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La Russie est-elle à l’aube de la restauration de la monarchie ?

Dans une interview accordée au journal espagnol «El Universal», datée du 15 mars et coïncidant avec le centième anniversaire de l’abdication du tsar Nicolas II, la Grande-duchesse Maria Vladimirovna Romanov a confirmé que le président Vladimir Poutine lui avait confié avoir un avis positif sur la question d’une éventuelle restauration de la monarchie en tant qu’institution politique. L’après-Poutine est-il entrain de se dessiner en faveur des Romanov ?

Depuis plusieurs mois, des rumeurs persistantes concernant une restauration de la monarchie, après la fin de la présidence de Vladimir Poutine, alimente fréquemment les journaux russes. Hors, l’idée de ré-installer un Tsar en Russie n’est pas nouvelle dans le pays. Lors de la chute de l’Union soviétique en 1991, de nombreux mouvements monarchistes s’étaient rapidement constitués afin de militer pour la restauration de la monarchie. Suite à l’invitation du maire de Saint-Petersbourg, le retour du Grand-duc Vladimir Kirillovitch Romanov (1917-1992, père de l’actuel Grande-duchesse) avait largement été médiatisé par la presse nationale comme internationale. Plus de 50 000 personnes s’étaient déplacées pour accueillir alors l’héritier au trône de Russie, place du Palais. Durant la présidence de Boris Eltsine (1991-1999), des tractations en ce sens avaient été même entamées dès 1996 afin de préparer le prince héritier Georges Romanov, alors âgé de 15 ans, à monter sur le trône.  Selon les accords prévus, il devait intégrer la Nakhimov Naya Academy, école réputée de la Marine nationale et être formé aux arcanes de la politique de son pays. La Russie redécouvrait alors sa dynastie martyrisée lors de la révolution d’Octobre, stupéfaite d’apprendre qu’il existait encore des descendants des Tsars. Le gouvernement russe poursuivit une politique de réhabilitation de la dynastie à grand renfort de cérémonies officielles et autres inaugurations de statues de Nicolas II dans tout le pays. Mais c’est aussi, lors des funérailles officielles dans la forteresse Saint-Pierre et Paul des restes découverts de la famille impériale en juillet 1998, que les divisions des Romanov sont apparues aux yeux des russes, avides d’informations en tout genre sur leur dynastie impériale. En dépit du soutien affiché au mouvement monarchiste du Vice-Premier ministre Boris Nemtsov (assassiné mystérieusement en 2015*) et face à son pouvoir vieillissant, Boris Eltsine ne devait finalement jamais signer le décret prévu qui rétablissait les Romanov dans leurs droits légitimes.

Si des voix s’élèvent, notamment en Crimée, pour un retour officiel des Romanov et qu’un statut leur soit accordé avec privilèges et rôle protocolaire de représentation, le mouvement monarchiste reste également tout aussi divisé que la famille impériale. La querelle dynastique n’a toujours pas été réglée. Une partie des membres de la famille impériale, réunie au sein de l’Association de la Famille Romanov créée en 1979, conteste les droits au trône de la Grande-duchesse Maria. Le Kremlin accorde ses faveurs aussi bien à l’un qu’à l’autre des 2 prétendants officiels au trône de Russie au gré de ses envies. Ainsi, reçu à diverses reprises par le gouvernement russe, le prince Dimitri III, représentant l’autre branche dynastique,  a été décoré par le Premier ministre Dmitri Anatolievitch Medvedev de l’ordre prestigieux d’Alexandre Nevsky, peu avant sa mort à l’âge de 90 ans en 2016.  Bien peu toutefois pour une reconnaissance de ses droits au trône. Maria Romanov, quant à elle, devant se contenter de quelques tapis rouges et autres gardes d’honneurs dans les petites républiques qui composent la Fédération de Russie ou séparatistes comme celle de Transnistrie.

Dernièrement, le parti monarchique  de la Fédération russe, qui n’a été reconnu par aucun des princes Romanov et dirigé par le fantasque ex-député Anton Bakov, a jeté dans l’arène monarchiste, le nom d’un autre prétendant en la personne du prince Karl de Leiningen, auto-proclamé Tsar sous le nom de «Nicolas III », tentant curieusement de créer un nouvel empire au Monténégro ou plus pittoresquement dans les îles Kiribati. Encore faut-il ajouter qu’une minorité de monarchistes russes préconise l’établissement d’un nouveau Zemsky Sobor (assemblée) et l’élection d’un nouveau prince en cas de retour de la monarchie. Interrogés sur leur refus de reconnaître la légitimé des Romanov, ces derniers avancent comme principal argument que la dynastie impériale montée sur le trône en 1613 a failli à sa tâche lors de la révolution. Dès lors, un nouveau nom devant émerger de cette assemblée afin qu’il puisse ceindre la couronne bicéphale. Si plusieurs noms de la noblesse russe sont avancés, celui de Vladimir Poutine a été cité à diverses reprises depuis 2007.

