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Espagne : pourquoi pas la république ?

L’abdication du roi Juan Carlos a été l’occasion de constater les difficultés contemporaines de l’institution royale espagnole. Affaibli par un feuilleton de scandales à répétition comme l’affaire Noos dans laquelle son gendre est impliqué, la chasse à l’éléphant au Botswana ou des rumeurs d’infidélité, Juan Carlos a perdu une partie de l’opinion. Cela n’a d’ailleurs échappé à personne que pour pérenniser l’institution royale, il valait mieux abdiquer sous une majorité de droite, que céder le trône sur son lit de mort sous une majorité de gauche: la monarchie espagnole est une monarchie constitutionnelle dont l’institution peut être révoquée par un simple vote du Congreso[1] à la majorité des deux tiers.

Bien que toujours minoritaire, la contestation républicaine, séparatiste et antichrétienne s’amplifie à gauche, proportionnellement à la chute de popularité de Juan Carlos. Le vieux drapeau républicain rouge, jaune et violet est exhibé sans vergogne dans les rues, celui-là même qui jeta l’Espagne dans la violence et le sang de 1934 à 1939.

On peut légitimement se demander si une république n’améliorerait pas la situation en Espagne. Trouverait-on des avantages de mettre à bas le système monarchique ?

On invoque souvent le cout de fonctionnement de la monarchie. C’est probablement une marque d’ignorance ou de démagogie. En effet, la Casa Real[1] coutera 7,8 millions d’euro en 2014 aux contribuables espagnols[2], en réduction de 12% sur la période des cinq dernières années. En comparaison, l’Elysée coute 103,5 millions d’euro en 2013[3], auxquels il convient d’ajouter les couts engagés par l’Etat dans la campagne présidentielle, 228 millions d’euros en 2012[4]. Bref, la république coute aux français vingt fois plus cher que la monarchie aux espagnols.

Les républicains espagnols demandent ensuite que leur chef d’état soit élu. Ils ignorent qu’en soumettant le chef d’état aux urnes, on fait entrer dans le bureau présidentiel le parti qui l’a porté, et avec le parti, les cautions financières et morales des lobbies qui l’ont soutenu – séparatistes catalans, groupes privés, LGBT,… Ainsi un président espagnol mangerait dans la main des intérêts privés qui l’ont oint, comme en France. On croit naïvement que la république est démocratique, elle est en fait une ploutocratie, un régime de l’argent, un système clientéliste.

Mais ce que les républicains espagnols ignorent plus encore, c’est qu’en introduisant un système électif présidentiel, ils se couperaient comme en

France de toute possibilité d’arbitrage neutre. En sacrant le capitaine d’un parti politique, élu par la courte et volatile majorité du moment, on échange la figure neutre du roi pour celle du chef d’une clique partisane.

Dans un pays qui fut dévoré par la guerre civile – à cause de la république – puis soumis à une sévère dictature, dans lequel les gens se sont haïs sur plusieurs générations, comment peut-on être irresponsable au point de vouloir sacrifier le seul point de repère neutre du peuple espagnol ? A moins précisément peut-être, de souhaiter pour ce pays de le soumettre à l’arbitraire et à la haine sous le joug d’un nouveau Manuel Azaña[6]. Les gauches espagnoles ont, il est vrai, cette tentation perpétuelle de la revanche, en témoigne l’opération d’élimination de statues et vestiges publics franquistes en 2005 au mépris de l’esprit de réconciliation du peuple espagnol. La monarchie espagnole n’est peut être pas bien reluisante mais elle vaut mieux que la fange d’une république.

Pascal Amilhat

[1] Le Congreso de los Diputados exerce le pouvoir législatif en Espagne, conjointement avec le Sénat.

[2] La Casa Real est l’administration en charge du fonctionnement de la maison royale d’Espagne.

[3] Casa Real de Su Majestad el Rey > Organización y presupuestos > Presupuestos Anuales

[4] Rapport législatif n°251 sur le projet de loi de finances pour 2013, 10 octobre 2012

[5] Le Monde, 9 avril 2012, Pour l’élection présidentielle de 2012, l’Etat prendra 228 millions d’euros à sa charge

[6] Manuel Azaña (10 janvier 1880 – 3 novembre 1940) fut président du Conseil de 1931 à 1933 et deuxième et dernier président de la Seconde République de 1936 à 1939. C’était un socialiste profondément anticlérical.

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