Chretienté/christianophobie

Un juste regard !

Une expérience métaphysique propre à tous les hommes, et ceci à l’âge le plus tendre, est la découverte de l’être par le nourrisson qui ouvre les yeux sur le monde et plonge son regard dans celui de sa mère qui l’allaite, le berce, est penchée vers lui après l’avoir façonné dans son sein. Un théologien contemporain comme Hans Urs von Balthasar a admirablement développé ce thème, soulignant que la différence existentielle surgit de ce face à face entre la mère et son enfant. Ce dernier ne découvre pas seulement à cette occasion l’amour de sa mère à son égard, mais à travers lui la source originelle de cet amour qui vient directement de Dieu. Il s’agit d’une expérience religieuse très profonde, qui marque à jamais l’être qui en bénéficie. Dans Retour au centre, Balthasar écrit : « Dans l’amour de la mère, l’enfant trouve sa conscience et son Je.
Dans le cœur de la mère, il trouve le point d’appui lui permettant de fixer son existence tâtonnante, fragile, en une image achevée.
Dans le Toi est dit et montré à l’époux, à l’épouse qui il est, qui elle est en vérité […].
Il est consolant pour nous que le christianisme, avec sa foi merveilleuse, se présente comme l’achèvement d’une vérité que nous connaissons déjà dans notre monde humain et que nous pouvons reconnaître comme le fil conducteur le plus profond et le plus fructueux de la vie : à savoir qu’un Je n’est finalement trouvé et gardé que dans un Toi qui l’aime. »

                                   Cette première rencontre, dont nous avons tous bénéficié, ouvre notre intelligence et notre cœur enfantins à la Rencontre par excellence. Dieu prépare notre regard en lui donnant comme premier objet le sourire et le regard de notre mère. Le bébé répond à cette invitation, la lumière et la joie l’habitent, celles qui proviennent de sa mère les tenant du Créateur Lui-même.

                                   Les Saintes Ecritures sont riches de cette mention du regard de Dieu sur les hommes qu’Il a créés et qu’Il aime malgré toutes les infidélités. Le psalmiste s’écrie : « Du haut des cieux, le Très Haut regarde,

Il voit tous les enfants des hommes ;

Du lieu de sa demeure, Il observe

Tous les habitants de la terre,

Lui qui forme leur cœur à tous,

Qui est attentif à toutes leurs actions. » (Ps XXXIII,13-15)

Ce regard n’est pas celui, scrutateur, que nous portons souvent sur autrui afin de le prendre en défaut. Il est celui, aimant, d’un Père qui attend sans se lasser le retour du fils qui s’est égaré. Dans la parabole de l’enfant prodigue, saint Luc rapporte : « Comme il était encore loin, son père le vit ; et, touché de compassion, il courut, se jeta à son cou, et le couvrit de baisers. » (XV,20) Le Père a passé tout le temps de l’absence de son fils à guetter son retour, à regarder l’horizon d’où il surgirait un jour, comme Il n’en avait jamais douté. Le regard paternel est ce qui guide l’âme perdue. Il attire irrésistiblement car il est sans artifice et plonge jusque dans les profondeurs où nous aimons nous cacher. Saint Paul écrivant aux Ephésiens leur rappelle que Dieu le Père nous a choisis dans le Christ, avant la création du monde, afin que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, devant Lui, en sa présence. (I,3-4) Prenons-nous vraiment conscience de ce regard divin permanent sur notre existence ?

                                   Ceux qui eurent la grâce de rencontrer Jésus lors de son pèlerinage terrestre furent souvent pétrifiés sous l’intensité de son regard capable de connaître ce qui est dans l’obscurité. Un seul de ses regards suffisait à retourner des vies et à opérer des conversions. Les évangélistes se plaisent à rapporter certains épisodes plus marquants. Le regard du Christ a décidé du choix de ses apôtres vaquant à des besognes ordinaires. Saint Jean-Baptiste reconnut l’Agneau de Dieu passant près de lui par un échange de regards. Et peu de temps après, Jésus appela à Lui ses disciples dont Pierre. André amena son frère à Jésus, « et Jésus, l’ayant fixé du regard, dit : « Tu es Simon, le fils de Jean : tu t’appelleras Céphas » – ce qui se traduit Pierre. » (Evangile selon saint Jean II,42). De même pour Nathanaël au sujet duquel l’Evangéliste précise que Jésus l’a vu, c’est-à-dire qu’Il l’a regardé et a pesé son cœur et son âme. Lorsque le Christ regarde, cela n’est jamais distraitement, superficiellement. Son regard se pose sur chacun et fouille l’être jusqu’au tréfonds. Saint Pierre, venant de trahir, en sera tout bouleversé et pleurera alors de repentir lorsque le Maître comparaît devant Caïphe : « (…) Le Seigneur, s’étant retourné, arrêta son regard sur Pierre (…) » (Evangile selon saint Luc XXII,61) Lorsque le Christ regarde, Il appelle à la conversion, comme lorsque l’homme riche accourt vers lui pour connaître le secret de la vie éternelle et repart attristé car les exigences du Seigneur sont considérables. Pourtant il est précisé que « Jésus, ayant fixé on regard sur lui, l’aima (…) » (Evangile selon saint Marc X,21) Souvent également Jésus regarde avec pitié les foules qui le suivent, affamées de pain et de vérité, comme le souligne souvent saint Matthieu. Son regard ne met pas mal à l’aise son interlocuteur, contrairement à certains regards fixes dont nous pouvons faire l’expérience. La personne se sent reconnue telle qu’elle est et elle n’éprouve alors aucune crainte.

                                   En présence d’un tel modèle, nous devrions nous poser la question de savoir comment nous regardons. Nous devons imiter le Maître en toutes choses et essayer de porter sur le monde et sur les êtres un œil capable de sauver ce qui peut l’être et de se garder de ce qui le met en danger. Les saints développent au plus haut degré cette capacité. En ce qui nous concerne, notre regard est plus flou ou plus trouble. Nous l’égarons là où il ne devrait pas se poser et nous l’utilisons comme une arme de jugement envers autrui, une arme qui ne fait pas de quartier. Le Carême est l’occasion privilégiée pour nous mettre sous le regard du Christ qui guérit et pour apprendre à regarder comme Lui. Souvent nous employons l’expression « fixer du regard », comme si nous épinglions – à la manière de l’entomologiste avec un papillon – la personne qui ne peut plus ainsi nous échapper. Le regard est alors une violation, une possession. Notre regard doit être contemplateur. Paul Claudel, notamment, a écrit de belles réflexions à ce sujet. Dans Présence et prophétie, il parle ainsi de Dieu : « Lui qui est par excellence le Voyant. » Le Soulier de satin présente d’ailleurs un monde qui est tout entier sous le regard des puissances surnaturelles. Alors n’ayons pas peur de demeurer sous le regard du Christ. Nous ne nous en trouverons pas diminués ou humiliés mais au contraire consolés et aimés, comme lorsque nous découvrions le regard de notre mère posé sur nous alors qu’elle nous allaitait.

 

 

                                                           P.Jean-François Thomas s.j.

                                                           Jeudi III° semaine de Carême

                                                                                          Saintes Plaies du Christianisme        

                                                           Saint Gabriel archange

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.