Chretienté/christianophobie

Bonheur et Béatitude

Les lieux communs et les expressions toutes faites, soudain mis à la mode pour un temps avant de disparaître comme ils le méritent, sont propres à chaque époque, à chaque génération. Personne ne sait d’où ils viennent mais ils arrivent à s’imposer, à abêtir et à empoisonner. Sans doute correspondent-ils à chaque fois à ce que notre être a de plus faible, de plus frelaté. Parmi les mots qui reviennent aujourd’hui comme des refrains dans la moindre conversation, de façon horripilante, penchons-nous sur les deux suivants : « C’est magique ! » et « Que du bonheur ! »

Comme l’avait bien étudié Philippe Muray dans son « XIX° siècle à travers les âges », la magie, la superstition et le spiritisme furent des caractéristiques d’un siècle qui se piquait de progrès scientifique et d’industrialisation et qui tournait le dos à la foi sous prétexte de rationalisme. Normalement il est difficile de faire cohabiter le magique et le rationnel, alors que le mystique et le rationnel ne s’excluent point. Apparemment nous n’avons guère changé par rapport à nos ancêtres du XIX° siècle. Nous nous réfugions à tout propos, comme par une sorte d’invocation, dans le magique, sans doute pour nous rassurer face aux dérives de la technologie et de la robotisation envahissantes, et pour combler le vide laissé par notre abandon du religieux. Toutes sortes d’idoles sont de nouveau dressées sur des piédestaux. Et tout ce qui sort de l’ordinaire le plus plat est aussitôt auréolé d’une origine surnaturelle, un peu inquiétante d’ailleurs. Nous sommes dans l’ère d’Harry Potter et ce que la prière n’obtient plus, puisqu’elle n’est plus pratiquée, la baguette de sorcier et les formules obscures le peuvent, à condition de se mettre du côté de toutes ces forces étranges que l’on sent autour de soi. Tout est alors qualifié de magique, surtout le plus banal, sujet de qualificatifs élogieux et exagérés, sans commune mesure avec la réalité. Il faut tellement se convaincre que tout est extraordinaire et participe à notre bonheur. Nous confondons tout, à tel point qu’un écrivain contemporain va même jusqu’à écrire :  « Parce que le bonheur, c’est magique… »

Magique le bonheur ? Peut-être lorsque le poëte, comme Arthur Rimbaud, se penche sur son berceau :  « J’ai fait la magique étude du bonheur que nul n’élude. » Mais sinon, n’appartient-il pas à un autre ordre ? Car la vie n’est pas que du bonheur, contrairement à ce qu’on l’on serine à tort et à travers. Le Christ n’a jamais promis la magie du bonheur mais la rugosité de la béatitude. Il ne s’écrie pas, en parcourant les routes de Judée et de Galilée, à la rencontre de la misère humaine : « C’est magique ! » ou « Que du bonheur ! ». Il prêche des béatitudes qui renversent l’idée que l’homme se fait généralement de la félicité. Il guide sur un chemin qui ne traverse pas une vallée de plaisirs. Que nul ne crie au scandale car le Maître n’a jamais trompé quiconque sur le contenu de sa promesse. Armand Godoy, dans Le Brasier mystique, exprime bien ce qui couronne le disciple à la suite du Roi :

« Jésus adoré, ta voix divine a vêtu de mystère

Les plaines, les monts, les vallons, nos désirs, notre misère.

Tes larmes d’amour ont embaumé la route solitaire

Où chacun de nous trébuche sous ta Croix vers le Calvaire.

Jésus, Jésus adoré, ton sang purifia la Terre.

Elle est à jamais sacrée, à jamais belle, à jamais chère !

Tes larmes d’amour ont embaumé la route solitaire

Où chacun de nous trébuche sous ta Croix vers le Calvaire.

Jésus, Jésus adoré, ton sang purifia la Terre.

Elle est à jamais sacrée, à jamais belle, à jamais chère !

Et la flamme et l’air et l’eau sont prosternés dans sa poussière.

A genoux, les Trois Rois Mages, à genoux dans la poussière. »

Lorsque l’homme donne la priorité à un bonheur qui s’éloigne du modèle originel, qui ne repose que sur la satisfaction de ses sens et de ses passions, il se condamne à ne plus vivre que pour la magie et non plus pour la mystique qui, elle, forge les peuples et les nations fidèles. A nous de choisir entre le bonheur et la béatitude.

P.Jean-François Thomas s.j.

8 novembre 2016 – Quatre Saints couronnés

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.