Idées

Lettre d’un émigré. De la réaction à la conversion

A contempler les décombres occidentaux depuis une île lointaine on se prend, parfois, à se demander comment, oui vraiment comment, a-t-il été possible de tomber si bas. Le défi pour celui qui vit dans un autre cosmos que ses contemporains est de ne pas se confiner à la simple réfutation de ce qui est évidemment faux, même si, hélas, la tentation est forte, tellement cela est facile. Le mal est trop profond pour que cela ne puisse convaincre personne néanmoins. On s’expose à se faire le jeu du malin, car réfutation se trouve très vite englouti dans l’éristique, l’attaque et le rapport de force. Même avec des intentions pures, le risque d’attaquer la personne plutôt que le mensonge n’est jamais loin. Car en face, souvent inconsciemment, parfois consciemment, on poussera à la confrontation par tous les moyens qui restent dommageables à l’union et à la vérité. Trop de ces vérités se vivent plutôt qu’elles ne se comprennent, et si les mots peuvent aider à faire mûrir, ils ne peuvent jamais faire le travail qui ne peut être que réalisée dans l’intimité de l’âme, du cœur et de la chair de chacun de nous. A un certain point, si l’autre n’est pas ouvert à la vérité, toute discussion est inutile.

Faudrait-il se taire alors ? Certainement pas, il ne faut rien laisser passer, redresser, en douceur et avec tact, mais de façon intransigeante et sans concessions. Simplement, il faut sortir de la réfutation, trop proche de la réaction, qui est déjà, quelque part, une position de celui qui perd, qui cède. Notre génération a une chance dans notre malheur que nos aïeux résistants n’avaient pas : s’ils avaient vécu dans leur chair la tradition, et pouvait simplement réagir, en sachant pertinemment que l’écrasante majorité des gens savait bien où était la droiture, mais se laissait coupablement aller au vice, en disant diaboliquement qu’il était un bien, notre génération n’a connu au contraire que l’inversion des valeurs et ne connait plus dans sa chair le bon ancien temps. Et ceux qui le transmettent encore un peu savent bien que l’écrasante majorité croît en toute bonne foi que le mal est bon, que la jungle est un havre de paix, que la guerre c’est la paix, que la folie c’est la sainteté.

Il ne sert plus à rien de réagir, puisque une fois la chose niée il ne reste rien chez l’autre. Ce vide ne peut qu’accentuer l’affolement et la violence. Imaginez-vous, vous menez une vie de débauche en pensant que c’est bien, même si vous vous sentez, allez savoir pourquoi, profondément mal, d’une façon ou d’une autre. Nier que la débauche est bien, cela peut revenir, à l’extrême, à vous nier, même si c’est en fait une illusion de l’esprit ; mais l’esprit déboussolé à l’illusion tenace dans le meilleur des cas, et la violence féroce envers ses prochains etses lointains.

Que faire alors ? Inverser ce qui a été inversé pour revenir, non pas à la normale, mais dans le bon sens, la bonne direction, le bon chemin. Non plus réagir et rester sur la défensive, mais annoncer haut et fort la vérité, sans se préoccuper du mensonge environnant. L’incarner dans ses actes autant que dans ses paroles. Ainsi c’est l’autre qui devra venir sur notre terrain. C’est lui qui devra réfuter et donc sera obligé d’expérimenter des façons de penser qui lui sont étrangères. C’est le début de la conversion. Si nous incarnons nos actes, l’autre pourra au minimum, s’il ne s’est pas déjà perdu complétement, admettre l’existence de la vérité.

L’art est délicat et de longue haleine. Peut-être cela n’est plus possible dans trop de lieux en France, mais c’est la seule voie saine. Evidemment, si on est attaqué et en position de faiblesse, il faut se défendre et répliquer, mais le sujet est alors tout autre que celui de la conversion, qui suppose une relative paix générale. La guerre est un autre sujet, essentiel, mais autre.

Ne plus réagir mais convertir, par notre foi en la famille, en le Roi et en Dieu, voici le maître mot.

Paul de Beaulias

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