Littérature / Cinéma

Jean-Bernard Cahours d’Aspry, Diaghilev

« Je suis, premièrement, un charlatan, encore qu’assez brillant. Deuxièmement, un grand charmeur. Troisièmement, je n’ai peur de personne. Quatrièmement, je suis un homme doué d’une grande logique, et de fort peu de scrupules. Cinquièmement, il semble que je n’ai aucun talent véritable. Je crois néanmoins avoir trouvé ma vraie vocation : celle de Mécène. J’ai tout ce qu’il faut sauf l’argent… Mais ça viendra. »

            Lettre de Diaghilev, en 1895, âgé de vingt-trois ans, adressée à sa belle-mère.

Jusqu’à présent, nous vous avons toujours fait part de lectures matérielles, choisissant des ouvrages imprimés sur papier. Aujourd’hui, nous innovons quelque peu en vous présentant une œuvre inédite qui, à cette heure, n’existe que sous forme numérique. Ce support n’est pas encore très prisé en France où son chiffre d’affaire représente peu ou prou 1 % du marché du livre, contre 20 % en Amérique du Nord… Quoi qu’il en soit, le fait est : cela reste une façon de lire, et l’on y trouve de très bonnes choses.

Cette semaine, la petite maison d’édition numérique Lettropolis a attiré notre attention pour avoir publié un très érudit et fort documenté Diaghilev, écrit par M. Jean-Bernard Cahours d’Aspry.

Cette œuvre[1], qui mériterait de figurer – entre autres – sur les rayonnages de toute  bibliothèque universitaire, nous présente sous de nombreux aspects ce personnage passionnant : Serge Pavlovitch de Diaghilev (1872-1929), ce « pont entre la Russie et la France ». Son nom dira sans doute beaucoup aux amateurs de belle musique, mais peu aux jeunes générations. Disons qu’il est un mécène et un commanditaire, à qui l’on doit l’introduction en France des plus belles réussites de la musique et de la danse russes – ce qui ne l’empêcha pas de compter parmi ses collaborateurs des compositeurs aux nationalités diverses[2]. Mais comme tout individu génial, il est beaucoup plus qu’un mécène, et il est très difficile d’enfermer Serge Pavlovitch dans de telles cases, exprimant davantage une fonction qu’une personnalité.

Écrire la vie d’un homme, c’est essayer de tout savoir, et de tout faire connaître. Les détails ne sont pas épargnés, et le lecteur ne sera pas étonné d’être mis au fait des mœurs inverties du mécène russe, vice d’ailleurs rapidement évoqué par le biographe, sans complaisance. Cela dévoile une personnalité compliquée et troublée, traumatisée par des frasques trop précoces avec une cousine de Perm (avec maladie vénérienne en prime…). Mais ces pages n’ont que peu d’importance comparées au cœur du récit : cette histoire de Diaghilev n’est pas que l’histoire d’une vie, mais aussi une histoire de la musique (et donc de la danse) au début du XXe siècle. Le lecteur y apprendra beaucoup de choses, et il pourra se servir de cet ouvrage comme d’un dictionnaire (bien au-delà des Saisons russes ou des Ballets russes), s’il désire avoir un bon résumé de tel ou tel opera, de tel ou tel ballet, de tel ou tel danseur, de tel ou tel chorégraphe, de tel ou tel compositeur de l’époque. Il faut dire que Diaghilev s’est impliqué dans de très nombreuses représentations : cela fait autant de titres, d’entrées.

Entrons dans le vif du sujet. Les succès remportés par Diaghilev, et notamment par ses Ballets russes, reposent sur un ensemble de facteurs décisifs : « Traditionaliste par culture et par goût, il ne cessait pourtant pas d’être un novateur, et tous les ballets qu’il créait, y compris les plus romantiques, paraissaient empreints d’une grande modernité. L’impression de changement qu’ils procuraient, provenait des éléments nouveaux, parfois hardis, qu’il y introduisait. » Ainsi, la conquête de Paris a été des plus rapides. Le fidèle lecteur de Vexilla Galliae sera en outre charmé par de petites anecdotes historiques qu’il conviendra de remettre au goût du jour lors de nos prochaines sorties entre amis : « Tchaïkovsky […] signait ses lettres allemandes “Peter von Tchaïkovsky”, avait un passeport français au nom de “Pierre de Tchaïkovsky” et tenait à ce qu’on lui donnât ce nom lorsqu’il vivait à l’étranger : “N’oubliez pas la particule, écrivait-il avec humour à ses amis : elle est là pour garantir ma dignité aristocratique”.

Et nous vous laissons découvrir par vous-même la suite… Nous avons, pour notre part, fait une ribambelle de découvertes, dans un domaine où nous étions néophyte !

Jean de Fréville

[1]    CAHOURS d’ASPRY (Jean-Bernard), Diaghilev, Épineuil-le-Fleuriel, Lettropolis, 7,95 €.

[2]    L’élément français l’inspirait énormément. Il ne faut pas oublier, non plus, l’importance de Florence ou de Venise. 

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