Idées

Lettre d’un émigré. Devenir chef avec humilité

 « À cette époque, lorsqu’on était appelé à une haute charge, il était de coutume de commencer par refuser la fonction, puis de se la voir redemander sur demande expresse du Roi, puis enfin d’accepter. Il était en effet important de jouer le jeu de cet échange triple dans la réception de cette fonction afin d’exprimer une attitude humble et contrite refusant la fonction comme disant « Je ne suis pas digne de cette charge », suivi par la demande renouvelée du Roi comme disant « Vous êtes la seule personne sur qui je peux compter pour cette charge. »»[1]

Cette coutume japonaise qui remonte à loin continue de se pratiquer, et il reste très mal vu de « chercher une promotion » ou de « viser une haute fonction ». De façon inconsciente peut-être, la conception de la direction reste traditionnelle : une charge est une charge, et être chef signifie avoir beaucoup de responsabilités, ce qui n’est pas enviable d’une part, et demande une immense humilité et un retour sur soi conséquent d’autre part. Par-dessus tout, la prise de la charge, si lourde, ne se décide pas de son propre fait, mais se trouve quelque part fatalement dévolue, dont l’hérédité constitue le cas le plus frappant : un roi est d’abord roi par naissance, ce qui lui incombe un devoir absolu auquel il ne peut échapper et qu’il doit assumer.

L’appel ou l’élection passive à la charge a de plus l’incomparable vertu de désactiver toute compétition, mauvais sentiments, zizanie et perte de légitimité : ne pas désirer avoir de charge et se voir choisir tout de même, la refuser, mais se voir investi de toute la confiance en soi octroie une légitimité véritable et gagne la confiance des autres qui savent que la charge, non poursuivie, ne sera pas le prétexte à l’abus de pouvoir ou la violence égoïste et orgueilleuse.

Quand la charge n’est pas héréditaire, il devient ainsi normal de ne pas vouloir la prendre, tant par la conscience de sa propre faiblesse et par peur de ne pas être à la hauteur – et le fait de vouloir une charge ne peut que signifier soit un orgueil démesuré de celui qui se croit infaillible, et qui rend quasiment impossible le service de sa charge, ou, pire, mais hélas commun en notre temps, la simple maléfique envie d’abuser de pouvoir en se voilant la face sur le salut que l’on se ferme ainsi à coup sûr – que la crainte de la perte d’une vie de simplicité et de frugalité (raison pour laquelle un sujet peut se consacrer à ses œuvres et à la simplicité là où le maître doit s’occuper de la direction,  et s’inquiéter de ses serviteurs sans cesse). Cela dit, le véritable chef bon parviendra à conserver frugalité et simplicité dans l’exercice de ses fonctions, sans jamais tomber ni dans le somptueux ou le lucre, et sans jamais oublier sa position de serviteur de sa charge et de serviteur de Dieu. Un autre aspect important à rappeler est celui que toute personne, quoique l’on en dise, est maître quelque part ou dans une matière, aussi petite qu’elle soit. Le Seigneur en sa seigneurie, le père de famille chez lui, la mère sur les enfants, mais aussi, plus simplement, dans tout travail, toute tâche, où l’on a la charge et la responsabilité de personnes ou de choses, même de façon limitée dans le temps et dans l’espace. Un artisan ou intellectuel a aussi la charge de son artefact ou de son sujet. Les enfants, peut-être, ont cette position de sujet absolu, sans aucune charge jusqu’à un certain âge, et c’est peut-être de là que nous sentons la douceur et l’insouciance d’une enfance placée sous de bons maîtres – sa famille, etc, tout autant que de tyrans peuvent la rendre cauchemardesque – ce n’est pas pour rien que la minorité ou l’enfance est prise de façon universelle pour illustrer la situation de sujet ou de peuple dans ses relations à ses aînés ou ses maîtres. Un bonheur immense provient de l’enfance bien dirigée, mais nous sommes en même temps appelés aux charges qu’elles soient tangibles ou non, mais toujours divines, si elles sont véritablement charges.

