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Les trois Royaumes de la République

Le 22 février dernier, le président de la République française a effectué un séjour d’une journée à Wallis et à Futuna. Pour les habitants de ces deux îles, il s’agissait là d’un évènement historique. Le seul chef d’État français à avoir foulé le sol wallisien avant François Hollande fut Valéry Giscard d’Estaing, voici 37 années. Quant à Futuna, c’est la toute première fois que cette île accueillait un président de la République. Cette visite présidentielle est pourtant passée presque inaperçue dans les journaux télévisés des chaînes de télévision nationales, mises à part quelques images furtives d’un François Hollande affublé d’un gros collier de fleurs. Image qui permit à certains commentateurs de se gausser, allant jusqu’à parler de « singeries », nouvelle preuve d’une condescendance jacobine teintée de mépris et de racisme à l’encontre d’us et coutumes sortant de la norme hexagonale. Un politicien est même allé encore plus loin dans ses commentaires sarcastiques, feignant de s’indigner du statut particulier de ce lointain territoire, où règnent des rois et où l’enseignement primaire est aux mains de l’Église catholique, situation on ne peut plus épouvantable pour le  sieur Mélenchon !   

L’effroi feint de ce démagogue patenté m’a incité à m’intéresser davantage à ce territoire lointain que bien peu de Français seraient en mesure de situer sur la mappemonde.  Je n’ai pas regretté le temps passé à lire des articles et à regarder des vidéos, tant l’histoire et l’originalité ce « Territoire des îles de Wallis et Futuna » sont intéressantes.

Il convient tout d’abord de corriger une idée reçue. Wallis et Futuna ne constituent pas un archipel. Les deux îles sont liées l’une à l’autre pour des raisons historiques et administratives : elles sont toutes deux liées à la France depuis la fin du XIXe siècle et, ensemble, elles forment une collectivité d’outre-mer française. Mais 230 kilomètres les séparent ! À titre de comparaison, il n’y a que 177 kilomètres entre la Corse et la France continentale ! Autre précision importante, ce territoire n’est pas formé de deux îles seulement : certes, Wallis, avec 75,8 km², et Futuna, avec 46,3 km², sont les plus grandes. On dénombre cependant plus d’une vingtaine d’îles et îlots, pour la plupart inhabités. Je me contenterais de nommer la troisième île (par la taille), Alofi, voisine méridionale de Futuna, qui, malgré ses 17,8 km², n’a pas d’habitants car elle est dépourvue de sources d’eau douce. Toujours à titre de comparaison, ajoutons qu’une île bien connue des Français comme celle de Ré, avec ses 85 km², est plus vaste que Wallis ! La superficie totale du territoire, toutes îles confondues, est de 142,42 km².  La longueur cumulée des côtes découpées de toutes ces îles atteint 129 kilomètres. Plus important, ce territoire insulaire donne à la France une zone économique exclusive de 300 000 km² en plein océan Pacifique, ce qui est loin d’être négligeable et qui, avec les zones économiques exclusives de Polynésie Française et de Nouvelle-Calédonie, permet au pays d’avoir le plus grand domaine maritime au monde, après celui des États-Unis. Le Mont Puke, point culminant du territoire, se trouve à Futuna : 524 mètres d’altitude, ce qui est considérable pour une île aussi petite et qui révèle bien la nature tourmentée du relief volcanique. Alofi, qui culmine à 417 mètres, est également très montagneuse, contrairement à Wallis, dont le sommet le plus élevé n’atteint que 145 mètres. Pour terminer cette présentation géographique, sans doute conviendrait-il d’expliquer au lecteur où se trouve ce territoire. Pour cela, il suffit de tracer une ligne allant d’Hawaï à la Nouvelle-Zélande : Wallis et Futuna se trouvent au deux tiers de cette ligne, en allant vers le sud. Ajoutons que le rivage le plus proche de ce territoire est celui des îles Fidji, à 480 kilomètres au sud-ouest. Autre terre française, la Nouvelle-Calédonie est à 1871 kilomètres au sud-ouest de Wallis et Futuna, tandis que Papeete est à 2891 kilomètres plus à l’est. Mais, du fait de la ligne de changement de date qui longe le 180e méridien, le décalage horaire entre la Polynésie Française et Wallis et Futuna est de…22 heures ! Tous ces chiffres suffisent sans doute à traduire le grand isolement dont souffre cette collectivité territoriale d’outre-mer. Le climat de Wallis et Futuna est équatorial.

