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Les Royaumes méconnus : (1) Le Lesotho

Le Lesotho, « Royaume dans le ciel »

En Afrique, il n’y a que trois royaumes souverains. Le plus connu est le Maroc. Deux autres se trouvent en Afrique australe : le Swaziland et le Lesotho. Qui connaît ce dernier royaume? On ne parle quasiment jamais de ce pays. Le 30 août dernier, une tentative de coup d’Etat militaire semble y avoir eu lieu, mais nos grands médias ne l’ont pas évoqué. Aux dernières nouvelles, le premier ministre Thomas Thabane a pu regagner son pays mercredi 3 septembre, après avoir fui en Afrique du Sud. Ce dernier pays et la SADC[1] (l’organisme regroupant les Etats d’Afrique australe) semblent avoir pesé de tout leur poids afin que cette énième crise soit rapidement résolue. 

J’ai eu l’occasion de me rendre au Lesotho à plusieurs reprises et je pense que ce royaume africain gagnerait à être davantage connu. Il s’agit d’un pays tout à fait atypique, différent des autres États d’Afrique, et ce, pour plusieurs raisons.

La situation géographique du Lesotho est exceptionnelle. À part la République de Saint-Marin et le Vatican, il est le seul pays au monde à être situé au milieu d’un autre. Ses 30 355 km²  superficie équivalente à celle de la Belgique – sont totalement enclavés en Afrique du Sud, sans accès à la mer.

Son altitude est une autre particularité géographique remarquable. Aucune partie de son territoire n’est située à moins de 1400 mètres. Le pic Thabana Ntenyana avec ses 3482 mètres en est le point culminant. La capitale, Maseru, installée à 1600 mètres d’altitude, est donc l’une des plus élevées d’Afrique. Elle compte 230 000 habitants. Elle est  séparée de l’Afrique du Sud par une rivière encaissée, la Caledon.  En fait, le Lesotho constitue un énorme massif montagneux, qui domine l’Afrique du Sud.  Ce n’est pas pour rien que le pays a été surnommé le « Royaume dans le ciel »! Ce sont les montagnes qui ont permis au Lesotho de sauvegarder son indépendance et son identité. Car, même s’il a dû accepter un statut de protectorat britannique de 1868 à 1966, ce pays n’a jamais été incorporé à l’Afrique du Sud qui l’entoure.

Le Lesotho a une histoire à part. Et cela, à plus d’un titre. Son peuple, les Basotho, s’est installé dans la région vers le XVIe siècle. Il appartient à la grande famille des peuples bantous.

Le véritable père fondateur du royaume est le roi Moshoeshoe Ier, qui régna de 1800 à 1870. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, toute l’Afrique australe était ravagée par des guerres incessantes menées par les Zoulou et leur puissant roi, Chaka[2], qui annihila un grand nombre de tribus voisines pour constituer un puissant royaume. Tout ce qui s’opposait à sa volonté de puissance et de conquête du bétail était anéanti ou intégré de force au sein de la nation zoulou. Bien des ethnies disparurent à l’époque. Face au danger que représentait l’expansion belliqueuse des Zoulou, Moshoeshoe[3], chef des Basotho, rassembla son peuple et le mit à l’abri dans les hautes montagnes. De plus, il eut l’intelligence d’accueillir et d’intégrer les réfugiés et les groupes épars fuyant l’avancée des Zoulou. C’est ainsi que le royaume du Lesotho fut constitué.

