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Ce califat dont on ne nous dit pas grand chose

Le soi-disant califat, autrement appelé État islamique en Irak et au Levant occupe un territoire qui s’étend le long du Tigre et de l’Euphrate en Irak et dans le nord-est de la Syrie, soit une superficie d’environ 90000 km². À titre de comparaison, c’est peu ou prou la superficie du Portugal. À l’intérieur de cette étendue, on trouve quelques grandes villes comme Raqqa et Mossoul. À en juger par les combats qui se déroulent à Kobané, le califat cherche à continuer son expansion. Mise à part la farouche opposition des combattants kurdes, les territoires ont été conquis assez facilement. Il faut bien comprendre qu’en face, à part quelques unités irakiennes mal équipées, mal entraînées, dépourvues de ce moral qui fait parfois, il n’y a rien. L’État irakien n’existe que sur le papier, à cause de la seconde guerre d’Irak menée par les États-Unis d’Amérique. Le messianisme américain a oublié que tous les peuples ne désirent pas nécessairement la démocratie, tout au moins dans sa version occidentale actuelle, et surtout qu’on ne l’exporte pas en larguant des bombes. Il a conquis du terrain en Syrie à cause du foutoir causé par une rébellion loin d’être aussi homogène qu’on a cherché à le faire croire à l’opinion publique. Comme de coutume sous ces latitudes, les modérés (si tant est que cela ait un sens d’user de ce terme en terre d’islam) sont rapidement réduits à la portion congrue par les fondamentalistes qui outre une volonté de fer, peuvent battre le rappel de l’oumma et rallier des combattants venus de dizaines de pays. L’armée syrienne ne pouvant pas lutter sur tous les fronts, les structures des pouvoirs publics étant affaiblies, la progression de l’E.I.L. a largement été facilitée.

Les États-Unis, pour des raisons liées à leur alliance avec les monarchies pétrolières de la péninsule arabique, qui se trouvent être également les soutiens financiers des mouvements fondamentalistes, ont fait le choix de mettre à bas les régimes baasistes d’Irak et de Syrie. Alors que l’islam cherche à abolir les nations pour regrouper les hommes à travers la communauté des croyants, le parti Baas prône le nationalisme laïc et de fait constitue une abomination pour les wahhabites et autres salafistes. Il était donc logique qu’un groupe armé et décidé veuille s’emparer de ces pays exsangues, ravagés par la guerre, les guérillas, les attentats. Mais l’instauration d’un régime religieux n’est pas la seule motivation. Les dirigeants occidentaux, en bon post-modernes, ont évacué certaines notions qui sont importantes pour tous les hommes qui ne sont pas abrutis par l’idéologie mondialiste et ne vivent pas hors-sol. Restaurer le califat, c’est renouer avec une histoire qui parle encore à des millions d’hommes et de femmes, même s’ils sont loin d’être tous des enragés. C’est également une remise en cause des découpages nés des accords Sykes-Picot, en créant un soi-disant État à cheval sur deux pays, ils signifient à l’Occident colonisateur leur volonté de reprendre en main leur destin.

Cependant, on aurait tort de croire que l’E.I.L. ne repose que sur du sable et qu’il pourrait être rapidement balayé. Stratégiquement il a pris le contre-pied d’Al-Qaïda. Alors que le groupe terroriste a fait le pari du réseau nébuleux, frappant en divers endroits du globe, l’E.I.L. a fait le choix de s’ancrer territorialement. Ensuite la question du financement de la guerre n’est plus un problème depuis que les miliciens d’Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi contrôlent une vingtaine de puits de pétrole produisant suffisamment pour rapporter entre 1 et 2 millions de dollars par jour. Ils ont su profiter des réseaux de contrebande qui avaient été montés lorsque l’Irak de Saddam Hussein était frappé par l’embargo américain. Déjà, avant la prise de Mossoul, il disposait d’un revenu annuel estimé à 100 millions de dollars provenant d’un impôt révolutionnaire levé sur les populations soumises. Le ravitaillement est assuré par la mise en coupe réglée de la portion syrienne du califat. La zone située au nord-est d’Alep est riche en silos à blé et en moulins, ce qui leur permet d’assurer le ravitaillement quotidien d’environ un million de personnes. Si l’État islamique en Irak et au Levant n’est pas un véritable État, dans le sens où ses frontières ne sont pas définies par un traité et reconnues par la communauté internationale, il n’en reste pas moins vrai qu’il a à sa disposition les moyens propres à lui permettre d’assurer ses prétentions. C’est un adversaire à ne pas prendre à la légère. Il est en possession d’un nombre important d’Humvees pris sur des bases irakiennes, de blindés lourds et légers, d’artillerie lourde et de mortiers, sans oublier quelques hélicoptères de combat et deux ou trois MIG saisis sur une base de l’armée de l’air syrienne. Avions qui sont déjà en action, des vols d’essai ayant pu être observés. Quant aux effectifs, des quelques 30.000 hommes du début, ils se sont étoffés avec l’arrivée régulière de djihadistes étrangers venus de plus d’une trentaine de pays, sans oublier plusieurs milliers de prisonniers libérés en Irak et dans la partie syrienne annexée. Mobiles, entraînés, motivés, ce sont des adversaires à prendre au sérieux.