Le territoire aurait été habité au moins à partir de 800 ou 900 avant l’ère chrétienne, comme cela a été prouvé par les recherches archéologiques qui ont été effectuées. Au cours de l’histoire, Wallis a ensuite subi des invasions tongiennes, tandis que Futuna fut envahie par des populations samoanes. Cela explique les différences entre le Wallisien, qui a subi l’influence de la langue de Tonga, et le Futunien, influencé par le Samoan. L’arrivée des premiers Européens eut lieu le 22 mai 1616, lorsque deux navigateurs néerlandais, Willem Schouten et Jacob Le Maire, débarquèrent à Futuna et y passèrent une semaine. Il fallut ensuite attendre le 11 mai 1768 et l’arrivée de Louis-Antoine de Bougainville, qui surnomma Futuna « l’enfant perdu du Pacifique » !  Deux ans auparavant, en 1766, le capitaine britannique Samuel Wallis avait été le premier Européen à débarquer dans l’île d’Uvéa, à laquelle il décida de donner son propre patronyme : Wallis ! En 1837 arrivèrent les premiers missionnaires catholiques. L’évangélisation fut marquée par le martyre à Futuna du Père mariste Pierre Chanel[1]. Ce prêtre français avait débarqué dans l’île en compagnie du Frère Marie-Nizier Delorme le  8 novembre 1837. Le roi Niuliki, qui leur avait d’abord fait bon accueil, s’inquiéta rapidement de l’influence croissante du Père Chanel qui risquait, selon lui, de menacer son pouvoir. L’inquiétude du roi fut portée à son comble lorsque son propre fils Meitala annonça son désir de se faire baptiser. Niuliki envoya alors son gendre Musumusu, qui était son guerrier favori, avec pour instruction de « faire ce qui était nécessaire ».  Musumusu et Meitala s’affrontèrent et, durant le combat, le premier fut blessé. C’est alors que le Père Chanel lui prodiguait des soins que Musumusu blessa mortellement le missionnaire avec une hache. Le Père Chanel mourut le 28 avril 1841, mais ce n’est que le 1er juin 1850 que ses restes arrivèrent à la maison-mère de la Société de Marie, à Lyon. Signalons que tant la population de Futuna que celle de Wallis sont de nos jours catholiques à  99%.

La reine Amélia d’Uvéa signa un traité de protectorat qui fut officiellement ratifié par la France le 5 avril 1887. Les deux rois de Futuna demandèrent quant à eux le rattachement de leur île à la France l’année suivante. En 1942, les troupes étasuniennes débarquèrent à Wallis, dans le contexte de la guerre du Pacifique contre l’Empire du Soleil Levant. Ce fut le premier contact réel entre les Wallisiens et le monde extérieur, ce qui ne fut pas sans conséquence sur le mode de vie local. Ce n’est qu’en 1959 que la France a commencé à administrer le territoire. C’est d’ailleurs cette année-là qu’un référendum a permis aux habitants d’approuver l’intégration officielle de leurs îles à la République française, avec un statut de « Territoire d’Outre-Mer », entré en vigueur en 1961. Après la révision constitutionnelle de 2003, ce TOM est devenu une « Collectivité d’Outre-Mer ». Aux termes du statut de 1961, le pouvoir exécutif est détenu par une sorte de super préfet appelé « administrateur supérieur » et nommé par Paris. C’est lui qui préside le conseil territorial, composé de trois membres nommés avec l’approbation de l’Assemblée Territoriale. Cette dernière comprend 20 membres (élus au suffrage universel pour un mandat de cinq ans) et les trois rois. Le chef-lieu du territoire est Matu-Utu, une bourgade d’un millier d’habitants, située sur la côte est de l’île de Wallis. C’est là que siègent l’administration supérieure et le diocèse de Wallis et Futuna. C’est également là que se trouvent la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption ainsi que le palais royal d’Uvéa.

