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L’affaire Mwambutsa IV Bangiricenge

Depuis 2012, la République du Burundi tente de récupérer devant la justice la dépouille de son ancien monarque, le Mwami Mwambutsa IV enterré en Suisse depuis 1977.

A l’origine, le gouvernement du Président Pierre Nkurunziza souhaitait donner de l’éclat aux festivités du cinquantenaire de l’indépendance de ce pays situé dans la région des Grands lacs de l’Afrique à travers un symbole d’unité. Le Mwami Mwambutsa IV Bangiricenge n’a pourtant pas été le premier choix du gouvernement du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Avec l’accord de la famille royale du Burundi et l’association Fraternité Ishaka, la république du Burundi avait missionné dans la brousse le professeur Cassiman afin qu’il organise des fouilles pour retrouver les restes du Roi Ntare V, fils de Mwambutsa IV, sauvagement assassiné lors des affrontements d’avril 1972 dans la capitale Bujumbura.

Malgré d’importantes recherches, le professeur déjà connu pour avoir identifié le cœur de Louis XVII reposant désormais dans la Basilique Saint Denis, a dû renoncer quelques mois après son arrivée à trouver les restes du défunt souverain. Le gouvernement burundais s’est alors rabattu sur la dépouille de son père renversé à l’issu d’un coup d’état en 1966.

C’est à l’âge de 4 ans que Mwambutsa IV accède au trône. Nous sommes en pleine guerre mondiale, en 1915, et la colonie de l’Urundi-Ruanda est l’objet d’âpres combats entre belges et le protectorat allemand. Un an après, les belges occupent tout le territoire et en obtiennent la tutelle lors de la Conférence de Versailles en 1919. La monarchie des Ganwas est maintenue par le nouvel occupant qui s’empresse durant des décennies de favoriser l’ethnie Tusti à tous les postes de l’administration coloniale. La révolution de 1959 au Rwanda secoue le souverain burundais qui craint pour sa vie. D’autant que le 13 octobre 1961, le nouveau premier ministre et fils du Roi, le Prince Louis Rwagasore est assassiné à la terrasse d’un café par un jeune blanc d’origine grecque, vraisemblablement manipulé par les autorités coloniales  belges. Enfin en 1964, c’est au tour du frère du Mwami, le prince Ignace Kamatari d’être victime d’un étrange accident de la route toujours non élucidé aujourd’hui.

Deux ans auparavant, les Belges avaient consenti à accorder l’indépendance au Burundi dont Mwambutsa IV était resté le monarque constitutionnel. Complots au sein du palais royal, affrontements ethniques entres Tutsis et Hutus se multipliant, l’assassinant en janvier 1965, 15 jours après sa nomination, du Premier ministre Pierre Ngendandumwe pousse l’armée à déposer le 8 juillet 1966 Mwambutsa IV alors qu’il est en vacances en Suisse. 

Il ne reverra pas le Burundi. Son fils et successeur Charles Ntare V complice de ce putsch à tout juste 19 ans. Les rapports entre le nouveau souverain et le Premier ministre, le Michel Micombero vont vite se compliquer. Tant et si bien que le militaire fort porté sur l’alcool se débarrasse en novembre de la même année de son protégé et proclame immédiatement la république. Exilé en Allemagne un premier temps, il revient à la frontière de son pays pour prendre la tête d’un mouvement armé. Il débarque à Kampala en Ouganda le 21 mars 1972 espérant y trouver un soutien en la personne d’Idi Amin Dada, le Président dictateur du pays qui… finit par le remettre aux autorités de son pays une semaine plus tard. Le 29 avril, un commando armé fait irruption au palais royal où il est logé. Ligoté à un mat où flotte le drapeau de la république, il est froidement assassiné à la baïonnette et achevé de 3 balles de révolvers. 

L’introduction du multipartisme en 1992 permet le retour des mouvements monarchistes dans le pays y compris au sein d’un gouvernement avec le Parti royaliste parlementaire (PRP) qui obtient un ministère en 2001. La famille royale fait également son grand retour avec la princesse Paula Rosa Iribagiza élue députée du parti au pouvoir de 2005 à 2010.

Dernière fille vivante de Mwambutsa IV, elle est la prétendante au trône du Burundi. Elle donne son accord au rapatriement du corps de son frère afin que le pays puisse lui organiser des funérailles nationales. La princesse Esther Kamatari qui réside en France, et fille du Prince Ignace oppose immédiatement un refus à ce transfert de la dépouille de son oncle.