Si nous revenons plus prosaïquement aux charges humaines, de direction des hommes, quel que soit le niveau, devient ainsi claire la nécessité d’être appelé à ces charges – par Dieu en dernière instance, dont le Roi est le tenant lieu et il ne fait que transmettre, au fond, des appels divins – car sinon elles ne sont non plus des charges, mais des violences institutionnalisées et des usurpations permanentes, ce que nous voyons malheureusement tous les jours depuis 200 ans dans notre pauvre royaume – ce qui est illustré d’ailleurs, en premier lieu par le Roi dans le pays, qui ne choisit pas de le devenir, mais aussi toujours dans la famille, puisque le mystère de la naissance et de l’ordre qu’il sous-tend, sans que l’avis des parents soit demandé au fond, est de la même nature que le mystère royal qui contient cet appel divin.

Le libre-arbitre de l’homme lui permet le bien comme le mal. Dans le monde visible et humain, il devient assez naturel de refuser la charge, pour concrétiser cette conscience aigüe de sa propre faiblesse. De plus, ce refus montre la disponibilité de l’homme, et donc sa possibilité de refuser, car la Foi, l’amour et l’harmonie ne sont possibles que dans la liberté, qui est le ferment du mal mais aussi du bien magnifique. Accepter par vanité ou par envie d’abus est voué à l’échec, évidemment, mais celui qui aurait conscience de sa faiblesse et de la gravité de la charge et se sentirait obligé d’accepter car justement l’injonction est divine ne pourrait pas plus incarner harmonie, amour et miséricorde, qui nécessitent une volonté résolue, et cette résolution nécessite la liberté.

Même dans le cas de l’hérédité, dans le cas royal, cette liberté existe, en ce sens qu’il existe toujours une façon de s’échapper, et si on naît Roi, il faut passer par le Sacre pour se compléter, sacre qui fait office d’appel. Cela souligne d’ailleurs que cette liberté ne change pas la nature de la vérité : refuser un appel divin reste une erreur, et l’on se condamne à vivre dans l’erreur ou le mal, mais l’humanité est belle malgré ses vicissitudes car même quand elle marche dans l’erreur et se fonde dans le mal, elle peut toujours, librement, revenir dans le bien et la vérité, et cela est sublime, bien plus sublime que tout mal aussi affligeant qu’il puisse être. Si nous n’étions pas libres, tout le monde ferait le « bien », mais nous ne saurions alors ni humain, ni mortel, ni faible, quelque chose comme des anges peut-être.

Les élus n’ont pas à être fiers de l’être, et s’ils sont élus c’est justement parce qu’ils ont conscience de la gravité de la charge à laquelle ils sont appelés et de leur faiblesse inhérente à la nature humaine. L’insistance divine ici constitue comme l’injonction finale pour que soit fait en toute liberté ce choix nécessaire, tout en insufflant le courage et l’assurance de savoir que le haut nous fait confiance et nous aime bienveillamment, « Je crois en toi, aie foi en toi, car je t’aime ». Alors nous acceptons la charge et servons, et nous servons dans la meilleure des attitudes possible.

Finissons-en avec la poursuite diabolique du pouvoir pour revenir à une conception saine de la charge et du service, que la Royauté sacrée incarne naturellement, tout autant que chaque famille.

Paul de Beaulias

Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France

[1] Kazuho FUJIMAKI, La Foi bouddhique du Tennô(天皇の仏教信仰), Tôkyô, Gakken Edition, 2013

p.195 :« この時代、重要な地位の就くときは、いったんは断り、重ねて天皇から任命の要請を受けて引き受けるという慣例的な手続きがありました。職を賜るほうが「私はとてもその職がつとまる器ではございません」と謙遜辞退するのを受けて、「いやいやそなたしか適任者はいないのだ」と、天皇が三願の礼をもって迎えるという、一種のお定まりの芝居です。 »

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