À partir de 1840, Moshoeshoe Ier eut à faire face à de nouveaux ennemis, eux aussi puissants. Il s’agissait des Boers, ces colons d’origine hollandaise qui pénétraient de plus en plus à l’intérieur du continent, en quête de terres pour l’agriculture et l’élevage. Ils n’hésitèrent pas à attaquer le Lesotho à plusieurs reprises, afin de s’emparer de nouveaux territoires. Trois guerres opposèrent les Basotho aux Boers, en 1858, 1864 et 1867. Le courage du peuple des montagnes ne permit cependant pas de résister aux armes modernes des colons et le Lesotho perdit 50% de ses terres agricoles, situées à l’ouest du pays. Le territoire gagné par les Boers fut rattaché à l’État libre d’Orange, qui constitua par la suite une des provinces de l’Afrique du Sud. En 1868, face à l’expansionnisme boer, Moshoeshoe n’eut d’autre choix que de faire appel aux Britanniques, en vertu du vieil adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Mais, en contrepartie de l’aide britannique, le roi dut accepter l’imposition d’un protectorat, ce qui lui sembla sans doute être un moindre mal. Le protectorat du Basoutholand prit fin en 1966, lorsque le pays recouvra son indépendance sous le nom de Royaume du Lesotho.

Malgré cette empreinte britannique, le Lesotho a connu une forte influence française, et cela constitue encore une autre de ses particularités. En 1822, la Société des Missions Évangéliques de Paris, ou SMEP, fut créée. Elle ouvrit de nombreuses missions protestantes en Océanie et en Afrique, mais son champ d’action le plus important fut sans conteste le Lesotho. De nombreux missionnaires protestants français passèrent leur vie dans ce pays, et certains y jouèrent un rôle important. On peut évoquer le souvenir de précurseurs tels que les pasteurs Thomas Arbousset[4],  Constant Gosselin et Eugène Casalis[5], qui arrivèrent au Lesotho en 1833. C’est à Morija qu’ils fondèrent leur première mission, le 9 juillet 1833. Cette mission existe encore, on peut d’ailleurs y visiter un très intéressant petit musée. Casalis devint une sorte de conseiller politique et diplomatique officieux du roi Mosheshoe. Ces premiers missionnaires protestants assurèrent la formation d’un nombre important de catéchistes basotho et lancèrent l’enseignement primaire dans le pays. On citera aussi le pasteur François Coillard[6], qui naquit dans le Cher en 1834 et, arrivant  au Lesotho en 1857, il tenta d’effectuer une médiation entre Basotho et Boers. Il créa une mission à Leribe, qui existe encore de nos jours. Les Boers l’en chassèrent en 1866, mais il put y revenir après l’imposition du protectorat britannique. L’action précoce de ces Protestants français et leur souci de former des cadres locaux permit à de nombreux Basotho de recevoir une éducation à l’occidentale d’un niveau assez élevé, fait assez exceptionnel pour l’époque, en Afrique. Ils dispensèrent leur enseignement en sesotho, la langue locale, qu’ils avaient préalablement transcrite en caractères latins, lorsqu’ils traduisirent la Bible. Cette particularité fit que le Lesotho donna naissance aux premiers écrivains d’Afrique subsaharienne. Les premiers romans, en langue locale, sortirent des imprimeries de la mission protestante dès la fin du XIXe siècle.

Les premiers missionnaires catholiques, eux aussi français, arrivèrent au Lesotho en 1862, bien après leurs homologues protestants. Ces derniers furent d’ailleurs mécontents que le roi Moshoeshoe ait pu donner l’autorisation aux Catholiques, puis aux Anglicans, de s’établir dans son pays. En effet les missionnaires calvinistes travaillaient à l’établissement d’une Église sotho unique, et l’arrivée de missionnaires non protestants risquait de mettre à mal leur grand rêve. Ce sont les Oblats de Marie Immaculée qui, après avoir débarqué au Natal en 1851, fondèrent les premières missions catholiques au Lesotho. La plus célèbre et la plus importante d’entre elles est celle de Roma, fondée dès 1862. Trois séminaires et plusieurs noviciats furent créés à Roma. En 1945, une université catholique y fut même créée, elle est à l’origine de l’Université Nationale du Lesotho fondée à Roma en 1975. En 1865, les sœurs de la Sainte Famille, de Bordeaux, arrivèrent à leur tour. Ces missionnaires catholiques créèrent de nombreuses écoles et œuvres de charité dans le pays.  Aujourd’hui, 30% de la population du pays est catholique. Il est amusant de noter que la petite ville du Lesotho où se trouve l’aéroport international, se nomme Mazenod. Elle fut nommée ainsi en l’honneur d’Eugène de Mazenod, évêque de Marseille et fondateur de la congrégation des Oblats de Marie Immaculée, congrégation qui, on l’a vu, joua un rôle important dans le pays. Eugène de Mazenod, qui vécut de 1782 à 1861, fut canonisé par le pape Jean-Paul II en 1995.

