Editoriaux

La farce est une improvisation réglée comme… du papier à musique

Chers amis,

C’est de théâtre italien que j’aurais aimé vous parler aujourd’hui. De comedia del arte pour être plus précis. Ce genre théâtral puise sa source aux plus anciennes traditions de la farce populaire italienne. C’était, à l’origine, un théâtre de foires et de rues, dont les histoires étaient rédigées sous la forme d’une trame minimale, les acteurs improvisant pour le détail, à partir du caractère de leur personnage, archétype du genre, et dont la tradition orale leur avait transmis l’essentiel à connaître.

Ce théâtre populaire aurait pu se perdre s’il n’avait été codifié à la fin du dix-huitième siècle par le dramaturge Carlo Goldoni. Avec ce dernier, la comedia del arte acquit ses lettres de noblesse, jusqu’à devenir un genre dramaturgique parmi les autres, avec ses canons et ses pièces réglées comme du papier à musique.

Le spectacle navrant de la campagne électorale qui s’ouvre me rappelle un peu ce genre de théâtre. Non par sa bouffonnerie, car lorsqu’il s’agit de l’avenir de la France je n’ai plus trop envie de rire. Mais plutôt par son allure d’improvisation masquant une pratique parfaitement bien rodée par des professionnels de la politique blanchis sous le harnais.

Cela n’aura échappé à personne, pour la majorité de nos journalistes, le prochain président de la République, déjà élu dans leur cœur, est Alain Juppé. Pourquoi ? Parce qu’il est le plus acceptable des candidats de droite pour un monde médiatique très largement marqué à gauche et en même temps acquis à cette fatalité sondagière ; la gauche sera absente du second tour de la présidentielle quel que soit le cas de figure. Alors ils tentent de se faire faiseurs de rois, pour contrer l’irrésistible ascension de Marine Le Pen grappillant des points d’intentions de vote de mois en mois, tout en jouant le jeu de la discrétion absolue, convaincue sans doute qu’un mot de trop peut lui coûter tout ce fragile capital.

Mais si le tour est joué d’avance, pourquoi se donner la peine de primaires au sein de LR et du PS ? Pour plusieurs raisons qui montrent une fois encore que l’exercice du pouvoir ne doit pas grand-chose au hasard :

– D’une part, ces primaires permettent de faire rentrer les militants des partis et les électeurs dans la campagne en douceur, l’air de rien.

– D’autre part, c’est une manière d’occuper le temps médiatique au détriment des plus petites structures politiques, devenues inaudibles.

– C’est encore une manière de ne pas parler de questions de fond, ne s’occupant que de querelles de personnes, afin de masquer le flou de la pensée politique de nos maîtres et leur impéritie dans l’art du gouvernement.

– Enfin, c’est une étape nécessaire dans le partage des prébendes. En effet, vous l’aurez remarqué ; chacun des grands courants internes à LR possède un et un seul candidat. Il n’y a pas de doublon, mais il n’y a pas d’oubli non plus. Cela permet, dans le temps de cette campagne interne, de dégager des personnalités, de rassembler des réseaux d’élus et de militants et de mesurer ce qu’ils pèsent concrètement. C’est une façon, en somme, de se jauger au grand jour pour mieux ensuite se répartir, dans des négociations internes, les places éligibles et les maroquins ministériels, tant il est vrai que la vie politique des partis est avant tout une affaire de rapports de forces.

Voilà l’utilité bien calculée de ces primaires, où l’incertitude est devenue quasi inexistante ; Alain Juppé sera choisi par les militants, car il est considéré par les médias comme le plus apte à gagner, et c’est ce que veulent les adhérents de LR ; que leur camp reprenne le pouvoir.

Une seule inconnue demeure ; Nicolas Sarkozy sera-t-il vaincu de peu ou de beaucoup dans cette primaire, et dans un deuxième temps se rangera-t-il à l’avis de son parti ou fera-t-il cavalier seul, espérant répéter l’exploit de Chirac en 1995, devançant par une campagne marquée à droite un Balladur plus centriste donné vainqueur par la presse dès 1994 ? La politique reste l’art des surprises et des coups de force ; la comedia del arte, même après sa codification par Goldoni, a conservé ses scènes d’improvisation…

Pour ma part, tout ce spectacle de cuisine me navre, car j’ai de l’estime pour le talent de ces personnalités qui se gâchent en combats grotesques et au grand préjudice de notre pays. J’ai de l’affection pour les militants et les cadres dupes de ces tripatouillages. Je ris presque, mais jaune, de voir les socialistes emboîter le pas pour agir de même, avec un François Hollande poussant le vice jusqu’à publier un ouvrage rentre-dedans dont de nombreuses conclusions distillées par la presse sont au contraire de ce qu’il a fait pendant cinq ans. Mais plus c’est gros et mieux ça passe.

Seule figure se détachant de cette mêlée, Emmanuel Macron, un peu hâtivement vilipendé comme l’homme des banques, et qui, par sa hauteur de vue, se révèle comme la plus belle surprise de cette campagne. J’ai bon souvenir de sa participation aux fêtes johanniques en 2016, sa visite au Puy-du-Fou et sa rencontre avec Philippe de Villiers quelques mois plus tard et son reniement du socialisme, ainsi que ses propos sur le roi et la démocratie en 2015. Cet homme n’est pas exempt de défauts ; comme son tour de passe-passe proposant d’une main la suppression de l’ISF pour d’une autre avancer une augmentation des droits de succession pour les patrimoines les plus élevés l’a montré, mais il a une vision et sait dépasser les clivages partisans au nom de ce qu’il croit bon.

Ma seule crainte ? Qu’il fasse « pschiiit » car il n’est pas tout à fait du bon sérail. Or, la politique est de plus en plus devenue une affaire de familles…

Que pouvons-nous faire, nous, simples Français ? Conserver notre bon sens et agir à notre échelle pour que ne meurt pas la France. Soyons de bons parents, de bons enfants, de bons conjoints, des étudiants assidus, des travailleurs zélés, des observateurs patients et en toutes choses demandons-nous : suis-je en train de servir le bien-commun ? Ce que je fais me fait-il grandir et grandit-il les autres ? A ce prix, notre petite personne aura fait bouger les lignes. Ô ! de pas grand-chose sans doute, mais assez pour délivrer dans cette pièce bien réglée par nos oligarques, ce zeste d’imprévu qui permet de reprendre espoir !

Charles

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