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Confinement : la République n’a pas exorcisé ses vieux démons

Malgré la fin annoncée du confinement général, les mesures gouvernementales à l’égard de la pratique religieuse semblent devoir rester inchangées. Les lieux de culte sont autorisés à rester ouverts mais avec interdiction d’y tenir des réunions, hormis le cas des funérailles ne pouvant rassembler qu’un maximum de vingt personnes [1].

L’incohérence (pour le moins), l’indécence (en fait) des dispositions de l’Exécutif durent depuis le commencement de cette mesure – inédite, semble-t-il, dans l’histoire de l’humanité – de surveillance administrative systématisée. Car, il est incompréhensible que des rassemblements jusqu’à cent personnes soient possibles [2], mais pas la célébration de la messe. Est-ce à dire que le coronavirus serait plus susceptible de se propager dans une église que dans les queues à l’entrée et aux caisses des supermarchés ?

Il ne faut donc pas s’y tromper. Si la messe devait rester prohibée après le 11 mai, date annoncée de la levée du « grand renfermement » généralisé, le scandale ne ferait que perdurer ; il ne serait pas nouveau, bien qu’accru en comparaison avec les activités susceptibles d’être libéralisées (réouverture des institutions scolaires, redéploiement des transports en commun).

En fait, cette intolérable atteinte à la liberté du culte permet une triple révélation (pouvant être salvatrice) : sur l’idéologie du pouvoir, le ressort du lien social et l’état interne de l’Église.

La politique gouvernementale montre à quel point la laïcité est impropre à assurer des relations paisibles entre le spirituel et le temporel, à réaliser la concorde entre l’Église et l’État. Dans les circonstances actuelles, la laïcité renoue avec sa nature originelle d’agressivité envers le catholicisme [3] : le pouvoir politique prétend explicitement disposer du monopole sur l’espace public (relégation de la religion dans la sphère privée) ; l’ordre public doit être religieusement neutre, le politique pouvant autoriser, de manière parcimonieuse et à sa convenance, l’expression religieuse dans l’espace public. Dès lors, l’Exécutif se sent légitime à interdire la tenue de messes avec des fidèles dans des lieux dont la puissance publique est propriétaire (en raison de la spoliation des biens de l’Église à la Révolution et au début du XXe siècle). Mais, quid de la liberté du culte dans des lieux privés (ceux construits après 1905 pour faire court) ?

Si les représentants de la Conférence des Évêques de France (CEF), qui ont récemment rencontré ceux du Gouvernement, ont accepté, sans broncher (?), que les messes ne puissent pas être dites même après la fin du confinement général (prévue le 11 mai), n’ont-ils pas pris le risque de voir les fidèles aller en masse (par cohortes de cent…, si j’ose dire en prenant des libertés au regard de l’organisation militaire romaine) dans les églises « privées » ? Il est difficilement imaginable que, parce qu’ils se réuniraient pour une messe, le pouvoir politique chercherait à les en empêcher ou à les déloger. Une telle mesure serait, à l’évidence, tyrannique.

Outre qu’il ne comprend pas (ou se refuse à comprendre) que la messe n’est pas un culte parmi d’autres parce qu’elle est le renouvellement non-sanglant du sacrifice du Christ et qu’elle met le célébrant (configuré au Christ) et les fidèles en communion avec Dieu, réellement présent dans l’hostie consacrée, le fait que le Gouvernement ait considéré que la pratique du culte n’était pas indispensable, vitale pour les hommes, illustre clairement – si tant est qu’il était besoin d’en avoir la preuve – le matérialisme sous-jacent à l’actuel régime.

Or, ses limites sont désormais palpables : d’une part, sa tolérance (vis-à-vis de la spiritualité) n’est que de façade et, d’autre part, son incapacité à répondre au besoin d’un homme complet fait d’un corps et d’une âme (dont les chrétiens pensent qu’elle est immortelle) est concrètement constatable. Le matérialisme ne remplit pas le vide qu’il entraîne en prétendant évincer le religieux. Et la nature humaine a horreur du vide !

Personne n’est obligé d’être croyant (liberté au for interne) et pratiquant (liberté au for externe), mais que ceux qui ne le sont pas ne contraignent pas les autres à n’être que des bêtes sauvages. Ils abuseraient de leur puissance. Il y aurait, là, une flagrante atteinte à l’authentique liberté de religion, celle de l’Église de proposer sans entrave son enseignement à chacun et à tous.

La docilité (pour ne pas dire, par courtoisie, la couardise) a ses limites. L’obéissance n’est qu’un moyen et non une fin. De même qu’une loi n’est loi qu’à la condition d’être conforme à l’ordre des choses, l’obéissance n’a de valeur que si elle est ordonnée au bien. Il s’avère que la crise sanitaire réactualise une tension doctrinale, une césure psychosociale au sein de l’Église catholique.

Mais, contrairement à ce qui pourrait être pensé, la ligne de démarcation ne passe pas entre « traditionalistes » et « conciliaires » (on trouve des ecclésiastiques et des fidèles… dociles… au sein des deux tendances liturgiques) mais entre catholiques convaincus et mondains, entre fidèles « zélés » et « politiques » (pour reprendre la distinction qui avait cours au second XVIe siècle), entre ecclésiastiques « réfractaires » et « jureurs » (pour faire référence aux événements révolutionnaires).

Les tenants du régime doivent bien se rendre compte que les mesures qu’ils prennent sont en train d’ouvertement réactiver l’offensive (qui était devenue larvée mais n’en était pas moins toujours bien réelle) menée par le laïcisme, le matérialisme et le légalisme contre le catholicisme. Et, dans ce nouvel épisode des guerres de religion(s), il y a bien un agresseur et un agressé.

Guillaume Bernard (L’Étudiant Libre*)
Maître de conférence à l’Institut catholique de Vendée (ICES)

Professeur associé à l’Université Laurentienne


[1] Cf. l’art. 8-IV du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitairehttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746694&categorieLien=id

[2] Cf. l’art. 7 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746694&categorieLien=id

[3] La loi de séparation de 1905 fut, incontestablement, une mesure d’agression envers le catholicisme puisqu’elle maintenait la spoliation des biens de l’Église et des congrégations et tentait, en outre, de travestir son organisation interne. Sur ce point, il sera permis de renvoyer à notre étude : Guillaume Bernard, « Pie X et la séparation de l’Église catholique et de l’État », dans Le contrôle des religions par l’État en Europe hier et aujourd’hui, Bernard Callebat, Hélène de Courrèges, dir., Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, p. 105-126 ; cet article est téléchargeable ici : https://www.academia.edu/30898299/Pie_X_et_la_s%C3%A9paration_de_lEglise_catholique_et_de_lEtat_2016_ 



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