Societé

Lettre d’un émigré – L’extinction du moi et le dévouement royal

L’orgueil, la démesure et l’égoïsme sont la nouvelle trinité moderne, qui ronge toute humanité et dissout les liens. Si on considère les liens naturels comme une fibre naturelle, par exemple du coton, de la laine, ou n’importe quelle autre fibre, qui a en elle-même ses caractéristiques et ses particularités, les liens sociaux tissés à partir de ces fibres naturelles donnent une infinité de beaux tissus et vêtements. Le lien familial serait ainsi peut-être fait de fibres arachnides, celles qui sont les plus solides au monde naturellement, et le travail humain dans le sein divin, en feraient des vêtements magnifiquement solides et purs, où l’on pourrait ajouter de nombreuses couleurs et d’autres fibres pour la rendre plus solide encore. Une société saine et forte seraient, dans cette logique, comme une subtile alchimie de nombreuses fibres et couleurs harmonieusement tissés ensembles, et dont la vision globale ne pourrait qu’émerveiller ceux qui l’observe – certains hommes, mais surtout pour le plaisir de nos ancêtres, des anges et de Dieu.

Une société moderne, à l’inverse, passe son temps d’abord à détricoter tous les tissus existants, en général plutôt à arracher, car nombres des tissus sociaux ne sont pas simplement tissés par la maille de tricot, et sont bien plus solidement attachés, il faut donc arracher, brûles, délaver, distendre par des lavages de cerveaux réguliers pour parvenir enfin à tout séparer, trancher, isoler, dissoudre dans les principes corrosifs, acides et destructeurs modernes et révolutionnaires. Presque tout, si ce n’est tous, les tissus du monde humain sont attaqués, à commencer par le tissu qui était connu pour être le plus solide, le plus imprenable, l’Église universelle. Cette attaque malheureuse n’est pas si étonnante lorsqu’on pense que l’Église, corps mystique de Jésus-Christ, était autrefois habillé d’une belle et grande armure, la royauté française, ainsi que d’autres monarchies et d’autres pouvoirs, d’une côte de mailles impénétrables, les corporations, les corps intermédiaires, les paroisses. Tous ces vêtements disparus ou presque, pulvérisés au cours des siècles, à commencer par la grande déchirure des protestants, laissent le corps mystique nu. Encore cependant ce corps mystique avait une sorte de vernis divin aussi dur que le diamant qui empêchait d’atteindre plus loin que la superficielle peau : une longue Tradition, une messe sacré et des Sacrements. Mais des virus intérieurs affaiblissent et attaquent cet enduit divin sacré, dont l’introduction fut facilitée par la nudité du corps, qui attrape ainsi froid, et s’affaiblit face aux attaques incessantes, sans la protection coutumière et le soutien actif du temporel.

La société moderne présente alors un visage terrible, déchirée, en lambeaux. L’assoiffé diabolique révolutionnaire, qui n’a plus grand-chose à déchirer cherche ensuite à déchirer les fibres naturelles elle-même, ou plutôt à les rendre incapable de se renouer les unes aux autres encore : comme si le moderniste voulait empêcher le magnétisme du positif et du négatif en faisant croire à un électron qu’il est neutre et un proton qu’il est un neutron. La nature ne change pas néanmoins, mais l’homme perdue et trompé peut travailler contre sa propre nature, pour son pire malheur, et c’est tragique, et triste.

Pour renouer dans tous les sens du terme, avec la tradition, les ancêtres, Dieu, la Terre et les hommes, il faut se débarrasser des principes corrosifs et destructeurs, qui se trouvent non pas être des personnes, mais qui se trouvent en chacun de nous. Les hommes ne sont ni jamais complètement noirs ou blancs. Certains se complaisent certes dans le pire, mais c’est souvent parce qu’ils ne veulent plus jamais se remettre en cause, car ce serait trop dur ; seule la mort finale, leur mort finale, peut les réveiller. S’ils s’étaient convertis avant les pauvres victimes qu’ils persécutent, ils auraient arrêtés leur persécution et se seraient sauvés. Mais c’est la même chose chez les meilleurs, chez les justes, les agents corrosifs que sont l’égoïsme, la démesure et l’orgueil sont aussi là, et il est un travail constant et de tout temps de les réduire à l’impuissance, à néant et de les réduire à la portion congrue en cultivant obéissance, dévouement, service et humilité.

Cette extinction du « moi » au sens diabolique, privé, égoïste, permet de lever le voile qui pèse sur notre âme et nous déboucher nos oreilles métaphysiques pour se mettre à l’écoute de Dieu, et donc aussi à l’écoute des autres et de la terre, puisque le divin habite tout la Création. En un mot, ce retrait de soi, ce détachement par le lien constitue un retour à la source, et nous permet de vivre dans la Foi, que l’on pourrait aussi appeler Voie, pour souligner son aspect dynamique et non statique. La Royauté est le vecteur divin temporel, incarné et réel pour aider à vivre dans notre source :

« Le cœur pur et clair est un cœur où toute trace d’égoïsme et d’égotisme s’est  retiré, qui vit à la source dans la Voie. C’est en d’autres termes un cœur qui vit dans cette Voie ouverte depuis la fondation de notre royaume dans l’union du monarque et des sujets. Ici se retirent toutes les souillures d’un cœur empli d’intérêt personnel pour laisser naître clarté et droiture. La force spirituelle qui, en noyant l’ego, permet de vivre à la source, se manifeste finalement dans l’esprit du service loyal et de la vaillance juste, et dans la résolution de s’offrir au pays au mépris de son corps. A cela s’oppose le cœur hanté par l’ego qui ne sait que calculer pour son propre bien, et qui est considéré depuis toujours dans notre pays comme un cœur noir, que l’on appelle un cœur souillé. Nous nous sommes toujours efforcés de purifier ces souillures et de les exclure, depuis toujours. La purification dans notre pays est composée des cérémonies, afin de purifier un cœur souillé, et de revenir à l’âme originelle franche, claire et pure. »[1]

