Tribunes

Les sujets de sa majesté ont souhaité quitter l’Union européenne

Le référendum intervenu ce jeudi 23 juin a eu pour résultat un « non », d’une courte majorité, entraînant, à brève échéance, la sortie du Royaume-Uni hors de l’Union européenne.

Ce choix de la majorité des électeurs britanniques est l’aboutissement d’une logique de  désengagement progressif. Le Royaume-Uni avait déjà marqué ses distances avec le « chèque Thatcher » au début des années 1980, puis en ne signant pas le traité de Maastricht en 1992, et en n’intégrant pas l’espace Schengen en 1995.

En somme, les liens furent toujours faibles entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. C’est pourquoi une sortie sera relativement aisée, malgré les autres traités européens auxquels le Royaume-Uni a souscrit.

Quelles conséquences pour les relations entre le Royaume-Uni et le continent ?

Par ailleurs, cette sortie ne modifiera pas en profondeur les relations entre les Etats du continent et le Royaume-Uni. En effet, ceux-ci sont étroitement liés entre eux par des accords bilatéraux, économiques ou de défense, distincts de la construction européenne.

En outre, les zones d’échanges privilégiées entre le Royaume-Uni et l’Europe sont indépendantes de l’Union européenne, comme des Etats nationaux. L’arc atlantique, du Cap nord à la Galice est un espace géo-économique cohérent dont les routes sont balisées depuis l’Antiquité.

Il y a fort à parier qu’après une période de turbulences financières de quelques mois, les échanges reviendront à la normale ; notamment parce que l’attractivité de la City est liée à un système fiscal et social libéral propre au Royaume-Uni et indépendant de l’Union européenne. Enfin, les Etats du continent ont trop besoin du Royaume-Uni, comme lui de nous.

Si la crise ouverte aujourd’hui venait à se poursuivre, le « Brexit » ne devrait en être vu que comme le détonateur, les causes profondes étant liées à d’autres maux économiques (dettes publiques, étatisme, obsolescence de la protection sociale, etc.) ou politiques (émergence russe, crise migratoire, etc.)

Ce que le « Brexit » ne règle pas au Royaume-Uni

Les principales causes du « Brexit » sont liées à des maux purement britanniques. Les comtés les plus eurosceptiques sont les pays ouvriers et agricoles appauvris depuis l’après-guerre et bouleversés par les réformes salutaires mais violentes et inachevées de Lady Thatcher. Le paupérisme britannique est le contre-coup d’une politique libérale voulue par le gouvernement de sa majesté, qu’il soit labour ou tory.

La crise migratoire est également liée à la politique du gouvernement resté maître de ses frontières.

L’islamisation qui en découle n’a rien à voir avec l’Union européenne.

De même, la déchristianisation de la société britannique est indépendante de l’Union européenne. Le risque de ce phénomène serait le désétablissement de l’Église d’Angleterre, ce qui mettrait en danger la couronne et la communion anglicane, soit la clef de voûte du Commonwealth.

De même, le lien privilégié du Royaume-Uni avec les Etats-Unis et la dépendance de l’armée de sa majesté au soutien logistique de l’OTAN est un problème extérieur à l’Union européenne.

Ce que le « Brexit » révèle sur la démocratie au Royaume-Uni

Par ailleurs, le « Brexit » remet en cause le système démocratique lui-même, car il révèle des fractures et des impasses :

– Fractures dues au système électoral britannique qui permet à un parti minoritaire en voix de gouverner contre l’avis de la majorité du peuple, parce qu’il est arrivé premier devant l’émiettement de ses adversaires (représentant eux la majorité, dispersée, des électeurs). Mais ce système donne aussi au Royaume-Uni sa grande stabilité politique. La question est de savoir si l’on veut privilégier la démocratie représentative ou le bon gouvernement.

– Impasses liées au fait que le Royaume-Uni est un Etat fait de plusieurs nations, unies par un roi, une aristocratie et une église.

Le roi a perdu son pouvoir, l’aristocratie s’en est largement retiré, l’église est moribonde. Il ne reste plus alors que les nations, émettant des souhaits différents sur une question unique, dans un Etat unique partiellement vidé de sa substance.

Le principe démocratique est cohérent avec les nations, pas avec les Etats multinationaux pour lesquels il faut d’autres modes de gouvernement ; mixtes.