Comme tous les mouvements fondamentalistes islamiques, il a pensé l’administration. Les Frères Musulmans égyptiens ont, depuis des décennies, mis en place une structure d’aide sociale et d’éducation parallèle et très efficace ce qui leur permettait de jouir d’une certaine aura auprès du petit peuple des villes et des campagnes oublié par le pouvoir en place. Profitant de cette expérience, lorsque les miliciens se sont installés dans les territoires conquis, ils se sont employés à créer un nouveau découpage territorial, à reprendre en main les services publics, les services sociaux, la distribution de l’énergie, la scolarité. Et cela fonctionne bien, au point que certains spécialistes estiment que certaines provinces libanaises paraissent à la traîne en regard de ce qui a été accompli sur ce territoire. Autre point à ne pas négliger, s’il n’est pas établi que l’E.I.L. jouisse du soutien inconditionnel de la population, il n’en reste pas moins vrai qu’ils ont réussi à obtenir son assentiment en ramenant l’ordre après l’anarchie qui sévissait suite à l’effondrement du régime pour l’Irak, et les razzias conduites par les fractions combattant en Syrie. Le soutien populaire est toujours acquis à celui qui réussit à ramener l’ordre. On pourrait croire que la sauvagerie des miliciens soit de nature à détourner les habitants, mais d’une part elle est dirigée contre les non-musulmans, et puis il faut bien avoir à l’esprit que depuis 10 ans les gens sont témoins ou victimes de tellement de violence qu’elle a fini par faire partie du paysage, physique et mental.

Qu’il faille mettre un terme définitif aux agissements de ces fanatiques, cela ne fait aucun doute. La France et plus largement l’Occident chrétien ont un devoir moral envers les chrétiens d’orient, les minorités religieuses et les populations asservies. Il est clair que l’envoi d’armes et les frappes aériennes ne suffiront pas. L’histoire a amplement démontré que les guerres se gagnent au sol. Si les dirigeants occidentaux ont la réelle volonté politique d’en finir avec cet odieux califat, ils ne pourront pas faire l’économie de l’envoi de corps expéditionnaires. Il faudra préparer les opinions publiques aux pertes qui ne manqueront pas de s’accumuler, car l’ennemi à combattre n’a pas peur de la mort, de celle qu’il inflige comme de la sienne. Mais ce qu’il faudra impérativement éviter, c’est de répéter l’erreur des Etats-Unis de la seconde guerre d’Irak, qui se sont comportés, à bien des égards, en puissance coloniale. On n’impose pas la démocratie, elle doit être désirée, et on doit s’accommoder de la forme de gouvernement qui au final aura été choisie ; on n’arrive pas avec un dirigeant dans ses bagages, il faut qu’il soit choisi par le peuple. Pour ma part, je suis pessimiste. L’Irak et la Syrie ne sont pas à nos portes comme le Maghreb, et je crains que l’Occident déchristianisé ne fasse rien, sinon faire part de son émotion devant les horreurs quotidiennes relayées ici et là, et se livrer à quelques frappes aériennes, histoire de prouver qu’il n’est pas resté les bras ballants. D’autant que le principal ennemi de l’E.I.L. ce n’est pas l’Occident chrétien mais l’Iran chiite.

Pierre Guillemot

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