Les russes monarchistes ?  Il y’a 3 jours de cela, le président de la Crimée Sergei Aksenov  a réclamé lors d’une interview sur une chaîne de télévision locale que la question du retour de la monarchie se devait d’être immédiatement étudiée et soumise à référendum. Pris de court, c’est un porte-parole du Kremlin embarrassé, Dmitry Peskov, qui a dû démentir que toute idée de la restauration de la monarchie faisait partie de l’agenda immédiat du Président Vladimir Poutine et que cette demande n’était qu’une «réflexion personnelle du dirigeant de Crimée». L’opposition russe a, elle-même, violemment critiquée cette intervention de Sergei Aksenov lui rappelant, qu’il n’était pas question de revenir en arrière et que la Russie était désormais une république démocratique. Séparée de l’Ukraine depuis 2014, de nombreux monarchistes se sont engagés aux côtés des séparatistes de Crimée, affichant sans complexe leur ralliement à ceux-ci sur les réseaux sociaux comme Facebook ou son alter égo russe Vkontakte. Un gouvernement qui n’a pas hésité à appeler les Romanov à venir s’installer au Palais de Livadia, résidence d’été des anciens Tsars.

Jusqu’à présent, très peu de mouvements monarchistes ont été autorisés à se présenter à des élections, obligés de rallier le parti du président Poutine, « Russie Unie » (Iédinaïa Rossiïa). En 1999, le mouvement « Foi et Patrie », qui aujourd’hui est à la tête d’une campagne contre le film « Mathilda » **,  avait tenté en vain de se faire enregistrer sur des listes électorales. Le parti monarchique de la Fédération de Russie n’a pas obtenu plus de succès avec à peine 1% des voix lors des dernières élections locales de 2013. Il existe pourtant de nombreux mouvements et associations monarchistes qui bénéficient d’un fort certain soutien populaire, se traduisant par d’importantes manifestations quotidiennes en faveur de la restauration de la monarchie. Y compris au sein de l’assemblée nationale (Douma) avec la députée Natalia Vladimirovna Poklonskaïa, la passionaria monarchiste, ou encore le député ultra-nationaliste Vladimir Volfovitch Jirinovski qui entretiennent un lobby en ce sens. En juin 2015, le député du parti présidentiel, Vladimir Petrov, avait pourtant semé le doute sur les réelles intentions du Président Poutine, annonçant publiquement que le Kremlin se préparait à accorder des droits officiels à la famille impériale de Russie, alimentant toutes les spéculations sur un possible rapide retour de la monarchie en Russie.

Un récent sondage, daté de février dernier, affirme d’ailleurs que plus de 20% des russes considèrent la chute du régime impérial comme un affaiblissement de la grandeur nationale et 19% que la révolution bolchévique a fragilisé le pays sur la scène internationale. Lors de son interview, tout en défendant le bilan de Nicolas II,  la Grande-duchesse Maria ne cachait pourtant pas son admiration pour le président russe, doté «d’un grand sens de l’histoire ». La question d’un retour de la monarchie comme rempart à l’hégémonie américaine alors que Vladimir Poutine vient d’entamer une nouvelle lune de miel avec le Président républicain Donald Trump peut-elle encore se poser aujourd’hui ? Le chef de l’état russe pourrait en effet y voir dans cette option, un moyen fort d’unifier son pays aux multiples républiques, manipulables tant par le géant américain que par l’Union Européenne, promptes toutes deux à encourager leurs indépendances afin d’en affaiblir la Russie. Entre résurgence d’un néo-monarchisme et d’un néo-communisme sur fond d’exaltation de la foi orthodoxe, le président Vladimir Poutine se révèle un fin politique qui joue avec la fibre nationaliste des monarchistes et qui a remis son pays au centre de l’échiquier international, notamment lors du conflit en Syrie, remportant leur pleine adhésion à son régime.

Il est présomptueux et difficile de connaître les véritables intentions du président russe concernant l’éventualité d’une restauration de la monarchie et dont le pouvoir conserve actuellement toutes les apparences de l’autocratie tsariste. N’hésitant pas à se faire le chantre d’un retour au traditionalisme patriotique, Vladimir Poutine fait régulièrement claquer au vent, côte à côte, drapeaux monarchistes (repris également comme symbole par l’extrême-droite russe) et communistes notamment lors du défilé annuel militaire du 9 mai, commémorant la victoire de l’Union soviétique sur le régime nazi en 1945.

Pour la Grande-duchesse Maria Vladimirova, si la Russie doit retrouver son régime légitime, cela ne peut venir de la propre initiative du Kremlin mais de la volonté des russes eux-mêmes. Si elle estime que les conditions ne sont toujours pas réunies pour qu’un tel événement se produise à ce jour, Maria Vladimorovna se contente de voir l’avenir de la monarchie comme un modèle historique enraciné dans les valeurs spirituelles, morales et culturelles de la civilisation russe, se voulant la gardienne de cet héritage impérial. Un avenir incertain puisque selon les différents sondages réalisés depuis la chute du communisme sur la question, seulement entre 10 et 30% des russes souhaiteraient réellement la restauration de la monarchie. Loin d’être donc l’expression majoritaire de la volonté populaire.

De son vivant et sans illusions aucunes, le grand-duc Vladimir III Romanov avait déclaré à propos de la possibilité pour ses compatriotes de voir de nouveau un Tsar à la tête de la Sainte-Russie : « il nous reste l’espérance qui est la seconde des vertus…après la foi ! ».

L’histoire du monarchisme russe n’a pas fini d’écrire encore son dernier chapitre.

Frederic de Natal

* : https://www.vexilla-galliae.fr/actualites/europe-international/1252-qui-etait-boris-efimovitch-nemtsov

** : https://www.vexilla-galliae.fr/civilisation/histoire/2366-la-derniere-ballerine-du-tsar-nicolas-ii-ou-l-affaire-mathilda-le-mystere-des-romanov

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