Les paysages grandioses du Lesotho en font également un pays à part dont le relief, très accidenté, est creusé de vallées encaissées formant parfois de véritables canyons, difficilement accessibles. Il y a une vingtaine d’années, toute la moitié orientale du royaume n’était accessible qu’à cheval ou en avion. Encore aujourd’hui, les Basotho circulent beaucoup à cheval. Ces cavaliers, vêtus d’une couverture de laine multicolore, coiffés d’un large chapeau conique, ont une apparence étrange, inattendue en Afrique. Ce chapeau bizarre figure d’ailleurs sur le drapeau national. Les montagnes du Lesotho rappellent quelque peu le Far West américain: des pentes rocheuses escarpées et dépourvues de végétation, des gorges souvent vertigineuses. L’absence d’arbres donne parfois un aspect quelque peu lunaire aux paysages.

L’érosion constitue d’ailleurs l’un principaux problèmes du pays: elle dégrade les terres arables, déjà peu abondantes. Pendant la saison des pluies, les eaux devenues furieuses arrachent tout sur leur passage et les rivières, transformées en torrents impétueux, emportent la bonne terre vers l’Afrique du Sud, située plus bas que le Lesotho. Une plante unique, devenue emblème national, se rencontre sur ces montagnes: l’aloès spiralé, protégé, car en voie de disparition. Il est caractérisé par l’implantation hélicoïdale de ses feuilles: chaque nouvelle feuille apparaît au centre et repousse sa voisine vers l’extérieur. 

Le dépaysement est garanti au visiteur s’il s’éloigne de Maseru pour s’enfoncer dans l’intérieur du pays. Au détour d’une route, il croisera un groupe de jeunes bergers revêtus de leur couverture de laine bariolée, attentifs à leurs troupeaux de chèvres ou de vaches.  Il traversera de pittoresques hameaux accrochés à des éperons rocheux. Les maisonnettes en pierres m’ont fait  beaucoup penser à nos pagliaghji, les abris de bergers  des montagnes corses. Comme eux, elles sont faites d’épais murs de pierres. Ces hautes vallées encaissées et rocheuses du Lesotho ont parfois un petit air de Jurassic Park, avec leur nombreuses empreintes de dinosaures, fossilisées. Quelles ne furent pas ma surprise et mon émotion lorsque je découvris, à proximité d’une rivière de montagne, les empreintes laissées par une mère et son petit, que l’on eût pu croire de la veille. Les deux animaux avaient certainement dû aller se rafraîchir à la rivière et, en remontant, leurs traces s’étaient imprimées dans la boue pour l’éternité.

La partie la plus élevée du pays a été radicalement transformée depuis une quinzaine d’années. Une grande société française y a construit une série de grands barrages et un immense lac artificiel y a pris place. Le Lesotho est ainsi devenu un véritable château d’eau régional. Son eau est exportée vers les régions agricoles d’Afrique du Sud, pour l’irrigation.  Payée en devises, elle est devenue, avec l’électricité, une grande richesse pour le pays.

Pendant l’hiver austral, de juin à septembre, les montagnes se recouvrent d’un épais manteau blanc, et l’on peut même pratiquer le ski dans l’est du pays. Il n’est pas rare que même Maseru soit recouverte de neige, ses avenues sont souvent balayées par un vent vif et glacial. Le froid et la neige constituent donc une des autres particularités de ce pays: il s’agit bien d’un pays africain, mais ses habitants ont su s’adapter au froid qui y règne une grande partie de l’année. 

