Chretienté/christianophobie

[Conte de Noël] Le secret du vent

C’est en allant puiser l’eau dans le fleuve Sanaga où abondent silures et kangas de la région du Haut Penja au Cameroun que Somiou a découvert sa passion pour la pêche. Il traverse ainsi depuis sa case en pierres et toit de chaume la bananeraie gérée par la compagnie fruitière où son père cueille les régimes ombragés de feuilles exotiques qui s’étendent à perte de vue. Des fils d’ange s’échappent du seau en zinc dans lequel dansent les poissons transportés au village, sur les terres fertiles à proximité de l’immense plantation.

Il n’est pas surpris quand la main énergique d’un des missionnaires habitués à leur rendre visite s’empare de l’anse et l’accompagne. Personne ne craint ces hommes car ils aident tout le monde. Il leur arrive aussi de faire, avec les salariés, le trajet vers le port de Douala d’où sont expédiés les fruits à l’étranger, dans le camion de livraisons.

Le conducteur a coutume de déposer Somiou et sa mère en chemin sur un marché local, toujours au même endroit enchanteur, sous la tonnelle de fleurs éblouissantes de cet arbre à floraison rouge spectaculaire (que l’on nomme « le flamboyant ») et de les laisser parmi d’autres marchands de denrées locales, de viandes découpées à la demande et de poissons frais. Cette maman est une couturière réputée qui vient proposer des tissus et qui coud sur place les habits commandés et livrés en quelques heures.

« Comme le temps a fui ! », pense Somiou. Et, pourtant, les écailles arc-en-ciel accrochent toujours un coin d’azur au fond de l’eau. Il ne peut s’empêcher de repenser à son arrivée, alors enfant, dans l’unité de soins où les servantes de Dieu l’ont soigné et guéri. Que de chemin parcouru pour s’instruire, entrer dans les Ordres, répandre l’enseignement chrétien. Il garde intacts dans sa mémoire les premiers mots de la doctoresse sœur « Bien-aimée » lui narrant la Nativité.

C’est cette magnifique histoire qu’il nous conte car elle a contribué à atténuer ses douleurs et sa blessure si profonde d’être éloigné des siens. Quel que soit le nom donné aux vents, tous sont porteurs de nouvelles, bonnes ou mauvaises. La nouvelle qui parle aux oreilles des puissants est excellente : elle annonce la naissance, apparue en songe, du libérateur des hommes. Un léger tressaillement dans le ventre de la jeune vierge fécondée par le Saint-Esprit rappelle à Marie qu’elle enfantera bientôt d’un fils plus tard nommé Jésus. Elle rabat machinalement autour de son corps son voile protecteur ample, de peur que l’enfant, pourtant bien à l’abri dans son ventre, ne prenne froid. L’air divin accompagne la famille, conduite vers la ville de Bethléem par le décret de l’empereur César-Auguste imposant le recensement des populations de Judée.

Cet enfant sera le lien entre le Ciel et la Terre, le fils de Dieu et sa mère, une simple mortelle qui a reçu le cadeau inestimable de recevoir, d’aimer et d’éduquer Jésus.

Neuf mois se sont écoulés depuis la visite de l’Ange Gabriel dans une ville de Galilée, nommée Nazareth. Alors que les lèvres de Marie dessinent ce sourire indéfinissable qu’ont toutes les futures mamans, son regard d’une douceur innocente berce le bébé dans le tissu féminin. Bien que transportée par l’âne, son « compagnon » de voyage, Marie ressent la fatigue de sa grossesse. Aussi la fiancée de Joseph apprécie-t-elle la douce caresse du vent sur ses joues de très jeune femme. Celui-ci continue à courir sur le drapé où jouent les lueurs stellaires au firmament, guidant la Sainte Famille. Premières manifestations de l’accouchement et nulle part où aller pour la délivrance. À une dizaine de kilomètres de Jérusalem, une étable devient leur refuge avec une crèche de paille dans laquelle l’enfant dénudé sourit aux anges, entre le bœuf et l’âne gris.

