Ipse dixit

La peur, voilà l’identité française (…) Ce sera le temps du réel pur, le temps où les hommes se tueront à l’abri des lois

Le terrorisme n’était qu’un détail, un symptôme du pire. Le chaos l’avait réduit à rien. Sans écrans, le réel avait ramené l’homme à sa prison humaine. Être armé, voilà tout ce qui comptait. Nul ne pouvait se prévaloir d’une quelconque autorité, s’il ne l’était pas.

C’était le règne de la peur. La peur, voilà l’identité française, la peur qui parlait à l’oreille des hommes, qui gouvernait à leur folie. Tout était jusque-là si stable… Tout paraissait si durable, acquis, éternel…

Et tout s’était effondré. Et il n’en restait rien. Il ne restait plus que la peur.

C’est elle qui façonnerait le nouvel âge.

Et nul ne savait ce qu’elle était en train de créer.

Dans les villages, les groupes électrogènes se négocieront à prix d’or. Plus personne ne voudra d’argent. On échangera de l’essence, des poêles à bois et des armes. On incendiera les ressources des autres, les stocks, les forêts. On lynchera les accapareurs. On creusera des tranchées. On cessera de voir en l’homme son frère.

Chaque rencontre mettra en jeu notre vie. Le monde se réduira à notre champ de vision. Les rumeurs serviront de preuves, et la peur tiendra lieu de raison. Bientôt on sera prêt à mourir pour des panneaux solaires, de l’eau de source et un stock de foin. Bientôt, on comprendra ce qu’avoir faim et froid voudront dire. Bientôt terres, récoltes et cheptels seront à jamais perdus. Les eaux seront partout contaminées et il se répandra des épidémies que nul ne pourra soigner. Bientôt, on mourra d’infection, on mourra en couche, ou mourra de tout. Bientôt on ne sera plus immunisé par la médecine.

Des affrontements sanglants fixeront les nouvelles lignes, les nouvelles valeurs, les nouvelles baronnies. On défendra ses terres, son cheptel, ses réserves, aussi férocement qu’au Moyen-Âge. On tirera à vue sur les transhumants, les innombrables réfugiés des villes ayant entamé leur grande marche à travers le pays. Exode gigantesque et meurtrier, armée de zombies qui, poussée par la faim, ne craindra plus les balles.

On se mettra à comprendre enfin le vrai prix des choses. De l’eau, du pain, des siens. (…)

Ce sera le temps du réel pur, le temps où les hommes se tueront à l’abri des lois.

Laurent Obertone, Guerilla, 2015

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.