Depuis son indépendance en 1966, le Lesotho a connu une certaine instabilité, comme on a encore pu le constater avec la tentative de coup d’Etat du 30 août 2014. Il convient de dire que son enclavement dans l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid a rendu sa situation assez délicate: ce n’était qu’un petit royaume noir indépendant au milieu d’un immense pays alors dirigé et dominé par la minorité blanche. Les pressions n’ont pas manqué. D’autant qu’une grande partie de la main d’œuvre masculine du Lesotho allait travailler dans les mines d’or du grand voisin. Elle ne revenait au pays que pour de brefs congés annuels. Toutes les importations, ainsi que les rares exportations, devaient transiter par l’Afrique du Sud. Le Lesotho était donc étroitement lié économiquement – et il l’est encore – à son puissant voisin. Cependant, le peuple se sentait intimement solidaire des frères sud-africains opprimés, surtout que depuis la perte des terres arables, au XIXe siècle, une grande partie du peuple sotho s’est retrouvée en Afrique du Sud. Les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir à Maseru ont donc dû mener une politique d’équilibriste, devant ménager les susceptibilités du gouvernement de Pretoria tout en ne se montrant pas complètement indifférents au sort de la majorité noire du pays voisin.

En 1970, le chef Joseph Leabua Jonathan[7], premier ministre depuis 1965, fit un coup d’État pour ne pas avoir à affronter des élections qui s’annonçaient difficiles pour lui et pour son parti. Il suspendit la constitution et le parlement, interdit les partis d’opposition et exila aux Pays- Bas le roi Moshoeshoe II[8] pendant neuf mois. À son retour, celui-ci fut cantonné dans un rôle purement honorifique. Le chef Jonathan instaura alors un parlement croupion et il réprima toute tentative d’opposition, avec le soutien du régime de Pretoria. Malgré ses relations étroites avec ce dernier, à partir de la fin des années 70, il fit pourtant évoluer peu à peu sa politique étrangère, au grand déplaisir de Pretoria. C’est durant cette période que des relations furent établies avec l’ANC[9], mouvement interdit en Afrique du Sud. Ce mouvement de lutte anti-apartheid ouvrit une représentation à Maseru dans les années 70. De plus en plus de militants, pourchassés en Afrique du Sud, trouvèrent refuge au Lesotho. C’est également à cette époque qu’un grand nombre d’ambassades étrangères s’installa dans la capitale du Lesotho. Beaucoup de pays fermaient en effet leurs représentations  à Pretoria – ou les réduisaient – et ils en ouvraient à Maseru. Cela leur permettait de garder un œil sur ce qui se passait en Afrique du Sud tout en respectant les sanctions internationales imposées au pays de l’apartheid. Même le Mozambique nouvellement indépendant, l’Union Soviétique, Cuba et la Chine populaire ouvrirent des ambassades à Maseru, ce qui inquiéta fort les dirigeants de Pretoria. Le chef Jonathan échappa à plusieurs attentats, et il se rapprocha de plus en plus du bloc de l’Est, effectuant même des visites officielles en Corée du Nord, en Roumanie et en Bulgarie. Au fil des ans, progressivement isolé internationalement, le régime sud-africain devint plus agressif à l’égard de ses voisins, soupçonnés, à tort ou à raison, de soutenir l’ANC. Des raids militaires furent menés contre des bases ou des bureaux de l’ANC au Botswana et en Zambie, un soutien militaire fut même apporté à la guérilla anticommuniste de la RENAMO[10], au Mozambique et à celle de l’UNITA[11] en Angola. C’est dans ce contexte qu’un commando sud-africain assassina neuf militants de l’ANC à Maseru, en décembre 1985. En représailles, l’ANC commit un attentat meurtrier dans la province voisine du Natal, ce qui conduisit le gouvernement sud-africain à fermer la frontière avec le Lesotho. Un blocus total du royaume fut donc imposé pour obtenir la fermeture des bureaux de l’ANC à Maseru. Le chef Jonathan finit par céder, afin d’éviter l’étranglement total de son pays. Cela ne lui permit quand même pas d’échapper à un coup d’État militaire soutenu par l’Afrique du Sud, le 19 janvier 1986. Le général Lekhanya, conservateur et pro-sud-africain, prit alors le pouvoir. Il rendit une partie de ses prérogatives au roi Moshoeshoe II et fit expulser les militants de l’ANC ainsi que les conseillers venus des pays communistes.

