Littérature / Cinéma

Avec Freddy Mouchard, « Compostelle, le chemin de la vie »

Saint Jacques* aurait indiqué à Charlemagne la direction précise du chemin… Si « l’homme qui chemine va plus vite avec la tête qu’avec les pieds » comme l’énonçait Léonard de Vinci dans ses notes, c’est que la marche est bien un lieu de pensée.

Les films sur Saint-Jacques de Compostelle, un haut lieu de pèlerinage qui connaît de plus en plus de succès, compte tenu de la nécessité absolue de se ressourcer, de lâcher prise, ne manquent pas, les livres non plus. Chaque film reçoit l’empreinte plus ou moins forte de son réalisateur. Et pour cette version documentaire, le réalisateur Freddy Mouchard** a choisi l’intériorité, la recherche de soi, de ce que l’on est vraiment, sans le savoir avant d’entreprendre un voyage dépossédé de temps, mais enrichi d’images fortes et de sons qui traversent le cœur. Pas question de marionnette dont un  inconnu tirerait les ficelles, qui sont nos habitudes, mais un être authentique, qui ne parviendra pourtant jamais à se séparer de son ombre. Ladite marionnette, si présente dans ce documentaire, est absolument renversante d’émotions et de chuchotements. On l’aime tout de suite comme ce Pinocchio qui a fait partie de notre enfance, le bois qui devient chair et le nez qui s’allonge quand sortent les mensonges.

Il aura fallu 3 ans à Freddy Mouchard pour réaliser lui-même son pèlerinage. Il a connu toutes les épreuves que connaissent les grands randonneurs, pourtant très entraînés, la souffrance physique, le doute, les interrogations, le partage de nuit dans des gîtes où rien ne parfait et où il faut une très grande tolérance pour accepter les ronfleurs, les râleurs, les voleurs (mais oui, un pèlerinage n’est pas exempt de tentations pour tout le monde), la promiscuité tout court et si on ne la supporte pas, l’hôtel reste la solution. Ce qui surprend le plus dans ce très beau film, c’est l’humilité, la sagesse et le savoir de ce réalisateur qui le conduisent pour nous donner envie, non pas de quitter cette société, mais de nous interroger sur l’essentiel de la vie et nous poser la question de savoir si ça vaut la peine de continuer sur ce chemin.

Plus que tout dans ce film, ce sont vraiment les prises de vue qui nous interpellent, envahissent notre esprit. La nature est magnifique, les forêts d’une merveilleuse attirance et les animaux rencontrés, dont un escargot particulièrement symbolique, tellement présents qu’on a envie de faire leur connaissance. Freddy Mouchard a choisi de nous faire entendre des voix, des conversations, des dialogues, sans jamais nous montrer leur visage. Ces pèlerins ne sont intéressants que dans leur marche vers la prochaine étape et ils font partie d’un tout, avant de redevenir, au terme du voyage au cap Finistère, des hommes, qui vont brûler leurs vêtements pour endosser ceux d’hommes nouveaux.

Les symboles ne manquent pas tout au long de ce film, semés comme les petits cailloux du Petit Poucet : le jeu de l’oie, la marelle, des cubes. Ce film, d’une belle élévation spirituelle, donne bien des indices pour réussir sa vie, comme le très beau poème de Kipling (« Tu seras un homme mon fils »), une citation d’Arthur Rimbaud, et tellement d’autres éléments comme l’eau, l’air, la terre, le feu. Saint-Georges terrassant le dragon est le signe que l’épreuve est terminée, et enfin ce labyrinthe jaillissant sur le sol de la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle, nous rappelle la symbolique de la roue, des cycles de vie. Le foisonnement de pensées jaillit imperturbablement à chaque instant. Au spectateur de saisir ce qu’il peut. 

Si j’ai retrouvé dans ce très beau documentaire mon trajet personnel*** (il y a 30 ans), je dois reconnaître que je n’avais pas eu le courage (le temps et la santé) de cette marche à pieds tout au long des routes par toutes les saisons, mais que le bus m’a permis à 75% des trajets inoubliables. Ce film retrace avec infiniment de sincérité ce que l’on vit là-bas. Avant de s’engager dans une telle démarche, il faut savoir qu’on ne revient pas tel qu’on est parti… Documentaire sur Saint-Jacques de Compostelle à voir impérativement pour la qualité des images et des enchaînements, les réflexions si empreintes de sagesse de Freddy Mouchard, pèlerinage douloureux à double titre à ne faire éventuellement qu’après une très très longue réflexion…

Solange Strimon

*La Via Podiensis, dès le Xe siècle, a vu passer des foules tout au long de ses 1600 km, en direction de l’Espagne. La Route du Puy, aujourd’hui rebaptisée «GR 65», se termine sur la tombe de saint Jacques. L’identité de Jacques de Compostelle est loin d’être historique, entre récit biblique, légende populaire et motivation politique.

**Freddy Mouchard effectue une tournée dans toute la France pour parler de son film, c’est ainsi que nous avons pu discuter avec lui, regrettant un peu qu’il n’ait jamais parlé de Dieu, mais pour lui, le sacré dans les cathédrales, le silence, la marche, la nature et la beauté, correspondent à des prières avec  Lui.

***selon Bernard Gicquel, professeur honoraire, faculté du Maine : «Les pèlerins qui reviennent de Compostelle rapportent des coquilles, Les pèlerins les fixent au retour du tombeau de saint Jacques à leurs capes en l’honneur de l’apôtre comme en son souvenir et les rapportent avec grande joie chez eux en signe de leur long périple. Les deux valves du coquillage représentent les deux préceptes de l’amour du prochain auxquels celui qui les porte doit conforter sa vie, à savoir aimer Dieu plus que tout et son prochain comme soi-même? Les valves qui sont disposées à la façon des doigts désignent les bonnes œuvres dans lesquelles celui qui les porte doit persévérer. Ainsi, de même que le pèlerin porte la coquille tant qu’il est sur le chemin de l’apôtre, de même il doit se soumettre aux commandements du Seigneur».

NB : j’ai dû mettre une bonne année avant de me remettre de ce pèlerinage (avec des religieux) et j’ai gardé ma canne, sa coquille et mon carnet bien tamponné aux étapes, précieuses « reliques » d’un autre temps.

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