Idées

Lettre d’un émigré. Un silence divin ou la messe au Japon

Les chrétiens japonais sont mal connus dans la vieille Europe. En cette matière comme dans de nombreuses autres, le Japon fantasmé ou détesté brouille une vision de toute façon floue de par l’impossibilité de rentrer dans une langue et des habitudes communes qui nous sont difficiles d’accès.

            D’après les dires d’un prêtre français au Japon, qui se fondait apparemment lui-même sur les dires d’un vieux prêtre japonais, les chrétiens nippons ne s’agenouillent pas devant le Saint-Sacrement, par habitude, et communient en conséquence sur la main.

            Et pourtant, un jour en semaine pour une messe en japonais dans le centre de Tôkyô, à midi, j’ai assisté à une eucharistie habitée par la présence réelle. Arrivé un peu en retard, je rentre doucement en me signant dans cette église de construction récente, qui ne possède même pas d’autel, mais seulement une « table ». A l’instant même du passage de la porte, je fus happé. Happé par le silence. Pas ces silences « blancs », que l’on cherche à combler le plus vite possible, mais un silence habité par le Verbe. Un silence épais de recueillement d’une multitude d’âmes ici présentes, dont la convergence des prières et des Fois densifiait l’atmosphère si spirituellement concentrée qu’elle agit physiquement sur tout le cœur et l’âme. Le genre d’atmosphère qui convertirait tout homme.

            La messe, sans chants et scandée, était faite en rite « moderne », avec le prêtre en face des fidèles, comme au théâtre. Et pourtant, je me demande si j’ai assisté à messe plus traditionnelle, à une eucharistie plus réelle que celle-ci, il faut le voir pour le croire. Les quelques secondes où mon esprit se faisait rattraper par le réflexe français, ou plutôt le réflexe républicain « décadent » – ce genre de réflexe n’a rien de français – m’ont trouvé à penser que vue la tête de l’église, en béton armé, avec une croix stylisée « moderne » et l’absence totale d’autel, voire de nef, dans un tracé circulaire en demi-théâtre avec le prêtre au centre, et un lotus pour coupole dans une gênante similarité bouddhique, cette « messe » moderne ne pouvait qu’être le signe supplémentaire d’une décadence de l’Eglise universelle gangrénée par Vatican II[1].

            Mais non, comble de ravissement, comble de joie, toute l’assistance s’agenouille pieusement devant l’hostie consacrée. A regarder de plus près un bon nombre de femmes porte des mantilles, ces voiles de chrétienté. Ma joie de constater que les Japonais, en plus d’une vraie piété déjà constatée, pouvaient aussi l’exprimer par les gestes universels de l’histoire de l’Eglise, était amplement satisfaite, quand, comble de joie inespérée, surprise inattendue, la communion commença. Au début, comme dans nos messes-spectacles, comme ces queues pour la soupe populaire, les fidèles s’alignent. Certains prennent dans la main, se signent, saluent en baissant profondément la tête, dans la piété déjà connue. Mais environ un tiers font bien plus : ils prennent la communion sur la langue. Après les discours sur les chrétiens nippons, je ne pensais pas voir ce genre de spectacle. Mais le plus touchant était peut-être une attitude christique que la forme de la messe moderne accentuait naturellement : comme certains fidèles communiaient dans la main, ceux qui communiaient sur la langue ne pouvaient occuper la place trop longtemps devant le prêtre, seul distributeur pour cette messe de midi à des fidèles relativement nombreux. La communion sur la langue leur demandaient donc une dextérité époustouflante d’une mise à genou, qui était plutôt un élan corps et âme de se jeter à genou, sur le béton armé, pour communier sur la langue, puis évacuer la place tout en se signant et saluant profondément. Ils savaient ce que tout cela signifie.

            Comme quoi la question n’est pas de savoir ce qui est mieux entre messe traditionnelle et messe moderne, car cette expérience montre que, fondamentalement, des fidèles pieux communient de la même façon dans l’eucharistie, que la forme soit ordinaire ou extraordinaire. La question serait plutôt de savoir si la messe de toujours est indispensable pour comprendre ce qu’est l’eucharistie. Et puis, pauvre France, a-t-on effectivement déjà vu une messe en rite moderne si pieuse ? Cela serait étonnant.

Paul de Beaulias

Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France



[1] D’autres expériences de messes moins heureuses dans cette même église rappellent malheureusement ces féaux.

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