Social et économie

Ces signaux faibles qui préfigurent l’ordre de demain

Entendre les signaux faibles, les comprendre, en faire la synthèse créative et voilà que l’ordre de demain s’esquisse…

Notre temps, dirigé par la quantité au détriment de la qualité, arrive petit à petit à ses limites. Je vous conseille à ce propos la lecture du remarquable ouvrage de René Guénon « La Crise du monde moderne »[1] qui bien qu’écrit en 1927 est d’une actualité troublante. Le retour en grâce de cet auteur atypique fait partie des signaux faibles que nous devons écouter.

Si la parole de René Guénon a pris tant de temps pour nous être audible, gageons qu’il n’en sera pas de même pour les débats qui se déroulent discrètement un peu partout en Europe (Finlande, Suisse, Islande, Grèce, France…) et qui commencent à sortir dans les média (sans pour autant être à la une). Je tends l’oreille et j’en entends quatre :

Le revenu universel

Le renouveau de l’idée du revenu universel (ou revenu de base) initié par les Finlandais est une réponse à des problèmes bien réels : Qu’il s’agisse de la mondialisation, de l’automatisation ou d’autres tendances comme celle des auto-entrepreneurs (l’ « uberisation » du travail), la peur du travail précaire ou du travail tout simplement inexistant, est réelle.

Le principe est simple : toute personne majeure reçoit à vie et sans condition une somme (entre 600 et 800 €) versée par l’Etat se substituant à toute autre forme de transfert social.

Quatre buts visés :

  • Lutter contre la pauvreté ;
  • le revenu de base, grâce au « matelas de sécurité » qu’il représente, pourrait favoriser le travail partiel et temporaire ou la formation voire la reprise d’études ;
  • encourager ceux qui, jusqu’ici touchaient des allocations chômage supérieures aux 800 euros mensuels à trouver rapidement un emploi ;
  • simplifier le système des allocations sociales en réduisant à néant tout un pan de la bureaucratie et toute l’industrie souterraine de fraudes en tout genre.

Pour être viable, le coût de cette mesure doit être inférieur aux prestations sociales qu’elle remplace, sans compter les retombées attendues, (réduction du taux de chômage et baisses des dépenses administratives).

Selon les sondages, 69 % des Finlandais, qui sont les plus avancés sur ce sujet, sont favorables à cette mesure.

La Suisse réfléchit aussi au revenu de base et voilà que la France s’y met[2]

Ainsi donc demain, travailler pourrait être un choix : soit vivre (dans une pauvreté « à peu près » décente) avec le seul revenu de base, soit travailler pour gagner plus !

Le monopole de l’émission de monnaie

Cette fois se sont les suisses qui sont à la pointe de la réflexion.

Jeudi 24 décembre la chancellerie fédérale helvétique a enregistré officiellement l’initiative populaire « monnaie pleine » qui vise à donner à la Banque nationale suisse (BNS) le monopole absolu de la création monétaire[3].

Cette initiative a recueilli 111.824 signatures soit davantage que les 100.000 nécessaires pour provoquer une votation, autrement dit un référendum.

Pour ses promoteurs, la constitution helvétique est aujourd’hui inadaptée. Cette dernière reconnaît dans son article 99-1à la « Confédération » seule le droit de battre monnaie et donne dans son article 99-2 à la Banque Nationale Suisse (BNS) reconnue « indépendante », le droit de mener « une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays. »

Concrètement, ceci donne de fait à la BNS le monopole de l’émission des pièces et billets, les seules formes monétaires qu’elle maîtrise. Mais elle ne maîtrise pas l’essentiel de la monnaie créée qui est de la monnaie « scripturale », faisant l’objet d’un jeu d’écriture et non d’échanges physiques. Cette monnaie est, pour l’essentiel, créée par les banques lors de l’attribution de crédits à l’économie physique ou à d’autres banques.

Ainsi ce referendum vise à rendre à l’Etat au travers de la BNS une part hautement symbolique de sa souveraineté en lui rendant pleinement la maitrise de la création monétaire.

Dans le nouveau cadre du referendum, la monnaie créée par la BNS serait dans un premier temps transférée dans les caisses publiques de la Confédération et des Cantons tout en gardant son libre arbitre afin de ne pas encourager les déficits budgétaires, et préserver l’intérêt général.

