituels, il place le « non » en tête en lieu et place du « oui » généralement placé en premier dans tous référendums.

Concernant les éventuelles répercussions économiques d’un « Grexit », le Président Français François Hollande a déclaré avec beaucoup de sérénité que la « France n’avait rien à craindre ». L’optimisme du dirigeant français semble faire fi des conséquences du référendum et oublie que nous sommes derrière l’Allemagne, le principal créancier de la Grèce. Depuis le début de la crise grecque, la France a prêté via le Fonds européen de stabilité financière pas moins de 11 milliards d’euro pour aider le pays, contribuant à accélérer son incapacité à rembourser. Le Front de Gauche a rejoint les rangs des nombreux  partisans du « non » (parmi lesquels on trouve les royalistes français) en France, dénonçant l’omniprésence du diktat allemand, qui ramène la Grèce au début du XIXème siècle, jouet des puissances de l’époque et qui avait fini par mettre la couronne de Grèce naissante sur la tête d’Othon de Wittelsbach, un bavarois. Tout un symbole aujourd’hui !

L’Europe n’en reste pas moins « une machine à fabriquer du ressentiment et un énorme gâchis ». Mais  un « Grexit » entraînerait  irrémédiablement le continent « dans une forme d’inconnu » dont la France et ses partenaires n’auraient rien à gagner ! « Un accord est en vue que la réponse soit oui ou non » annonce le ministre grec des Finances ! Alexis Tsipras  sera-t-il demain le fossoyeur de cette Europe décriée par une majorité d’Européens et réclamé par les souverainistes de tout pays ? Ouvrira-t-il la voie à d’autres référendums comme celui qui sera organisé au Royaume-Uni en 2017 ou cela n’est-il pas le dessin d’une  vaste stratégie politique, digne des plus beaux jours de la démocratie athénienne, pour redistribuer les cartes européennes en sa faveur ? Voilà de quoi y perdre son grec !  

Désormais tous les regards se tournent vers la Grèce qui a entre ses mains le destin de l’Europe et son futur !

Frédéric de Natal

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.