Cette dernière précision nous amène à évoquer les trois royaumes traditionnels. On l’a vu, il n’y en a qu’un seul à Wallis : il s’agit du Royaume d’Uvéa*. Deux royaumes se partagent l’île de Futuna : le Royaume d’Alo* et celui de Sigave*. Chaque roi préside un conseil désigné selon la coutume et qui répond devant les chefferies des villages composant ces royaumes. Ces monarchies n’étant pas héréditaires, ce sont les chefferies, sorte de noblesses locales, qui désignent les souverains et qui peuvent même les destituer. Le seul monarque régnant actuellement est Petelo Sea, roi d’Alo intronisé en 2014. Les trônes de Sigave et d’Uvéa sont actuellement vacants, du fait de complexes querelles de succession. Ces trois royaumes exercent les pouvoirs dont disposent les communes de métropole, ainsi qu’une partie de ceux dévolus aux conseils généraux. Durant sa visite, François Hollande a été reçu au palais royal d’Uvéa, où a eu lieu la cérémonie traditionnelle du kava[2], ainsi qu’à celui d’Alo. C’est d’ailleurs à cette occasion que le chef de l’État a remis au roi d’Alo les insignes de chevalier de l’ordre du mérite.

Wallis et Futuna sont représentés à Paris par un sénateur, Robert Laufoaulu (apparenté LR) et par un député, Napole Polutélé[3] (apparenté PS). Lors de son discours à l’Assemblée Territoriale, François Hollande a évoqué une possible évolution du statut actuel. Le pouvoir exécutif, actuellement détenu par l’administrateur supérieur, pourrait passer au président de l’Assemblée.

Le problème le plus inquiétant auquel est confronté le territoire est celui de sa démographie. La population totale, en constante baisse depuis des années, ne s’élève plus qu’à 12 200 habitants (dont 68,4% dans l’île de Wallis et 31,5% à Futuna). En dix ans, le territoire a perdu 10% de sa population. Les Wallisiens et Futuniens sont trois fois plus nombreux à l’extérieur du territoire : principalement en Nouvelle-Calédonie mais aussi en Polynésie française et en métropole. 80% des habitants vivent d’une agriculture de subsistance (noix de coco, légumes), de petit élevage (porcs) et de la pêche. Les agents de la fonction publique représentent 4% de la population. Un autre problème est celui de la déforestation, particulièrement à Futuna.

Ainsi que l’a dénoncé Mélenchon, l’État a confié l’enseignement primaire à la Direction de l’Enseignement Catholique, qui gère 18 écoles réparties sur les deux îles. Le vice-rectorat est pour sa part responsable de l’enseignement secondaire et technique : il y a six collèges, un lycée d’enseignement général et un lycée agricole. La seule formation supérieure offerte aux étudiants wallisiens et futuniens est donnée à l’antenne de l’IUFM du Pacifique, qui se trouve à Wallis. C’est pourquoi de nombreux étudiants poursuivent leurs études à Nouméa ou en France métropolitaine.

Parmi les principales annonces faites par le président Hollande, durant son court séjour, plusieurs ont concerné la santé. Il existe deux hôpitaux et trois dispensaires, répartis entre les deux îles. L’Agence de santé, qui les gère, est largement déficitaire. À tel point que certains produits essentiels ne sont plus fournis par les sociétés métropolitaines. Non content d’apurer la dette de l’Agence, Hollande a annoncé que l’État augmenterait aussi sa dotation annuelle. En outre, un scanner sera installé à Wallis, ce qui évitera aux patients d’être envoyés à Nouméa. Un centre de dialyse sera créé à Futuna, ce qui mettra fin aux allers et retours pluri hebdomadaires entre Futuna et Wallis des malades futuniens. Ces deux coûteuses mesures permettront cependant d’économiser l’argent jusque-là dépensé en transport.

Une autre annonce d’importance de François Hollande a concerné les tarifs de l’électricité, qui sont actuellement 5 à 6 fois plus élevés qu’en France métropolitaine. D’ici à 2020, ces tarifs seront progressivement ramenés au niveau de ceux de la métropole.