Le vote démocratique du 23 juin s’impose à toutes les nations du royaume. Mais c’est en quelque sorte le poids du nombre, le choix anglais imposé aux Ecossais et aux Irlandais ; le détournement vicieux des actes d’union de 1707 et 1801.

Ce vote pourrait dès lors avoir pour conséquence le creusement plus profond du fossé entre les nations du royaume.

Le régime mixte du Royaume-Uni, à savoir monarchique, aristocratique et parlementaire est une fois de plus bouleversé par sa conversion au démocratisme individualiste. Quelles en seront les conséquences ? Dieu seul le sait.

Les conséquences du « Brexit » pour le continent

Il est fort probable, malgré l’ébranlement causé par le départ britannique à brève échéance, que la structure de l’Union européenne n’en sera pas profondément bouleversée. Plusieurs partis réclament un référendum, encore faut-il qu’ils parviennent au pouvoir, ensuite faudra-t-il qu’ils tiennent leur promesse.

La structure de l’Union européenne va continuer, donc, dans l’immédiat.

Les seuls risques, à plus long terme, sont une sortie de quelques pays d’Europe centrale, bouleversées dans leur identité par les injonctions de l’Union européenne. Mais pour l’heure ils bénéficient trop des aides financières de l’Union européenne pour partir. En outre, leur vrai problème est interne, celui de peuples en voie lente d’extinction faute d’enfants en nombre suffisant.

L’autre risque est une sortie de l’Allemagne, lassée de payer pour tous les autres. Mais elle aussi retire de trop grands intérêts de l’Union européenne pour l’heure. Le temps viendra, lorsque la Mittel Europa pourra lui servir d’arrière cours sans aides de l’Union européenne.

Ce qu’il faut se rappeler sur la construction européenne

L’Union européenne est accusée par ses détracteurs d’être une structure dictatoriale, détachée des peuples et libérale. Certainement ! Mais il ne faut pas se tromper d’accusations.

L’Union européenne est née de traités signés librement par les gouvernements d’Etats souverains. La longueur de ces traités s’explique par l’âpreté des négociations entre Etats, chacun cherchant son intérêt national.

La diplomatie n’a jamais été le lieu de la démocratie, mais de l’expression des souverains.

Les structures de l’Union européenne sont animées par les Etats.

Le conseil des ministres est composé des membres des gouvernements des pays. Les commissaires de la commission sont choisis par les représentants des Etats, tout comme les juges de la cour de justice de l’Union européenne. Les membres du parlement, enfin, sont issus des partis nationaux.

Des Etats à l’Union européenne ce sont les mêmes hommes, les mêmes partis.

Les directives de l’Union européenne font l’objet de négociations permanentes entre Etats, et l’impression réelle d’autoritarisme provient du décalage entre les processus démocratique et diplomatique ne correspondant pas aux mêmes rouages.

Que cette construction soit inadaptée est aussi certain que le fait que nous en tirions de substantiels bénéfices. Mais pour inadaptée qu’elle soit, ses responsables ne sont pas à Bruxelles, mais à Paris, Berlin ou Rome.

Le bien et le mal qui nous arrivent par l’Union européenne sont consentis et organisés par nos gouvernements.

La folie administrative bruxelloise est rendue possible par eux.

Les limites d’une sortie de la France

La question a été posée d’une sortie de la France de l’Union européenne. Pourquoi pas ? Mais tout comme pour le Royaume-Uni, cela ne règlera pas nos vrais maux, internes.

En outre, notre Etat tire de solides apports de la planche à billets de la BCE et serait déstabilisé par un retrait. Or, notre société a été trop consciencieusement affaiblie depuis plus de deux siècles pour supporter une défaillance, même temporaire, de notre Etat.

La dislocation des familles, la disparition des aristocraties, la fragilité des ordres professionnels et des syndicats, le déracinement des peuples et leur acculturation, la décadence de l’Église dans ses structures nous ont rendus étroitement dépendants de l’étatisme.

Si nous voulons sortir, il faut avant tout rebâtir, et si une telle œuvre peut aboutir, elle n’en sera pas moins le travail d’une génération, voire deux ; sous condition que les corps sociaux soient conscients de la direction à prendre et que les cadres politiques retrouvent le courage d’action qui leur fait défaut.

En somme les nuages continuent de s’amonceler et l’orage n’a pas les causes qu’on lui prête.

Gabriel Privat

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