Le 14 septembre 1987, le pape Jean-Paul II effectua une visite au Lesotho. Afin de marquer sa réprobation morale du système d’apartheid, le souverain pontife avait eu l’intention d’éviter l’Afrique du Sud pour se rendre dans le petit royaume. Mais la météo en décida autrement: un épais brouillard sur l’aéroport de Maseru  contraignit son avion à se poser à Johannesbourg, à la grande satisfaction du gouvernement sud-africain. Le ministre des affaires étrangères, Pik Botha, se précipita à l’aéroport pour y accueillir un pape visiblement contrarié d’être photographié en sa compagnie. Jean-Paul II put finalement gagner Maseru par la route. Il y fut accueilli par une foule immense rassemblée sur un vaste terrain vague où il célébra la messe. 

Les relations entre le général Lekhanya et le roi se dégradèrent et, en février 1990, Moshoeshoe II fut déposé par les militaires. Ils le contraignirent à un nouvel exil.  Les putschistes intronisèrent son fils qui devint le roi Letsie III[12]. Mais, l’opposition au régime militaire grandissait et la situation évoluait également rapidement en Afrique du Sud. En 1994, Nelson Mandela, libéré de prison quatre ans plus tôt, devenait le premier président noir du pays. Dans la plupart des pays d’Afrique, un vent en faveur de la démocratie multipartite s’était mis à souffler, balayant nombre de régimes militaires et de pouvoirs monolithiques. Cet environnement fit que les militaires basotho finirent par se résoudre à rendre le pouvoir à un gouvernement civil formé à la suite des premières élections libres, en avril 1993. En janvier 1995, le roi Moshoeshoe II put rentrer au pays et  remonter sur le trône, son fils Letsie ayant accepté de s’écarter. Malheureusement, Moshoeshoe II ne profita pas longtemps de son retour au pays car il mourut dans un accident de voiture, sur l’une des routes escarpées de son royaume, en janvier 1996. Letsie III monta sur le trône pour la seconde fois, et il l’occupe encore à ce jour.  Mais en 1998 le pays faillit plonger dans la guerre civile lorsque la contestation de résultats d’élections dégénéra en affrontements sanglants dans la capitale. Mandatée par la communauté des États d’Afrique australe, l’armée sud-africaine intervint pour rétablir l’ordre.

Depuis lors, le Lesotho est devenu un modèle de démocratie sur le continent africain, même s’il manque encore de stabilité. Le pays, malgré sa grande pauvreté, a fait de rapides progrès sur la voie du développement. De nombreuses routes ont été construites et goudronnées, permettant de désenclaver l’intérieur, demeuré longtemps isolé du reste du pays. Le vaste projet hydro-électrique du centre du Lesotho a généré d’énormes revenus qui ont créé les conditions d’un développement véritable.  

Cependant, les défis pour faire sortir le royaume du sous-développement demeurent immenses. Celui du VIH/SIDA est certainement le plus grand. Le Lesotho est un des pays les plus touchés par la pandémie. Cela est dû à la migration des travailleurs basotho vers les mines d’or sud-africaines qui, parqués dans d’immenses « hostels » à proximité des mines, devenaient célibataires jusqu’à leur retour au pays, pour de brefs congés annuels. Une importante prostitution s’est alors développée autour des hôtels. Contaminés, les travailleurs basotho ont infecté leurs épouses à leur retour chez eux. Aujourd’hui, le Lesotho a un taux de prévalence du VIH/SIDA de plus de 20 %, égal à celui de l’Afrique du Sud et le plus élevé au monde. Beaucoup d’enfants basotho sont devenus orphelins, tandis que d’autres ont été contaminés à leur naissance.