L’autre question sérieuse abordée par le chef de l’État  a été celle du désenclavement. Un appel d’offre international va être lancé afin d’ouvrir de nouvelles lignes aériennes entre Wallis et Fidji et Wallis et la Nouvelle-Calédonie. La piste d’atterrissage de Futuna sera améliorée afin de pouvoir recevoir de   plus gros avions. Ces mesures permettront d’augmenter la fréquence des vols au départ et à destination du territoire tout en mettant en service des appareils pouvant transporter davantage de passagers. Autant de mesures visant à faire baisser le coût des billets d’avion, actuellement très élevé. Cela favorisera également le développement du tourisme, pour le moment presque inexistant. 

Le numérique a également été l’objet de l’attention présidentielle, puisque François Hollande a annoncé que les deux îles seraient raccordées au câble devant relier Samoa à Fidji. Le président est resté plus vague quand il a évoqué le développement d’une « économie bleue » respectueuse de l’environnement.  L’exploitation des terres rares, qui semble attiser les appétits chinois, a été mentionnée. Hollande a promis que la surveillance du domaine maritime du territoire serait renforcée et que si exploitation il devait y avoir, cela se ferait avec l’accord de la population et en respectant les règles environnementales.

François Hollande a répété plusieurs fois que Wallis et Futuna constituaient une chance pour la France. Une chance lui permettant d’être pleinement présente dans la zone Pacifique (le territoire est d’ailleurs membre du Forum des Îles du Pacifique). Je suis heureux que le président ait souligné cet aspect. La France est le seul pays d’Europe à avoir des frontières avec le Brésil, à être voisin du Canada, de Madagascar, de l’Île Maurice, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de Fidji, de Tonga ou de Samoa. La France d’outre-mer devrait être enfin perçue, à Paris, comme un atout majeur permettant au pays de jouer un rôle important aux quatre coins du monde, en particulier dans les domaines économiques et culturels. Ces territoires ont trop longtemps été considérés comme d’exotiques culs-de-sac de la République, où pouvaient s’écouler facilement les produits métropolitains. Il faut cependant espérer que les paroles présidentielles signaleront l’amorce d’un véritable tournant dans la politique menée depuis des décennies.  S’il est une phrase du discours présidentiel que je retiendrai, c’est bien celle-ci : « Vous avez raison d’être ce que vous êtes », a-t-il dit lors de sa réception au palais royal d’Uvéa. Que signifie une telle phrase ? Sans doute que les Wallisiens et les Futuniens ont raison d’être attachés au maintien de leurs institutions royales traditionnelles et à la sauvegarde de leurs langues et de leurs cultures ancestrales. Nul doute qu’une telle déclaration serait également la bienvenue sous d’autres cieux et même dans une autre île, d’où ces lignes sont écrites : la Corse.

Hervé Cheuzeville

ndlr :

Royaume d’Uvéa

Le royaume d’Uvéa est constitué par l’archipel de Wallis.
Le drapeau d’Uvéa est rouge avec une croix de Malte. Il porte le tricolore républicain en canton.

Royaume de Sigave

 

Le royaume de Sigave est situé sur l’île de Futuna. Son drapeau est divisé diagonalement en deux triangles rouge et noir, avec au centre un disque jaune portant deux lances croisées au-dessus d’un feuillage vert. Il porte le tricolore républicain en canton

Royaume d’Alo

Le royaume d’Alo est situé sur l’île de Futuna. Son  drapeau est rouge avec un arbre stylisé, une hache et une sorte de cuiller. Il porte le tricolore républicain en canton


[1] Né en 1803 à Montrevel-en-Bresse, assassiné à Futuna le 28 Avril 1841, béatifié en 1889 par le Pape Léon XIII, canonisé le 12 Juin 1954 par le Pape Pie XII. Ce Saint est fêté par l’Église Catholique le 28 avril. Saint Pierre Chanel est reconnu comme proto-martyr et comme Patron de l’Océanie ; son crâne fut ramené à Futuna en 1985.

[2] Boisson à base de racine de kava (piper methysticum, sorte de poivrier sauvage) consommée lors de cérémonies traditionnelles.

[3] Ce député, né en 1965 à Wallis, fut élu en 2013 lors d’une élection partielle, avec le soutien de l’UMP. Il a d’abord siégé à l’Assemblée Nationale parmi les non-inscrits. Mais, deux mois après son élection, il a rallié le groupe PS en tant qu’apparenté !

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