Mannequin, égérie, conseillère municipale à Boulogne-Billancourt, la princesse Esther Kamatari a été aussi la candidate du mouvement monarchiste Abahuza pour l’élection générale de 2005. Accusant le pouvoir en place de récupération dans une lettre adressée à celui-ci le 29 avril 2012, la princesse saisit la justice suisse quelques jours plus tard et fort du testament du roi qui stipule qu’il ne souhaite pas que son corps soit déplacé, fait bloquer le 8 août 2012 la procédure de rapatriement de la dépouille du Mwami. Bien que le gouvernement du Burundi affirme ne pas être partie prenante de la querelle familiale,  sa responsabilité civile semble alors très fortement engagée. D’ailleurs, la justice helvétique ne prend même pas la peine de reconnaître que le rapatriement du roi aurait « pu contribuer à la cohésion nationale » argument avancé par les détracteurs de la princesse Kamatari sur le sujet.

La querelle est double ! Politique d’abord. Esther Kamatari est à l’opposition ce que la princesse Paula Rosa Iribagiza est CNDD-FDD. Et enfin dynastique. Les deux princesses ont toutes deux des droits au trône du Burundi depuis la chute de la monarchie. Abahuza a été démantelé en 2014 par le pouvoir grâce à une nouvelle loi qui oblige les petits partis à avoir un certain nombre d’adhérents afin de continuer à être reconnu par la loi. Le PRP devenu Parti monarchique parlementaire (PMP) soutient les revendications de la princesse Rosa Paula Iribagiza et son président Guillaume Ruzoviyo nommé ambassadeur du Burundi en Russie depuis 2010. Ce dernier luttant également pour la reconnaissance des Ganwas comme ethnie dans son pays.

Entre le 15 et 23 janvier 2015, la querelle rebondit. Exhumés avant le début de la procédure, les restes de Mwambutsa IV reposent toujours dans une chambre froide. Colette Uwimana (fille d’un premier mariage de l’épouse du Roi), dépositaire de la tombe du mwami, âgée de 65 ans et retraitée des Nations unies avait signé les papiers d’exhumation. Elle est devant la barre pour « atteinte à la paix des morts » selon l’article 262 du code pénal. A la mort du Roi, c’est elle qui s’était chargée de faire ériger avec l’aide d’un crédit la pose d’un monument sur la tombe du souverain et pris à sa charge les frais de prolongation de la concession. Suite à la demande de la famille royale, elle s’était acquittée des documents administratifs permettant l’exhumation des restes de Mwambutsa IV.

Esther Kamatari dans un communiqué du 19 janvier fait savoir qu’elle s’oppose toujours au rapatriement de la dépouille du roi autant qu’elle dément les rumeurs de candidature à l’élection de cette année dont la presse internationale s’était fait récemment  l’écho. Rappelant que déjà en 1977, l’ancien Président Bagaza (le tombeur de Micombero) avait eu ce projet avant d’y renoncer après lecture du testament, elle y affirme recevoir le soutien de plusieurs acteurs de la vie politique de son pays (y compris par l’ancienne concubine du souverain sur ses derniers jours) et  entend continuer à faire respecter les dernières volontés de son oncle.

La querelle s’envenime quand, le 22 janvier, la famille royale tient au Royal Palace Hotel Palace de Bujumbura une conférence de presse et prétend que le testament du mwami du 10 février 1977 aurait été annulé par arrêt rendu le 16 janvier 1987 exigeant le retour du souverain en vertu du droit coutumier déniant tout droit dynastique à la Princesse Kamatari.

Le tribunal de police de Genève en charge du dossier décide finalement d’acquitter Colette Uwimana le lendemain. Le motif de « soustraction de cadavre » ne peut être retenu au vu de l’état de la dépouille du souverain dont le squelette est totalement désintégré.

Un jugement qui devrait mettre fin à ces 3 ans de procédure judiciaire qui a divisé la famille royale déjà victime de l’exil, des assassinats et des rivalités ethniques qui a plongé le pays dans une longue guerre civile. Et dans l’attente du jugement final, le souverain devrait bientôt  revenir dans sa tombe de Meyrin, dans la périphérie de Genève, afin d’y retrouver son repos éternel.

Frédéric de Natal

Quelques liens :

http://www.afrik.com/article8022.html

http://www.lalibre.be/actu/belgique/sur-les-pas-de-charles-ntare-v-51b8df98e4b0de6db9c44590

http://rwandaises.com/2012/04/burundi-les-travaux-dexhumation-du-roi-ntare-v-commencent-mardi-a-gitega/

http://internationale.monarchiste.com/?art=20110505_50000_bi_fr&pn=1&home__

http://blogs.mediapart.fr/blog/reveilfm/190115/geneve-princesse-esther-kamatari-soppose-lexhumation-de-la-depouille-du-roi-mwambutsa-iv

http://www.sylmpedia.fr/index.php/Parti_monarchiste_parlementaire_du_Burundi

http://www.isanganiro.org/spip.php?article2576

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