Les mines sud-africaines n’accueillent pratiquement plus de travailleurs étrangers. Le trop plein de main d’œuvre basotho ne peut donc pratiquement plus s’écouler vers l’Afrique du Sud, en proie à des émeutes xénophobes qui firent des dizaines de morts en 2008. Des accords commerciaux conclus avec les États-Unis, connus sous le nom d’AGOA[13], ont incité des compagnies chinoises à s’installer au Lesotho pour y produire des vêtements en coton chinois, exportés ensuite aux USA, où ils étaient entrés hors-taxe, grâce à leurs étiquettes « made in Lesotho ».  Ces entreprises chinoises ont pu donner du travail à des milliers de Basothos. Mais lorsque l’administration étasunienne exigea que le tissu utilisé soit originaire du pays exportateur,  les Chinois préférèrent fermer leurs usines et licencier leurs employés.

Comme on peut le voir, le petit royaume fait encore face à de nombreux problèmes qui, pour quelques-uns, sont indépendants de sa volonté. Sa situation géographique constitue un handicap certain.  Une chose sûre, c’est que son avenir proche et lointain continuera à être lié à celui de son puissant voisin. Une Afrique du Sud dynamique économiquement ne pourra que favoriser le développement du Lesotho. La monarchie, quant à elle, demeurera la garantie de l’unité nationale et de la stabilité.

Hervé Cheuzeville  

[1] La Southern African Development Community (Communauté Africaine Australe de Développement) comprend 15 Etats et a son siège à Gaborone (Botswana).

[2]    Chaka, fondateur de l’empire des Zoulou (1787-1828)

[3] (prononcer Moshouéshoué)

[4]    Thomas Arbousset, né à Pignan en 1810, mort en 1877.

[5]    Eugène Casalis, né à Orthez en 1812, mort à Paris en 1891; missionnaire au Lesotho de 1833 à 1856.

[6]    François Coillard, né à Asnières-les-Bourges en 1834, mort à Lealui au Barotseland (Rhodésie du Nord, actuelle Zambie) en 1904; missionnaire au Lesotho de 1857 à 1866, puis au Barotseland.

[7]    Le chef Joseph Leabua Jonathan est né en 1914 et est mort en 1987. Il était le leader du BNP, le Basotho National Party, ou Parti National Basotho. Devenu premier ministre en 1965, c’est lui conduisit son pays à l’indépendance en 1966.

[8]    Le roi Moshoeshoe II naquit en 1938. Il régna sur le Lesotho de 1960 à 1990 et de 1995 à sa mort, le 15 janvier 1996.

[9]    African National Congress, ou Congrès National Africain, principal mouvement d’opposition à l’apartheid, au pouvoir en Afrique du Sud depuis 1994.

[10]  Resistência Nacional Moçambicana, ou Resistance Nationale Mozambicaine, mouvement de guérilla dirigé par Afonso Dhlakama, qui lutta contre le régime marxiste de Maputo de 1975 à 1992. La RENAMO forme depuis le principal parti de l’opposition parlementaire du Mozambique.

[11]    Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola, mouvement de guérilla dirigé par Jonas Savimbi.

[12]  Le roi Letsie III est né en 1963.

[13]  African Growth and Opportunity Act, loi adoptée par le Congrès des États-Unis d’Amérique en mai 2000, dans le but de faciliter l’accès au marché étasunien pour les produits en provenance de pays africains acceptant les principes de l’économie libérale. De 31 en l’an 2000, ils sont maintenant 42 pays à bénéficier de cette loi. 

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