Nous avons aussi chez nous, en Occident, une purification de ce cœur souillé, la confession, mieux encore qu’une cérémonie, puisqu’elle est le sacrement de pénitence, qui permet de nous racheter par la pénitence et retrouver un état de grâce – puisque Jésus-Christ, dans le baptême, nous réintègre dans un état ante-pêché mortel, sans l’effacer, mais en le rachetant par son sacrifice, et toujours renouvelé dans la messe, pour nous permettre de vivre une nouvelle fois dans la source divine, fontaine de jouvence éternelle.

La Royauté, ceci dit, est une nécessité pour toute société humaine en tant que tissu divin, car le Roi, lieutenant de Dieu sur terre, incarne le lien par excellence, le lien vertical vers le Ciel et les origines, vers la source, et ainsi le lien dans la société, avec la terre, avec les hommes, dans la famille et tous les corps dont celui mystique du Jésus-Christ.

Seul un tissu solide, fort et dévoué est enfin capable d’assimiler – rien à voir avec la stupide assimilation républicaine, qui construit des pseudo-identités qui n’existent que dans l’imagination tordue, ou, si elles ont des parcelles adossées à la réalité, réduisent la réalité, la forcent et la violentent toujours – facilement et naturellement des petites parties qui, dans ce même esprit d’union et d’harmonie, peuvent à ce moment seulement enrichir le tissu sans casser ni son équilibre ni son harmonie.

Regardons dans les confins de l’Orient comment cet esprit d’extinction du moi et l’oubli de l’ego permet l’apparition du moi authentique vivant à la source divine dans la Voie royale qui se concrétise par un dévouement royal, sans fermeture mais au contraire sûr et droit dans ses bottes, pouvant tout affronter et savoir prendre ou rejeter le bon ou le mal grâce à une intransigeance et une limpidité claire et pure :

« Le caractère de notre peuple se manifeste avec force à la fois par l’esprit d’oubli de l’ego et de ses intérêts privés, que par les effets de l’esprit d’union et d’assimilation. Ainsi, lorsque nous avons importé la culture continentale au Japon, nous avons utilisé les textes classiques chinois et introduit cette pensée sans oublier la vacuité de l’ego, et nous avons en fait assimilé et uni cette pensée à notre esprit primordial. Et malgré cette importation d’une culture étrangère et différente, nous en avons tiré et fait naître des éléments originaux et spécifiques à notre pays. C’est ça la force extraordinaire et spécifique de notre culture. C’est tout à fait la même chose qui se passe avec l’assimilation de la culture occidentale contemporaine.

            L’esprit d’oubli de l’ego pour l’union et l’harmonie n’est pas, en réalité, une simple négation du soi. Il consiste dans la négation du petit soi (mesquin), par laquelle il devient possible de vivre dans le grand soi authentique. L’individu originel n’a jamais été une existence indépendante du pays-maison (Maison du royaume)[2], l’individu au contraire, en tant que partie du pays-maison (Maison du royaume), reçoit en partage sa société. Et comme justement il est une partie, il se ramène finalement au pays-maison (Maison du royaume). Cette nature des choses fait ainsi naître le cœur d’oubli de l’ego. Et ainsi, dans ce même temps, il estime cette spécificité parce que justement il est une partie, et dans cette spécificité assumée il se dévoue au pays-maison (Maison du royaume). Cette nature spécifique de dévotion s’unit à l’esprit d’oubli de l’ego, alliance qui fait naître le pouvoir d’assimiler l’autre. Il faut bien comprendre qu’à la différence de ce qui peut se passer à l’étranger où on oppose individu et nation, l’oubli de l’ego, le dévouement et le sacrifice de soi ne sont pas des négations de l’individu face au pays-maison (Maison du royaume). De la même façon, l’assimilation et l’union ne ravit pas les spécificités de cette autre, ni ne fait perdre sa personnalité. Il faut le comprendre comme l’abandon des défauts pour développer les vertus, et d’user de ses caractères propres et uniques en tant que tel, ce qui permet de faire prospérer le moi. On peut découvrir ici à la fois toute la force de notre pays, et toute la profondeur et la largesse de notre culture et de notre pensée. »[3]

Ces mots pourraient être les nôtres, devraient l’être, nous Français, c’est-à-dire sujets du Roi de France, c’est-à-dire membres de la grande Maison de France, tout simplement, tout naturellement, sans complications, complications qui ne viennent que de la folie humaine qui préfère parfois, pour son malheur, ignorer Dieu et la nature pour ses lubies personnelles.

Le corps mystique ne peut pas se passer de la moindre de ses parties. Le Royaume, corps royal, ne peut se passer d’aucunes de ses parties, même de ses brebis galeuses et de ses agents cancéreux, qui n’ont qu’à retrouver le bon esprit et se convertir.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France,

Paul de Beaulias



[1]Le Vraisens du Kokutai, II, 3.

[2] La traduction classique est État, mais la signification littérale qui résonne – résonnait?- aux cœurs des Japonais est bien la Maison du Royaume, sous-entendu la Maison du Japon, comme la Maison de France, incluant avant tout évidemment la famille royale, mais par extension tous les sujets, qui font partie de la Maison du Royaume ; la seule définition de l’état légitime et sain, car incarnée, humaine mais toujours au sein du divin, dirigé par le divin.

[3]Ibid, II, 3.

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