Chretienté/christianophobieLes chroniques du père Jean-François ThomasTribunes

De la confiance

Notre époque a totalement transformé le contenu de la confiance. Rien n’est plus à la mode que le concept de « confiance en soi », allant de pair avec « se faire plaisir », but ultime de l’existence contemporaine. Qu’est donc devenue la confiance dans son sens premier, à savoir confier ce que l’on possède de plus précieux à un autre, confidere : cum, « avec », fidere, « fier » ? Il s’agissait alors de foi et de fidélité, de crédit envers un autre, d’abandon de soi entre les mains d’autrui. L’Ancien Testament nous enseigne une magnifique histoire de confiance, celle du Jugement de Salomon (III Rois, III, 16-28), lorsque ce roi sage — tout au moins au début de son règne — fut amené à départager deux femmes de mauvaise vie ayant enfanté qui, un des enfants étant mort, se disputaient la maternité du survivant. Chacun connaît cette célèbre scène et se souvient de la façon dont Salomon fut capable de résoudre le dilemme en proposant de partager par le glaive l’enfant en deux, provoquant ainsi la réaction de la véritable mère, émue jusqu’aux entrailles et prête alors à abandonner son fils entre les mains de l’usurpatrice. Sa confiance en son roi est à l’image de la confiance en Dieu qui l’habitait, elle pécheresse publique, fille-mère prostituée. Elle s’en remet totalement à la décision du souverain, sans aucune réticence et sans conditions préalables.

La confiance est à la base de tout contrat, de tout engagement. Elle est le signe de la foi effective dans la relation à Dieu. Moïse ne mènera pas les Hébreux en Terre promise, mourant après l’avoir aperçue de loin, car il douta lorsque, le peuple manquant d’eau dans le désert, il fut appelé par Dieu à frapper le rocher :

« Et le Seigneur dit à Moïse et à Aaron : Parce que vous ne m’avez pas cru, et que vous ne m’avez pas sanctifié devant les enfants d’Israël, vous n’introduirez point ces peuples dans la terre que je leur donnerai. » (Livre des Nombres, XX. 12).

Tout se joue donc par la confiance du cœur, comme le prouve, de façon dramatique, la mort ignominieuse de Judas qui préfère le suicide au repentir, par manque de confiance envers son Maître dont il ne peut imaginer la miséricorde. La confiance est donc une vertu essentielle pour grandir dans la foi. Si nous la laissons entre les mains des psychologues et des chercheurs en science sociale, elle risque bien de ne plus être qu’une vide coquille de noix entretenant un narcissisme dont souffre le monde présent. Les politiques s’en emparent aussi, prêchant une confiance démocratique dans les « valeurs de la république ». Quant aux commerciaux, ils ne pensent qu’aux relations entre vendeurs et clients. Rien de commun avec la confiance dont le roi saint Louis était investi lorsqu’il rendait justice à Vincennes, nouveau Salomon. La confiance semble être devenue ce à quoi on est désormais condamné lorsqu’on n’est plus en mesure de prévoir, par calcul intéressé, le comportement d’autrui. Quelle pauvreté ! La lecture d’articles sur le sujet rédigés par des gestionnaires et hommes d’affaires fait frémir car la confiance y apparaît comme un moyen parmi d’autres pour parvenir à ses fins. Elle ne possède plus rien de naturel et de surnaturel. Elle est une construction stratégique  pour gagner un marché et pour écraser le concurrent devenu adversaire.

Par la confiance donnée à l’autre, nous soulignons notre gratuité et notre vulnérabilité. Bien évidemment, cette confiance peut être déçue ou trahie. Cela importe peu. Le fait qu’elle existe est ce qui nous rend humain. Dans une société où les rapports sont régis par des calculs, elle apparaît comme une oasis de fraîcheur, d’innocence, une sorte d’état paradisiaque, relique d’un temps où la confiance entre la créature et son Créateur n’était point rompue. Par la confiance, nous nous exposons et nous prenons un risque qui en vaut la chandelle, car, sans elle, aucune relation humaine vraie ne serait possible. David Hume signale, dans son Enquête sur les principes de la morale, que si je manque à ma parole et si je trahis la confiance qui m’est accordée, je risque de voir ma réputation à jamais entachée. Michel de Montaigne, si attaché à la fidélité en amitié et à la justesse des relations humaines, précise dans ses Essais :