Dans un second temps, l’argent créé pourrait être aussi versé aux ménages ce qui curieusement nous ramène à la notion de revenu de base…

Enfin, dernier mode d’alimentation de l’économie en monnaie de la banque centrale : les banques elles-mêmes. Mais cette fois les banques ne pourront prêter que l’argent qu’elles auront auparavant emprunté à la BNS.

Voilà qui, si le referendum obtenait la majorité des voix dans la majorité des cantons, serait une jolie petite révolution, faite de surcroit dans un pays où le secteur bancaire représente 12% du PIB ! Le lobby des banques est sur les dents, et pas qu’en Suisse, car l’Europe observe cela un œil intéressé ! Nouvelle politique monétaire de demain ?

Monnaie unique et monnaie commune

La crise grecque (qui est loin d’être résolue !) a fait dire à beaucoup que l’Euro est un échec :

  • Convergence des économies ? 
  • Stabilité économique et financière ?
  • Moteur de croissance et de productivité ?
  • Catalyseur d’une Europe politique ?

Même les moins eurosceptiques auront du mal à démonter de vrai progrès sur ces quatre points.

Il est des voix aujourd’hui qui proposent de réparer l’Euro en en faisant non plus une monnaie unique[4] mais une monnaie commune[5], co-existante avec des monnaies locales.

Il s’agirait là, en quelques sorte, de démembrer (à la manière de l’usufruit et de la nue-propriété pour un bien immobilier) la monnaie en ses 2 composantes que sont la valeur confiance et la valeur d’usage.

  • La monnaie commune par une gestion rigoureuse (tout l’opposé de la politique actuelle de la BCE qui émet joyeusement 60 Md€ par mois au nom de sa politique de « quantitative easing ») aurait toute la confiance des épargnants et des investisseurs et deviendrait rapidement la monnaie de référence pour les échanges internationaux, détrônant ainsi le Dollar.
  • La monnaie locale gérée en toute souveraineté par chaque Etat dans le cadre de la politique qu’elle se choisi, servirait à la consommation courante, le paiement des fonctionnaires, des aides sociales et le règlement des impôts. Notons qu’un revenu universel, s’il était adopté serait lui aussi payé en monnaie locale…

Ainsi, chacun fonctionnerait selon ça pointure, sortant du dictat « one size fit all[6] » de la monnaie unique.

Gouvernance rééquilibrée

Voilà un signal faible que notre site essaye amplifier.

Il s’agit là de défendre un système fondé sur la coexistence d’un pouvoir intemporel garant de l’esprit de la nation, de son histoire et de son rayonnement sur le long terme et d’un pouvoir temporel, donc soumis aux contingences électorales, élu pour gérer au mieux les intérêts du pays et garantir le bien-être au quotidien de ses électeurs.

Nous avons ici une petite idée sur la personne charismatique qui pourrait nous sortir de notre condition de citoyen et nous élever enfin au rang de sujets…

« La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. Tout s’est construit sur ce malentendu. »

Qui fut cette voix sur Europe 1 le 7 juillet dernier ?[7]

4 signaux faibles qui pourraient être autant de pilier d’un avenir possible sinon souhaitable. D’autres signaux en 2016 ? A vos écoutes !

A tous je vous souhaite une belle et heureuse année 2016 et forme le vœu qu’elle vous apporte ainsi qu’à vos proches, santé, bonheur et réussite dans tous vos projets !

Arnaud de Lamberticourt


[1] Gratuitement téléchargeable en pdf sur le net tout comme le très dense « Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps » (1945) : à vos moteurs de recherche ! Mais aussi en librairie, car souvent réédité…

[2] J’ai commencé à écrire cet article le 6 janvier et voilà que le signal faible n’en est plus un puisque le Figaro y consacre un article dans son édition du 7 janvier : http://www.lefigaro.fr/emploi/2016/01/06/09005-20160106ARTFIG00088-bientot-un-revenu-universel-en-france.php

[3] Cette initiative s’inscrit dans une longue histoire. C’est, dans les années 1930, l’économiste Irving Fisher, qui avait lancé la proposition dans le cadre du « plan de Chicago » proposé (et rejetée) au président Franklin Delano Roosevelt. Elle est revenue à la mode à l’occasion de la crise financière de 2007-2008. L’Islande est aussi à la pointe sur ce sujet avec la remise fin mars dernier d’un rapport au premier ministre.

[4] Modèle fondateur franco-allemand

[5] Modèle britannique

[6] « Taille unique pour tout le monde »

[7] Emmanuel Macron !

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