Politique

Hernani, vanités, orgueils et rébellion érigés en modèles

Parce qu’elle naquit à la scène dans les heurts d’une bataille où l’intelligence française se déchira dans une nouvelle querelle des anciens et des modernes, cette fois-ci entre classiques et romantiques, Hernani devint, dès 1830, une pièce immortelle, environnée de légendes. La pièce fut politique, et on était pas seulement pour le vers bien rythmé de Boileau ou celui, partiellement décomposé de Victor Hugo ; on était aussi pour le libéralisme politique de Louis-Philippe, voire pour la République, ou pour l’esprit de la légitimité. Victor Hugo, homme tout sentimental, était déjà pour la république, ce qui ne l’empêcha pas, quelques années auparavant, d’avoir composé une ode pour le sacre de Charles X, et peu après l’exil du dernier des Bourbons de la branche aînée, un long poème d’adieu et d’amour au monarque déchu.

C’est ici un drame terrible que de forger les esprits à partir de l’œuvre d’un sentimental inconstant, qui chanta la gloire d’un tyran, aussi glorieux fut-il, Napoléon le Grand, et fit tonner ses boulets contre un libéral, certes autoritaire, Napoléon le Petit…

Hernani est bien dans cette veine. Le héros titre est tout entier en sentiments. Il a grand coeur, il ne manque pas de panache et de bravoure, mais son guide n’est pas l’amour de la patrie, ni celui de son Dieu ou de son roi, ni même de sa dame. Son guide est l’amour pour l’amour, le sentiment pour lui-même. Hernani se rebelle contre tous les principes, et notamment contre son souverain, Don Carlos, devenu Charles Quint, parce que ce dernier est un barrage entre lui et son amour. La rébellion au nom du sentiment ! On frémit !

Nous sommes loin de l’autre grand héros espagnol du théâtre français, Le Cid, que Corneille fait fidèle à son sang, fidèle à son père, fidèle à l’honneur et à son roi, quitte à tout perdre, mais sans jamais déroger aux principes supérieurs qui guident l’existence d’un homme droit. Il n’en aime pas moins Chimène, pour laquelle il est prêt à mourir. Sa constance lui donnera et Chimène, et le service de son roi. Mais il n’aura jamais fait passer le sentiment avant la colonne vertébrale de la vie, les principes transcendants, venus de Dieu en somme, à défaut d’être venus des dieux comme chez l’Antigone de Sophocle, dont Maurras fit la vierge mère de tout ordre, contre Créon l’anarchiste, parce que celui-ci avait choisi son bon plaisir, quand celle-là obéissait aux règles naturelles qui meuvent le monde.

Hernani, des siècles plus tard, est un nouveau Créon, ou un don Rodrigue dévoyé. Il aime et c’est tout. Grand bien lui fasse, mais cela lui tient lieu d’honneur et loin d’être « une force qui va », comme il s’en vantera, il est plutôt un frêle petit être écrasé entre tous les sentiments contradictoires, tout comme dona Sol. Ce sentimentalisme, d’ailleurs, leur coûtera la vie et tous deux se tueront au terme de la pièce, suivis de près par le duc Don Ruy Gomez de Silva.

Le mauvais rôle est tenu par Don Carlos, qui pourtant est le seul à être mu par des principes supérieurs ordonnant le sentiment et l’orientant vers le bien. Il a le sens de l’État et le goût du gouvernement. Lorsqu’il se laisse tenir par ses passions, il enlève dona Sol, mais lorsqu’il agit en monarque, il la rend à Hernani, au grand dam du duc.

Il est éloquent que Hugo ait confié le mauvais rôle au seul personnage ayant une colonne vertébrale, tandis que les héros attendrissant ne sont, en définitive, que deux écervelés. Hernani et dona Sol ne manquent pas de courage, mais ils se laissent guider par l’amour au mépris de toute vertu supérieure, et notamment au mépris de l’honneur, car le duc éconduit était le mari légitime… Jamais un Corneille ou un Racine ne se seraient laissés aller à légitimer la révolte contre le souverain, la subornation et l’adultère. Certes Hugo est servi par une langue majestueuse. Mais on reconnaît bien là le travers de notre temps : toutes les rébellions et tous les renoncements sont possibles, dès lors que l’on aime. Mais cet amour est stérile et voué à l’échec. Qu’est-il ressorti de cette histoire sinon la mort des deux héros ? Ce n’est certes pas une première dans l’histoire du théâtre tragique. Cependant, jusqu’à présent, la mort des héros était soit due à la victoire d’un traître, soit  la juste punition des dieux. Ici, les héros, responsables pourtant de leur situation, apparaissent en pauvres victimes. L’inversion des valeurs est complète.

Sans doute faudrait-il rouvrir la bataille d’Hernani en la déplaçant du champ stylistique au champ moral, car si la langue de Hugo est belle, s’il a du génie, il en fait, c’est évident, un bien mauvais usage.

A suivre…

Gabriel Privat

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.