L’air tourbillonnant qui fait rayonner la lumière divine dans le silence auréolé d’haleines animales, troublé de vagissements et de bêlements, souffle aussi sur les adorateurs d’Israël, proches et humbles bergers, un genou à terre. Le vent de sable détale à toute allure, entraîne les rumeurs, les voix aux accents différents, fait tinter les carillons. A cette assemblée, ce vent divulgue la perception d’une marche lointaine. Le chant du monde messager qui s’élève en claires sonorités par vocalises, comme propulsées d’un rêve féerique au-dessus du berceau, flatte l’ouïe des trois Rois Mages puissants, au savoir tellement impressionnant qu’ils attendaient tous l’arrivée du Sauveur, pour partir à sa rencontre.

Pour l’adorer, ils doivent suivre les signes des étoiles ! Un allié les seconde : le simoun ! Il pousse les nuages pour épurer le ciel afin que le cortège puisse suivre la trajectoire aux pointillés de luminescences sporadiques propageant le calque d’étincelles magnétiques émises depuis l’onde. Combien de lieues à parcourir encore pour les trois dignitaires ne quittant pas du regard l’étoile du Levant avant d’atteindre leur but : déposer humblement leurs hommages au pied du Roi des Juifs.

Melchior, le plus âgé, vient de Perse offrir l’or, symbole du pouvoir royal. Le présent de l’encens, résine blanche parfumée, pouvoir sacerdotal, est donné par Gaspard voyageant depuis l’Inde. Balthazar,  l’Éthiopien, est précédé de l’odoriférante senteur du baume de Judée, la myrrhe rédemptrice qui adoucit les épreuves liées au pouvoir spirituel. Entrée par effraction, la clarté allume les cierges naturels, ces anfractuosités des parois afin de recevoir dignement la procession des nobles. De mémoire d’homme, jamais une telle richesse n’était parvenue de si loin pour avoir l’insigne honneur d’admirer cet angelot vêtu d’un rayon de lune argentée à l’incroyable destin, celui d’un règne sans fin.

Cette magnifique histoire, racontée depuis tant d’années,  restera à jamais gravée dans le cœur de Somiou. Pour l’heure, c’est le tourbillon africain qui, sur les percussions du tam-tam, a averti de l’installation d’un hôpital de campagne destiné aux autochtones. Somiou vient de chuter d’une branche basse de l’arbre d’où il pêchait et geint. Ses cris ameutent les parents qui, affolés, le conduisent au dispensaire. Ils ont confiance en ces dames habillées de bleu et blanc, simples, charitables. Ce sont les sœurs missionnaires qui portent autour du cou un symbole ignoré du petit garçon accidenté. Après avoir reçu les premiers soins, une fois le diagnostic établi et ses parents rassurés,  Somiou intrigué demande ce que signifient ces deux bois croisés.

Alors sœur Bien-aimée s’entend répondre : la CROIX de Jésus. Elle narre l’histoire du fils de Dieu, puis elle lui apprend les prières. Elle lui conseille de les dire aussi souvent qu’il en a envie car Dieu fait des miracles. Les mains jointes, il égrène les perles du rosaire avec son infirmière attentionnée. Pendant plusieurs mois, il réapprend à marcher. Une fois définitivement rétabli, il est autorisé à regagner son logis. Déjà des sifflements dans les feuilles l’interpellent : « Viens vite, viens vite attraper des poissons ! ». Mais les yeux emplis de larmes, il tire sur la jupe sacrée de sœur Bien-aimée jusqu’à ce que la religieuse se mette à genoux, puis il se positionne en face d’elle, met ses mains dans les siennes et tête baissée commence à prier.

« Je vous salue Marie, pleine de grâce… ». Somiou a tellement reçu de messages de bonté, de paix, d’amour partagé, d’ouverture tolérante, transmis depuis des siècles oralement, par la lecture des vitraux, dans les assemblées louant la présence de Dieu urbi et orbi qu’il est persuadé d’être Miraculé. Cette foi inébranlable l’a encouragé à poursuivre des études théologiques. Surnommé « le prêtre aux dents blanches», Somiou parcourt la campagne pour répandre la Bonne Nouvelle, rappelant sans cesse le commandement de Jésus dont il connaît chaque mot : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. ». Et dans son cœur, il poursuit toujours la suite de cette phrase avec la même ardeur et le même amour pour le Christ : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera. Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. » 

Claude-Sylvie Felgerolles

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