« Notre intelligence se conduisant par la seule voye de la parole, celuy qui la fauce, trahit la société publique. C’est le seul util par le moien duquel se communiquent nos volontés et nos pensées, c’est le truchement de notre âme : s’il nous faut, nous ne nous tenons plus, nous ne nous entreconnoissons plus. S’il nous trompe, il rompt tout notre commerce et dissoult toutes les liaisons de notre police. »

Notre expérience, dans l’enfance, nous a appris à faire confiance, spontanément. Voilà pourquoi, lorsque cette confiance est bafouée par un adulte, le retentissement est-il si fort sur le développement moral et spirituel. Si, de plus, la personne qui trahit est investie d’une autorité due à sa fonction, les dommages sont encore plus considérables. Malgré tout, il faut poursuivre sur une voie identique, sans se lasser, car faire l’économie de la confiance — comme tant de nos contemporains, est se condamner à se renfermer dans l’égoïsme le plus impitoyable.

Avant de cultiver la confiance en soi il est préférable de mettre notre confiance en Dieu et en l’autre. Si nous sommes constamment obsédés par la possibilité de la trahison et de l’infidélité, nous demeurerons paralysés et cachés dans nos cavernes. En revanche, si nous distribuons largement notre confiance, nous connaîtrons certes des déceptions, puisque la faiblesse humaine finit toujours par nous rattraper, mais nous serons capables d’amitié, de relation vraie. Il ne s’agit pas d’être un livre ouvert que tout passant peut lire. Ce type d’exhibitionnisme affectif, hélas courant, est à l’inverse de la convenance que doit conserver tout rapport humain. Il existe aussi des degrés de confiance à accorder selon les cas. Les mêmes choses ne sont pas confiées à un père, à un ami, à une épouse, à une connaissance lointaine, et pourtant toutes ces relations comportent une part de confiance sans laquelle rien ne peut durer. Parfois, il est nécessaire de retirer sa confiance envers une personne qui n’a pas respecté le règles, mais une telle décision ne peut jamais se prendre uniquement sur la base d’une déception passagère, comme cela se produit, de plus en plus, dans les couples en crise.

Sans confiance, rien de grand ne se construit, rien de beau n’est produit, rien de bon ne fleurit. Saint Claude La Colombière (1641-1682), l’apôtre du Sacré Cœur de Jésus, admirable prédicateur et directeur spirituel de sainte Marguerite-Marie Alacoque, écrivit cette magnifique prière que nous devrions réciter chaque jour :

« Mon Dieu, je suis si persuadé que Vous veillez sur ceux qui espèrent en Vous et qu’on ne manque de rien quand on attend de Vous toutes choses, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci et de me décharger sur Vous de toutes mes inquiétudes. Les hommes peuvent me dépouiller et de mes biens et de l’honneur ; les maladies peuvent m’ôter les forces et les moyens de Vous servir ; je puis même perdre Votre grâce par le péché, mais jamais je ne perdrai mon espérance ; je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie, et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher. Les autres peuvent s’appuyer sur l’innocence de leur vie ou sur la rigueur de leurs pénitences. Pour moi Seigneur, Vous êtes toute ma confiance, Vous êtes ma confiance même. Je connais, hélas, je ne le connais que trop que je suis fragile et changeant ; je sais ce que peuvent les tentations contre les vertus les plus affermies. Mais cela ne peut m’effrayer tant que j’espérerai ; je me tiens à couvert de tous les malheurs et je suis assuré d’espérer toujours, parce que j’espère encore cette invariable espérance. »

Toute confiance humaine doit se réfugier en Dieu, sinon elle ne peut que dépérir et finit pas être déçue car souvent trompée. « Toute ma confiance » dit saint Claude, pas seulement une partie, fût-elle la plus belle part. De cette confiance en Dieu peut surgir notre confiance envers les hommes.

P. Jean-François Thomas, s.j.
Férie
9 juillet 2020

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